Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Les articles du site > À propos des vaccins contre le Covid-19 : La santé publique entre Big (...)

Trusts pharmaceutiques et santé… des profits

Mis en ligne le 26 janvier 2021 Article Politique

Le fonctionnement de la recherche dans la société capitaliste

Une bonne partie de la mise au point des traitements et vaccins est aujourd’hui déléguée aux entreprises privées. De quoi faire le point sur la manière dont est organisée la recherche dans nos sociétés.

La recherche est répartie entre un secteur public, via les chercheurs qui travaillent dans des laboratoires universitaires, et le privé avec, dans le cas de la recherche médicale, les grandes entreprises pharmaceutiques et, de plus en plus, les startups de biotechnologies. La recherche de long terme, que l’on qualifie parfois de fondamentale, est plutôt dévolue au secteur public, car les perspectives de retour sur investissement sont à la fois incertaines et lointaines. Le privé se charge plutôt de la recherche et développement (R&D), qui consiste à améliorer des techniques existantes ou à trouver des applications à des connaissances déjà établies.

L’exemple de Katalin Kariko

À noter cependant que, ces dernières années, les financements du public se sont considérablement réduits, ce qui incite les chercheurs universitaires à trouver des financements auprès du privé. Cela se double d’une exigence de plus en plus forte à fournir des résultats immédiats, au détriment du long terme. L’exemple de Katalin Kariko, qui a découvert le principe des vaccins à ARN messager, est éclairant : elle a d’abord été rétrogradée à l’Université de Pennsylvanie car ses recherches sur l’ARN messager ne portaient pas assez leurs fruits, et seule sa collaboration avec la startup BioNTech lui a permis d’aller au bout de ses recherches. On a donc un basculement vers l’investissement privé, où il est du ressort des investisseurs en capital-risque d’évaluer quelles pistes de recherches sont prometteuses ou non – et, pour eux, « prometteur » est synonyme de « rentable ». Enfin, il est de plus en plus courant que des chercheurs commencent leur carrière à l’université, puis fondent une startup pour valoriser leurs recherches ; cette pratique est même encouragée par divers programmes.

La recherche médicale

Dans le cas de la recherche médicale, l’essentiel de l’effort de recherche, et donc des financements, est délégué au privé. On peut citer à titre d’exemple le crédit d’impôt recherche qui, pour la seule entreprise Sanofi, représente 150 millions d’euros par an sur les dix dernières années ; alors qu’ils ont supprimé des pans entiers de recherche, notamment sur la maladie d’Alzheimer et sur la résistance aux antibiotiques : plus de 2 800 postes de chercheurs (sur un peu moins de 20 000 employés en R&D) ont été supprimés dans les dix dernières années [1]. Et, aujourd’hui encore, un plan de licenciement de 1 700 salariés est en cours, dont 400 en recherche. Ce sont les mêmes qui ont versé quatre milliards de dividendes au printemps 2020.

Où va l’essentiel des budgets

En réalité, les grands trusts pharmaceutiques ont une politique bien à eux en matière de recherche. D’une part, l’essentiel de leurs fonds sont consacrés à la commercialisation de leurs médicaments et à leur publicité, laissant peu de place au budget R&D. D’autre part, la recherche est focalisée sur les secteurs rentables. La notion même de « rentable » est d’ailleurs en partie définie par les entreprises elles-mêmes, puisque les prix des médicaments sont le résultat de négociations opaques entre les entreprises et les autorités, ces prix n’ayant en général aucun rapport avec les coûts de production.

La recherche vers ce qui est rentable

Il y a donc belle lurette que ces entreprises ont délaissé la recherche sur les vaccins, qui ne sont en général pas rentables, sauf pandémie mondiale comme c’est le cas à présent. Citons par exemple le cas de la recherche contre la tuberculose, la maladie infectieuse la plus meurtrière au monde avec 1,5 million de décès par an. Très peu de nouveaux médicaments sont découverts et, la plupart du temps, il ne s’agit que de recombiner des médicaments déjà connus.

Le vaccin contre la tuberculose, le BCG, a plus de 100 ans et a perdu en efficacité au fil du temps puisque la maladie évolue, il est surtout efficace pour les petits enfants. Pourtant, les Nations unies estiment qu’il faudrait trois milliards d’euros sur la période 2018-2022 pour finaliser le développement en cours des vaccins et initier la recherche sur une nouvelle génération. Trois milliards sur cinq ans, c’est moins que les quatre milliards de dividendes versés par Sanofi il y a peu. Mais ce qui pose problème aux yeux des patrons du médicament pour développer les recherches contre la tuberculose, ce ne sont ni les chercheurs, ni les moyens pour chercher, c’est que les malades n’ont pas d’argent dans la poche.

Plus précisément, la recherche est essentiellement consacrée à des innovations mineures de médicaments existants, l’objectif étant de prendre le moins de risques possibles, ce qui fait que les départements R&D se réduisent à peau de chagrin. C’est pourquoi, lorsqu’il y a un effort de recherche important à fournir, ces trusts concentrent leur attention sur les startups de biotechnologies, qui sont de plus en plus nombreuses (c’est par exemple le cas de BioNTech, qui a développé le vaccin en partenariat avec Pfizer). L’idée est de racheter les startups qui ont réussi, et de ne pas assumer les coûts des investissements de celles qui auront échoué.

Faire reposer le coût du risque sur les États

Les labos ont mis à profit la pandémie mondiale pour négocier des conditions très avantageuses. Cela leur a permis de reporter l’intégralité ou presque du risque financier sur les États. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le secteur public a investi 30 milliards à l’échelle mondiale pour le développement d’un vaccin contre le Covid-19. L’industrie pharmaceutique ne consacre quant à elle que 5 milliards tous les ans à la R&D contre les maladies infectieuses. Donc, en six mois, les fonds publics ont consacré l’équivalent de six ans d’investissements à l’industrie pharmaceutique.

Précisons un peu ce qui s’est passé : pour un industriel, le choix du passage en phase III des essais cliniques est très stratégique, car c’est un investissement de 500-600 millions de dollars, et il faut se lancer dans la production d’une usine spécifique au vaccin. Dans le cas présent, les précommandes des États ont permis de couvrir intégralement ce risque financier, ainsi que la quasi-totalité de la construction de l’usine dédiée. Pour autant, ces entreprises vont conserver les profits présents et futurs, notamment via les brevets. On retrouve le fameux « socialisation des pertes, privatisation des profits » qui est la règle dans la société capitaliste, loin de la fable des actionnaires qui seraient récompensés pour leur prise de risque.

Il est à noter aussi que le coût des vaccins résulte de tractations opaques, protégées par le secret commercial, entre les entreprises et les États. Ainsi, le prix du vaccin de Pfizer et Moderna tourne autour de 50 euros les deux doses, ce qui est 2 à 10 fois plus cher que les vaccins habituels. Multiplié par le nombre de doses nécessaires pour vacciner toute la population, on peut s’attendre à ce que le trou de la Sécu se creuse encore.

La curée sur les vaccins, illustration des rapports impérialistes

L’accès au vaccin est très inégal en fonction des pays : les États développés se sont réservé la part du lion. A eux seuls, des États représentant 13 % de la population mondiale ont mis la main sur 51 % des doses des principaux vaccins en cours d’expérimentation, estimait en septembre l’ONG Oxfam, au point que pour Pfizer et Moderna, les précommandes des pays riches portent sur environ 80 % de leur production pour l’année 2021. Ce à quoi s’ajoute, dans le cas de Pfizer, des difficultés logistiques impossibles à résoudre pour les pays en développement : les congélateurs pour maintenir le vaccin à –70 °C coûtent 10 000 euros pièce. Seul le vaccin d’AstraZeneca se distingue, puisqu’il est vendu à 2,5 euros la dose et est stockable dans des conditions de conservation normale (frigidaire ou congélateur domestique). En effet, les chercheurs de l’Université d’Oxford ont conditionné leur collaboration avec l’entreprise au fait que le vaccin soit rendu disponible de manière universelle, suite à quoi le groupe s’est engagé à ne pas faire de profits sur l’opération.

Un autre frein au déploiement des vaccins est le système des brevets : alors que les possibilités logistiques existent, notamment en Inde, la production du vaccin de Pfizer est réservée à cette entreprise, ce qui ralentit sa production et donc son déploiement dans ces pays. De même que le secret commercial, la propriété intellectuelle constitue un frein absurde au développement de l’humanité. C’est d’autant plus absurde qu’un déploiement massif du vaccin à l’échelle mondiale est une condition indispensable pour enrayer la pandémie. Comme l’expliquait Tedros Ghebreyesus, le directeur de l’Organisation mondiale de la Santé : « Personne n’est protégé tant que nous ne sommes pas tous protégés. » En effet, tant que la maladie demeure dans une région du monde, elle peut à nouveau évoluer en pandémie, en particulier si le vaccin ne confère pas une immunité pérenne. Des chercheurs ont d’ailleurs tenté de modéliser l’effet sur le nombre de décès d’une appropriation des vaccins par les pays riches, et concluent à ce qu’elle engendre deux fois plus de morts qu’une distribution égalitaire [2]. Les résultats fournis par des modèles numériques sont bien sûr à prendre avec beaucoup de précautions, car cela suppose une importante simplification de la réalité. Pour autant, cela donne une idée des ravages produits par tous ces obstacles à la vaccination.


[2Voir l’étude https://www.mobs-lab.org/uploads/6/... (en anglais), et sa citation dans le rapport à l’Assemblée nationale sur la stratégie vaccinale (https://www.assemblee-nationale.fr/..., section « Quelques autres questions éthiques »).

Mots-clés :

Imprimer Imprimer cet article