Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 22, juillet-août 2002

Discrimination à l’embauche : un apartheid à la française

Mis en ligne le 9 juillet 2002 Convergences Société

Parmi les mesures phares prônées par le Front national figure la « préférence nationale à l’embauche ». Tous ceux qui s’en sont indignés n’ont pas forcément conscience –et pour certains ne veulent tout simplement pas le voir – que cette « préférence nationale », à défaut de figurer dans la constitution comme le voudrait Le Pen, est déjà largement une réalité sur le marché du travail français. C’est même d’une « préférence ethnique » qu’il faut parler car elle s’exerce tout autant au détriment de personnes de nationalité française mais dont le nom ou l’apparence rappelle les origines immigrées.

Quand une note interne de chez Ikea (avril 1998) recommande de « ne pas recruter de personnes de couleur » pour la distribution des catalogues, cela défraye heureusement la chronique. Mais rares sont les cas où les employeurs ont la bêtise de formuler, qui plus est par écrit, de tels critères racistes. Cela ne les empêche pas de les appliquer de façon diffuse et silencieuse.

Un tabou statistique

La mesure du phénomène est ardue : les organismes de statistiques se voient en effet interdire, en France, contrairement à ce qui a cours aux Etats-Unis, la collecte de données relatives au type ethnique de la personne interrogée. Impossible donc de calculer, par exemple, le taux de chômage des Noirs (qui sont à la fois des immigrés qui ont conservé leur nationalité étrangère, des immigrés qui ont acquis la nationalité française, des personnes nées en France d’un seul ou de deux parents immigrés – mais souvent français – et des originaires des DOM-TOM, français depuis plusieurs générations) ou de savoir précisément si, à diplôme et expérience égaux, ils bénéficient des mêmes conditions d’emploi et de rémunération.

De même sur environ 3 millions d’enfants d’immigrés vivant dans ce pays avec leurs parents, 80% environ sont nés en France. Les données relatives au chômage des étrangers ou des personnes nées à l’étranger ne sont donc que faiblement révélatrices des phénomène de discrimination raciale. Il n’est pourtant pas anodin de relever que les taux de chômage sont généralement doubles et parfois triples pour les personnes dotées d’une nationalité étrangère hors Union Européenne. Ainsi, en 1998, le taux de chômage des moins de 25 ans est supérieur à 20% pour les Français et à 40% pour les étrangers hors Union européenne (ceux issus de l’U.E., pour beaucoup des cadres ou des petits-bourgeois, sont quant à eux moins frappés par le chômage que les Français).

Les leçons du « testing »

Le « testing » consiste à répondre à une offre d’emploi par l’envoi de candidatures équivalentes qui ne diffèrent que par l’origine ethnique du postulant. En Angleterre, deux chercheurs se sont fait passer en 1996 pour des docteurs en médecine postulant à des emplois de niveau élevé en milieu hospitalier : celui des deux qui arborait un nom à consonance étrangère a fait l’objet d’un traitement différent dans environ 50% des cas.

En France, des associations comme SOS-racisme relatent de nombreuses expériences ponctuelles mais instructives. Ainsi trois candidats postulent à un poste de manutentionnaire dans une menuiserie de Grenoble. Farid, sans expérience dans la menuiserie, est éconduit ; un autre candidat d’origine maghrébine, qui fait état d’une expérience en menuiserie, se voit demander de rappeler dans trois semaines ; le troisième, un jeune sans expérience en menuiserie mais au nom bien français, est immédiatement convoqué pour un entretien d’embauche. Autre exemple : pendant deux ans, à Lille, Abdelatif, 25 ans, DEUG d’allemand et BTS d’action commerciale en poche, adresse 93 candidatures spontanées sans décrocher aucun entretien. Il n’est pas de type physique maghrébin et demande au juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance le changement de son prénom en « Thomas ». Plusieurs entretiens lui sont alors proposés et, deux mois plus tard, « Thomas » est embauché comme assistant du directeur marketing d’une grosse PME régionale.

Le patronat se moque de la loi

L’arbitraire patronal se moque bien de la législation, ce d’autant plus qu’en dépit d’une circulaire du garde des sceaux à l’été 1998, la majeure partie des parquets continuent d’ignorer purement et simplement ce type d’infractions. Pour l’année 1999, sur 35 cas de discrimination raciale à l’embauche signalés par le MRAP, 24 n’ont reçu aucune réponse ! On trouve même sur le marché, dans une collection de management, un recueil de conseils aux entreprises pour échapper à d’éventuelles poursuites en matière de discrimination.

Un jeune stagiaire de l’agence d’intérim Adecco de la rue du Départ à Paris a pu révéler que les candidats y faisaient l’objet d’un véritable tri ethnique et se voyaient attribuer un code : de PR1 pour une « bonne présentation » à PR3 pour une mauvaise allure, et PR4 pour les « personnes de couleur ». Mais si de tels cas doivent être légion, ils sont la plupart du temps impossibles à prouver. La loi française fait reposer la charge de la preuve sur le candidat éconduit… Comment prouver que c’est en raison de critères racistes qu’une candidature a été rejetée, et non pour une autre raison ? N’oublions pas que la décision d’embauche obéit à des motivations parfaitement opaques et subjectives, allant jusqu’à l’analyse graphologique ou le recours aux astrologues. Sur un plan pénal, les employeurs n’encourent donc qu’un faible risque.

L’Etat pire que le privé

Dans les quelques cas où des employeurs sont pris la main dans le sac, on les entend souvent prétexter le racisme des clients qui les conduirait, contre leur volonté mais dans un souci de compétitivité, à limiter le recrutement des non-blancs. Un autre facteur, moins souvent évoqué, contribue puissamment à entretenir un climat propice à la discrimination raciale à l’embauche : c’est tout simplement l’attitude de l’Etat, qui en la matière donne l’exemple… mais le mauvais !

L’accès des étrangers (hors U.E.) à la fonction publique est interdit de longue date : il n’est pas inutile de le rappeler. Pourtant, ils y sont bien souvent, mais avec des statuts précaires, dévalorisés, mal payés voire sans couverture sociale : contractuels, vacataires, auxiliaires, etc. Quand, par conséquent, l’Etat lui-même maintient certains étrangers en dehors de son personnel, ou les cantonne dans des statuts inférieurs, comment pourrait-il simultanément faire appliquer une législation qui interdit aux employeurs toute discrimination fondée sur la race ou la nationalité ? Le Pen l’a d’ailleurs bien compris, lui qui souvent propose simplement, pour instaurer la préférence nationale, d’étendre à l’ensemble du marché du travail la réglementation appliquée aujourd’hui aux étrangers pour l’accès à l’emploi public.

Il omet simplement de préciser que c’est déjà en grande partie fait. Il est vrai que cette liste impressionnante que l’on trouve dans l’encadré ci-contre n’affecte guère la majeure partie des travailleurs immigrés car elle concerne des emplois du haut de l’échelle sociale auxquels ils n’ont de toute façon que peu accès. Mais cela montre néanmoins que les catégories les plus privilégiées du marché du travail ont déjà obtenu, souvent dans des périodes de crise, l’instauration de la préférence nationale réclamée par le FN aujourd’hui pour tous. Il faut d’ailleurs souligner à ce propos qu’aucune des majorités successives, de gauche comme de droite, n’a tenté ni parlé de remettre en cause ces clauses discriminatoires.

S’attaquer à l’arbitraire patronal

Pour s’attaquer à la discrimination raciale sur le marché du travail, il ne peut donc suffire de s’en remettre à l’Etat et à sa législation ni même de réclamer l’instauration d’éventuels quotas.

Pour attaquer le mal à la racine il faudrait d’abord retirer au patronat et à ses seuls représentants le pouvoir d’embaucher à leur guise. Il faudrait s’attaquer aux droits exorbitants des chefs d’entreprise, le droit de décider en toute opacité, sans rendre de compte à personne, des décisions d’embauche. Il faudrait rendre publiques les candidatures reçues, les critères de choix, les délibérations ayant abouti à une décision ou un refus. Des mesures qu’il faudrait étendre à l’Etat en commençant par retirer de la loi toute forme de discrimination envers les étrangers dans l’accès à l’emploi public et en abrogeant toute la réglementation évoquée plus haut.

En d’autres termes il faudrait instaurer le contrôle collectif des embauches par les salariés (d’origines diverses) qui pourraient confronter les différents CV, afin de s’assurer par eux-mêmes que les candidats retenus le sont pour leur aptitude et non selon des critères ethniques. Qui d’ailleurs est mieux placé que ceux qui exercent déjà un travail pour sélectionner de nouveaux collègues et s’assurer de l’honnêteté du choix ?

Certes les préjugés racistes ou xénophobes existent aussi parmi les travailleurs (n’a-t-on pas vu certains syndicats défendre l’idée que certains emplois devaient être réservés aux nationaux ?). Mais déjà le fait de soumettre toute décision à une discussion publique, et donc à permettre de combattre ouvertement des préjugés qui devraient s’exprimer eux aussi ouvertement, serait certainement un progrès. Et puis imposer un tel contrôle sur les patrons ne peut s’imaginer que comme le résultat d’un mouvement d’ensemble exceptionnel, mouvement qui en lui-même ne pourrait manquer de bousculer ces préjugés. Mouvement qui imposerait bien d’autres bouleversements en faveur du monde du travail. Or, n’oublions pas qu’à elle seule, l’éradication du chômage ne supprimerait peut-être pas la question de la discrimination à l’embauche mais en réduirait considérablement l’importance.

Julien FORGEAT


Faut-il instaurer des quotas ?

Face au racisme à la fois omniprésent et insaisissable dans l’accès à l’emploi, progresse l’idée, notamment dans des associations qui représentent ou prétendent représenter les communautés immigrées, de l’instauration de quotas. Les entreprises devraient respecter un certain pourcentage de membres des minorités ethniques dans leur personnel sous peine d’amendes ou de poursuites. C’est ce qui fut instauré aux Etats-Unis sous le nom « d’affirmative action » (traduit en français par « discrimination positive ») en faveur des minorités, un résultat de la révolte des Noirs dans les années 1960.

Cette idée peut paraître séduisante. Elle recèle pourtant plusieurs pièges, comme l’a montré l’exemple américain où la « dicrimination positive » a certes permis l’ascension sociale de certains Noirs ou Hispaniques, mais a laissé le plus grand nombre d’entre eux tout au bas de l’échelle, dans le chômage et l’extrême pauvreté. En France elle n’empêcherait pas les entreprises de cantonner les immigrés ou leurs descendants dans des emplois mal payés, peu qualifiés ou pénibles : la discrimination à l’embauche, ce n’est pas seulement une plus grande difficulté d’accès à l’emploi, c’est aussi le fait de devoir accepter des fonctions et une rémunération dégradées. D’autre part, dans un contexte de pénurie d’emploi, la mise en place de quotas offrirait un terrain idéal à l’extrême-droite et favoriserait la démagogie raciste, comme le fait d’ailleurs déjà ce type de pratiques aux Etats-Unis : « si tu n’as pas de place à l’université (ou d’emploi, ou de logement), c’est à cause de la discrimination en faveur des personnes de couleur… »


Les emplois interdits aux étrangers

En France, la loi interdit aux étrangers de nombreux emplois et fonctions : ils ne peuvent être employés dans des salles de jeu, ni exercer la profession de pilote, même dans une compagnie privée, ne peuvent ni tenir débits de boissons ou de tabac, ni exploiter cercles de jeu ou casinos, ni fabriquer ou commercialiser armes et munitions, ni diriger une entreprise de spectacles, ni un établissement privé d’enseignement technique, ni un établissement privé de recherches, ni exercer à titre indépendant ou comme dirigeant des activités de surveillance, de gardiennage ou de transports de fonds.

Ils ne peuvent ni diriger un périodique, ni un service de communication audiovisuelle, et sont même exclus des comités de rédaction de toute publication destinée à la jeunesse. Ajoutons à cela toutes sortes de métiers des transports, des assurances, de la bourse et du commerce. Quant aux professions de santé, médecins, chirurgiens dentistes et sage-femmes se voient astreints à une double condition de nationalité française et de possession d’un diplôme d’Etat français (sous réserve de conventions internationales) : le ministère de la santé n’accorde les dérogations que sous forme d’un quota annuel d’étrangers ! Pharmaciens et vétérinaires sont grosso modo soumis aux mêmes règles.

Les étrangers sont également exclus des professions d’architecte, de géomètre-expert, d’expert-comptable, de notaire, d’huissier, de commissaire-priseur, d’administrateur judiciaire et même d’avocat, là encore à certaines exceptions.

Mots-clés :

Réactions à cet article

  • je tiens à exprimer mon grand dégoût face à l’article que je viens de lire :« les emplois interdits aux étranger ». je trouve hypocrite de la part des autorités française de créer des lois contre les étrangers qui veulent exercer certaines professions alors que les français sont libres d’exercer n’importe quelles professions à l’étranger. C’est vraiment équeurant cette discrimination de l’embauche !!!Si c’est ça les lois d’un pays qui,prône la liberté, l’égalité et la fraternié, franchement il est loin de toutes ces valeurs.

    Réagir à ce message

  • Bonjour, je veux apporter mon témoignage suite à votre article qui remet les pendules à l’heure. Si la diffusion de cette réalité était + large, je crois que nous arrêterions d’entendre : « Les Arabes sont des fainéants ». Je suis d’origine étrangère et ça fait plusieurs mois que je cherche du travail sans succès. Les autres participantes de ma formation ont trouvé assez rapidement un poste. Les trois quarts n’ont pas mon niveau scolaire (Maîtrise). Autour de moi, les histoires se ressemblent : diplômés Bac +3,4,5 et on ne nous propose rien. C totalement déprimant, ça nous fait vraiment perdre confiance dans ce pays. Dans le cocon de l’université, on ne se doute de rien. Arrivés dans la jungle de l’emploi, c le choc. En février-mars, c le RMI qui m’attend...

    Réagir à ce message

Imprimer Imprimer cet article