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Impossible d’être prêts pour une pandémie ? Pas si sûr

16 avril 2020 Article Sciences

Depuis le début de la crise sanitaire on nous rebat les oreilles – du côté du Pouvoir – sur le fait qu’il était impossible d’être préparés à l’émergence d’une pandémie, et que c’était son caractère inattendu et soudain qui expliquait les retards à l’allumage de Macron et de son gouvernement. Imprévisible cette pandémie ? Si l’on parle de connaître précisément la date de son déclenchement, sûrement. Inattendue, en revanche, c’est tout sauf certain, comme en témoigne, depuis quelques semaines dans les médias, la redécouverte des avertissements contre une possible pandémie.

(Carte : Pays où la grippe aviaire (2007) a touché des animaux (en rouge), ainsi que des humains (en bordeaux)

Des avertissements scientifiques…

En 2005 paraissait un livre intitulé Pandémie, la grande menace de la grippe aviaire (éditions Fayard, cité par Le Canard enchaîné du 8 avril 2020). Il avait été écrit par les professeurs Jean-Philippe Derenne et François Bricaire, alors pneumologue et infectiologue à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris. Pour faire face à la menace d’épidémie que faisait planer le virus H5N1, les deux scientifiques préconisaient un certain nombre de mesures, prémonitoires au vu de la situation actuelle.

D’abord, un confinement le plus strict possible, les auteurs soulignant même « qu’il n’existe pas d’alternative à la fermeture de tous les magasins d’alimentation ». On imagine d’ici les problèmes posés par cette mesure pour être efficace : nécessité de prévoir des stocks de nourriture importants, mise en place d’un rationnement, ou au moins d’une planification de la distribution alimentaire. Un cauchemar pour un capitaliste qui ne raisonne que sur le profit à court terme.

Ensuite, l’extension de la réanimation : « il convient d’affecter transitoirement à des activités de réanimation des secteurs qui ne le sont pas. Un équipement minimal est nécessaire. Cela concerne principalement les respirateurs. Il convient de faire un état des stocks, y compris ceux considérés comme obsolètes, et de s’assurer de leur état de marche… » Si l’on suppose que c’est bien ce qui a fini par avoir lieu dans les hôpitaux devant l’afflux de malades en réanimation, on se doute également que la réorganisation des hôpitaux de ces dernières années, et les liquidations de stocks et de lits d’hôpitaux qui ont suivi, n’ont pas aidé à appliquer cette mesure dans les meilleures conditions.

Enfin, la formation du personnel soignant : « l’arrivée brutale de patients présentant en grand nombre des signes cliniques respiratoires inquiétants doit susciter une vaste campagne de formation des médecins, des infirmières et, plus généralement, de tous les personnels soignants. Il est indispensable que chacun soit capable d’évaluer la sévérité de l’état respiratoire et, en cas de besoin, de pratiquer les gestes élémentaires de réanimation : ventilation au masque, intubation, etc. Rien que pour les soignants cela fait plus de deux millions de masques par jour de pandémie. » Cette pénurie de masques que nous vivons actuellement, qui met en danger non seulement les soignants exposés au virus, mais également l’ensemble des travailleurs sommés d’aller pointer à l’usine, était donc envisageable depuis bien longtemps.

… et littéraires

Plus près de nous, Deon Meyer, dans un roman de science-fiction paru en France en 2017 et intitulé L’année du lion (Le Seuil) imaginait un monde dévasté par… un coronavirus. Dans une interview qu’il a donnée au Monde (14 avril 2020), il explique que « beaucoup de scientifiques ont averti qu’une pandémie se préparait, et personne n’a semblé les écouter ». Et il connait d’autant mieux la question qu’avant d’écrire ce livre il a pris conseil auprès d’éminents virologues.

On peut toujours se rassurer en se disant que les gouvernements ne prennent pas forcément connaissance de tout ce qui s’écrit sur les maladies ou du livre catastrophe d’un écrivain sud-africain. Le problème est plutôt que ces mêmes gouvernements n’attachent qu’un intérêt limité, voire nul, aux alertes qui leur sont directement adressées, préférant laisser le champ libre à l’économie et se refusant à toute planification sur le long terme.

« Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre »

Pourtant, en 20 ans, les rapports rédigés par les services de renseignement des différents pays occidentaux furent nombreux.

Prenons Barack Obama. Sous sa présidence, après l’épidémie de SRAS de 2003-2004, 25 experts de la CIA (Central Intelligence Agency), qui s’étaient appuyés sur une masse impressionnante de recherches, publiaient un rapport intitulé Le nouveau rapport de la CIA : comment sera le monde en 2025 ? (une édition française est parue chez Robert Laffont en février 2009).

Dans la partie intitulée Le déclenchement possible d’une pandémie mondiale, ils exprimaient la crainte de voir « l’apparition d’une nouvelle maladie respiratoire humaine virulente, extrêmement contagieuse, sans traitement adéquat ». Et de poursuivre : « La maladie pandémique se manifestera sans doute dans une forte densité de population, de grande proximité entre humains et animaux. » Ils soulignaient enfin « la dégradation des infrastructures vitales et les pertes économiques » que provoquerait la pandémie.

En France, en 2005, le rapport parlementaire « sur le risque épidémique » décrivait ainsi les conditions de protection contre une telle épidémie, le temps de trouver un médicament puis un vaccin : « Si nous entrons dans une phase pandémique contagieuse d’homme à homme, une des trois méthodes pour lutter contre une telle épidémie est la mise en place de barrières physiques, ce qui implique que les personnes en contact avec le public puissent disposer de masques adaptés à la pandémie. […] Les autorités, interrogées par vos rapporteurs, pensent que des masques classiques, de type masques de chirurgien, n’offriraient qu’une protection extrêmement limitée. Il serait souhaitable de disposer de modèles extrêmement efficaces mais relativement coûteux. […] La mise à disposition de masques en nombre suffisant aurait certainement un coût très élevé mais, en même temps, aiderait à limiter la paralysie du pays. Vu sous cet angle, il convient de relativiser le coût. » Éloquent.

De son côté Le Canard enchaîné (toujours lui) s’est amusé à retrouver les différents rapports sur le sujet envoyés par les services officiels aux présidents Sarkozy, Hollande et Macron. En juillet 2008, alors que Nicolas Sarkozy siégeait à l’Élysée, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale prédisait un « risque plausible… d’une pandémie massive à forte létalité dans les quinze années à venir ». En avril 2013, un nouveau Livre blanc sur la défense, préfacé cette fois par François Hollande, soulignait : «  Le risque existe d’une nouvelle pandémie… hautement pathogène, résultant de l’émergence d’un nouveau virus qui aura franchi la barrière des espèces. » Enfin, en décembre 2017, cette fois sous Emmanuel Macron, la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, éditée par le ministère des armées, contenait un article intitulé Risques sanitaires qui soulignait lui aussi « le risque d’émergence d’un nouveau virus franchissant la barrière des espèces ».

Le profit, avant tout

En fait, depuis longtemps, les signaux étaient au rouge. Mais nos gouvernants n’en ont presque jamais tenu compte. D’où vient leur comportement ? D’un manque d’intelligence ? Certainement pas. Dans les cabinets ministériels, les têtes d’œuf sorties des grandes écoles sont légion. Mais leurs préoccupations essentielles ne sont pas la santé de la population. Comme l’avait dit Macron à peine élu, la tâche principale était de rendre la France attractive aux investisseurs (mais cela était aussi la politique de Sarkozy et de Hollande). Et pour cela l’argent facile coulait à flots pour les entreprises alors que dans le même temps – rigueur budgétaire oblige – on continuait à asphyxier le service public de la Santé, à procéder à de coupes claires dans les services sociaux, etc. En bref, à s’asseoir sur le principe de précaution sanitaire.

Alors, certes, on peut penser qu’il y a eu une sorte de réaction en 2009 avec la pandémie de grippe A H1N1 qui toucha la planète. La ministre de la Santé de l’époque, Roselyne Bachelot, qui avait commandé des dizaines de millions de vaccins et constitué une réserve de masques de plusieurs millions de pièces, en profite même aujourd’hui pour se pavaner dans les médias et paraître a posteriori comme « celle qui savait réagir ». Mais c’est oublier que cette même ministre est à l’origine d’une loi qui porte son nom et qui a un peu plus accéléré la casse de l’hôpital public, aujourd’hui dans la tourmente. En introduisant la gestion des hôpitaux par des cadres qui ne sont plus des soignants, cette loi a permis à ces gestionnaires de liquider petit-à-petit les stocks de masques et de supprimer toujours plus de lits dans les différents services, au nom de la sacro-sainte restriction budgétaire. Sa mémoire lui joue des tours, sans doute.

En novembre, le virus commençait déjà à se propager et les alertes s’accumulaient sur les réseaux sociaux. Difficile de croire que les gouvernements des pays capitalistes n’aient pas été mis au courant du risque de pandémie qui couvait. Au même moment, alors que les hospitaliers battaient le pavé, comme de nombreuses fois pendant cette année 2019, la seule réponse de Macron aura été de leur envoyer les CRS. Tout un symbole !

Alors, les belles promesses que font aujourd’hui nos gouvernants selon lesquelles « rien ne sera plus comme avant », qu’il y aura « un changement de paradigme », que « la santé est un bien commun » n’engagent que ceux et celles qui ont la naïveté d’y croire.

Jean Liévin et Simon Costes

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