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Italie : grève générale et tactiques syndicales

19 décembre 2021 Article Monde

(Photo : manifestation à Rome)

Si la journée nationale de grève à l’appel de la CGIL et de l’UIL, le 16 décembre, a constitué un évènement, c’est surtout parce que la dernière journée de grève nationale appelée par ces confédérations syndicales remontait à sept ans.

Des années de régression sociale

La classe ouvrière subit pourtant des attaques à répétition de la part du patronat et des gouvernements successifs. Le « Jobs act » (loi travail) ou la réforme des retraites n’en étant que les exemples les plus visibles. La précarité est devenue la règle. Même lorsqu’ils ont conservé un emploi, beaucoup de travailleurs enchaînent périodes de travail et de chômage (malgré cela il y a, en moyenne, plus de trois morts par jour au travail), six millions de personnes sont en dessous du seuil de « pauvreté absolue », les services publics, en particulier les hôpitaux, sont de plus en plus dégradés, de nombreuses personnes renoncent à se soigner parce qu’elles n’ont pas les moyens d’aller dans le secteur privé.

Et surtout, ces derniers mois les annonces de suppressions d’emplois et de fermetures d’entreprises se sont multipliées dans tout le pays (entre bien d’autres, chez GKN, Whirpool, Alitalia, Leonardo, Caterpillar, Carrefour…)

Des réactions isolées

Une fois n’est pas coutume, l’ensemble des syndicats de base (non affiliés aux grandes confédérations) avaient réussi à se mettre d’accord pour appeler à une grève générale, le 11 octobre. Si cette grève a été suivie dans certains secteurs où ces syndicats existent (comme la logistique, où il y a une forte présence du SI Cobas), en réalité, elle a été loin d’être une vraie grève « générale », les syndicats de base étant absents, ou très faibles, dans la plupart des grandes usines du pays. La grève du personnel de l’éducation, le 10 décembre, a été peu suivie (même si des étudiants et lycéens ont manifesté dans la rue avec les profs et si plusieurs écoles ont été occupées dernièrement).

Suite à l’annonce de la fermeture de leur entreprise, « Insorgiamo », l’appel au monde du travail à s’insurger, lancé par le Collectif d’usine de GKN (près de Florence) a rencontré un écho auprès des équipes militantes d’autres entreprises [1]. Mais, même si cet appel disait s’adresser avant tout aux directions syndicales, celles-ci sont restées sourdes.

Un changement de cap des directions syndicales ?

« Finalement, ils appellent »… ont dit avec soulagement des militants syndicaux à l’annonce de la grève du 16 décembre.

Dire que les sommets syndicaux ont été contraints à proclamer cette grève sous la « pression de la base » serait sans doute exagéré. En réalité ce qui a surtout poussé la CGIL et l’UIL c’est le mépris dont a fait preuve le gouvernement à leur égard lors des discussions concernant le projet de « loi de bilan » qui prévoit les principales mesures économiques et financières pour l’année prochaine. Après avoir semblé prêt à leur accorder quelques miettes, qui auraient permis aux dirigeants syndicaux de dire qu’ils avaient obtenu des concessions, le gouvernement a fait marche arrière.

Dans un communiqué commun, la CGIL et l’UIL ont déclaré : « Bien qu’appréciant l’effort et l’engagement du Premier ministre Draghi et de son exécutif, la loi de bilan a été jugée insatisfaisante par nos deux organisations syndicales, particulièrement concernant le fisc, les retraites, l’école, les politiques industrielles, les mesures contre les délocalisations, la précarité du travail en particulier des jeunes et des femmes, et l’insuffisance des mesures qui auraient permis une plus efficace redistribution de la richesse pour réduire les inégalités et permettre un développement équilibré et une occupation stable. »

Satisfécit donc donné au gouvernement, auquel on reproche seulement d’avoir cédé à « la pression des partis » qui le soutiennent.

Il n’y a donc clairement aucune volonté de la CGIL et de l’UIL de s’opposer aux attaques du gouvernement et du patronat. La troisième confédération syndicale, la CISL, encore plus « à plat ventre » devant eux est allée jusqu’à prendre position contre la grève, déclarant que « dans cette phase, il est irresponsable de transformer les entreprises en champs de bataille ».

Ce refrain a été repris par la presse et presque toute la classe politique qui a dénoncé avec fougue la « non-opportunité de faire grève dans la situation actuelle ». Plus modéré, et plus « faux cul », le Parti démocrate, de centre gauche, a dit qu’il comprenait les grévistes, sans toutefois les approuver.

La Commission de garantie, autorité administrative « indépendante » chargée de veiller au respect des règles anti-grève dans les services publics, a même écrit à la CGIL et l’UIL pour leur demander de repousser la date de la grève. Ce qu’elles ont refusé, mais en excluant certains secteurs, comme la santé, de leur appel.

Une grève plutôt réussie malgré tout

La volonté des directions syndicales était visiblement de faire une grève a minima, et en tout cas, certainement pas d’en faire un bras de fer avec le gouvernement.

Il y a eu peu de préparation, pratiquement pas d’assemblées dans les entreprises, dans certaines les tracts appelant à la grève n’ont même pas été distribués.

La manifestation nationale initialement prévue à Rome a été transformée en cinq manifestations régionales.

Et, alors que les annonces de suppressions d’emploi se succèdent, et que l’inflation ampute les salaires avec l’augmentation des factures, du carburant et du prix des produits alimentaires, le mot d’ordre mis en avant par la CGIL et l’UIL était « Ensemble pour la justice »… On ne saurait être plus vague !

Malgré cela, la grève, bien qu’inégalement suivie, a été plutôt réussie, en particulier dans la métallurgie, où la FIOM (fédération de la métallurgie de la CGIL) annonce 80 % de grévistes, mais aussi dans les aéroports où de nombreux vols ont dû être annulés, ou même dans le commerce (40 % de grévistes chez McDonald’s à Milan).

Et maintenant ?

Au lendemain de la grève, le Collectif d’usine GKN déclarait : « Nous avons besoin d’une grève générale et généralisée, capable de réunir toutes les luttes et tous les conflits auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. Une grève ne se mesure pas seulement par des chiffres, mais par les résultats qui peuvent être obtenus dans un processus à long terme qui ne se termine pas par une seule date. »

Pour que cette grève soit le point de départ d’une lutte d’ensemble, on ne peut pas compter sur les directions syndicales.

Les GKN ont raison de s’adresser à l’ensemble du monde du travail, ainsi qu’à la jeunesse et de leur dire « on ne s’en sortira que tous ensemble ».

Pour coordonner les luttes il faut aussi leur donner des objectifs communs :

  •  l’augmentation générale et l’échelle mobile des salaires (que les travailleurs italiens avaient réussi à imposer après « l’automne chaud » de 1969) ;
  •  l’interdiction de tous les licenciements (l’interdiction des délocalisations ne concernant qu’une partie seulement des fermetures et suppressions d’emploi), l’embauche en CDI des précaires et la répartition du travail entre tous.

Thierry Flamand

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