Gauche gouvernementale et gauche critique au service de la guerre
1er décembre 2001 Convergences Politique
Dès l’annonce par Bush de la préparation d’une riposte militaire en Afghanistan, le gouvernement Jospin a affirmé son soutien inconditionnel et s’est dit prêt à s’associer à toutes les opérations. Au point que Chirac, qui en la matière tient à s’arroger le premier rôle, ne cesse de se féliciter que son Premier ministre et lui parlent « d’une même voix ».
Tant que les Etats-Unis, peu pressés de faire une place à la France, ne lui ont demandé que de menus services (une poignée d’agents secrets qu’elle avait, paraît-il, sur place et quelques avions de renseignement), les partenaires du Parti socialiste dans la gauche plurielle se sont permis, tout en justifiant la guerre, quelques coquetteries et une ou deux manifestations pour lesquelles ils ont fort peu mobilisé.
Et les cris de joie poussés par les seigneurs de guerre de l’Alliance du Nord à l’arrivée à Kaboul, ont suffi pour qu’une bonne partie de ceux qui appelaient hier à manifester (très mollement, certes), remisent leurs timides réserves vis-à-vis de l’action américaine. Et approuvent l’envoi d’hommes de troupes et de Mirages de l’armée française, sous prétexte de mission humanitaire. Comme si depuis dix ans, de la Somalie au Kosovo, « l’humanitaire » n’était pas devenu la feuille de vigne des expéditions occidentales !
Des bombes éclairantes ?
« Au nom du Parti communiste, j’exprime la joie profonde et le soulagement que fait naître l’espoir, enfin, d’une libération et d’un retour à la paix pour le peuple afghan. Que la vie puisse reprendre, que les filles et les femmes sortent de la nuit… », déclarait le 14 novembre Marie-George Buffet, nouvelle secrétaire nationale du Parti communiste et ministre. « Un autre jour se lève après cinq ans d’une nuit obscure. […] Ce sont des bombes américaines qui auront finalement facilité la tâche… », rajoutait l’éditorialiste de l’Humanité du 16 novembre, le jour où Chirac annonçait l’envoi des troupes, ce qu’il approuvait pleinement.
Le son de cloche est le même du côté de l’autre allié du PS au gouvernement, les Verts, qui se sont félicités de « la chute du régime obscurantiste et rétrograde », réaffirmant qu’ils « n’ont pas d’opposition de principe à l’envoi d’un contingent français », pourvu que l’opération soit « humanitaire » (encore !) ou « logistique » et se fasse sous l’égide de l’ONU.
Quant au mouvement Attac, qui se veut de gauche non-gouvernementale, il se garde depuis le début de la guerre (pour ne pas créer de division dans ses rangs, semble-t-il) de prendre une quelconque position, se contentant d’affirmer que les bombardements, comme Ben Laden, sont les fruits maudits de la mondialisation.
Le mythe d’une intervention militaire propre et civilisatrice
Robert Hue avait dès le début annoncé la couleur en déclarant, juste après les attentats du 11 septembre, qu’il était solidaire non seulement du peuple américain mais également de ses gouvernants, quitte à prendre ses propres militants à rebrousse-poil. Peu lui importait qu’une petite partie d’entre eux, quelques jours plus tard à la fête de l’Huma, sifflent la minute de silence qu’on leur demandait de faire.
Et depuis le début des bombardements américains, le Parti communiste n’a cessé de dénoncer les dangers d’une escalade irresponsable, tout en affirmant qu’il n’était pas opposé à une intervention militaire. Nécessaire même, disait-il, mais sous l’égide de l’ONU et, en ce qui concerne la participation de la France, après un débat au parlement.
L’ « Appel à l’opinion » signé en commun par la plupart des organisateurs de la manifestation du 11 octobre et du 17 novembre (PCF, ATTAC, FSU, LCR, Ligue des droits de l’homme, plusieurs syndicats CGT et SUD…) exprimait quasiment les mêmes ambiguïtés. Il dénonçait les dangers d’escalade guerrière, tout en exhortant l’ONU à faire respecter sa charte, arrêter et juger les auteurs de l’attentat. Comme si l’ONU n’était pas un jouet dans les mains des grandes puissances (en premier lieu des Etats-Unis) ! Comme si l’intervention militaire pouvait changer de nature ou de but sous son égide ! Comme si la guerre pouvait être plus propre et se limiter gentiment à arrêter Ben Laden, renverser le régime des Talibans sans faire de victimes civiles, et le remplacer par un régime démocratique ! Comme si le souci de l’organisation internationale était la liberté des peuples et la justice sociale !
Quant à la direction de la CGT, elle continue certes à manifester qu’elle garde « la même inquiétude » qu’auparavant vis-à-vis de l’intervention américaine. Mais elle en appelle également à l’ONU, paravent à son ralliement, pour trouver une solution politique et économique aux problèmes du pays, aggravés encore par les destructions de la guerre. La principale confédération ouvrière, loin de s’opposer à cette guerre qui se mène de fait contre tous les opprimés du monde, loin de montrer aux travailleurs d’ici que le gouvernement et le patronat leur demanderont d’en payer l’addition, se prépare elle aussi à accepter l’envoi de troupes françaises là-bas, pour contrôler la population, surveiller les camps de réfugiés ou départager les seigneurs de guerre, pour peu qu’elles le fassent affublées d’un casque bleu.
Un couvre-chef que Bush pourrait trouver avantageux de leur donner.
Olivier BELIN
Mots-clés : Afghanistan | Gauche | USA