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Argentine : la révolte peut-elle devenir révolution ?

4 janvier 2002

En à peine dix jours, les mouvements de colère de la population argentine ont fait tomber deux gouvernements et deux présidents, dont l’un n’a pas tenu plus d’une semaine.

Une explosion qui vient de loin

La décision du FMI de refuser de débloquer de nouveaux crédits était destinée surtout à rappeler qu’en ces temps de ralentissement économique mondial la note sera salée pour les pays pauvres.

Cette crise ne fut donc pas réellement une surprise. Depuis quelques semaines les riches argentins ont pu se réfugier à l’étranger ou dans les luxueuses stations balnéaires de La Plata. Ils avaient eu le temps de voir venir : 42 mois de récession, 13 millions de pauvres sur 37 millions d’habitants, 2 000 personnes passant quotidiennement sous le seuil de pauvreté. D’un autre côté 20 % des riches possèdent 53 % des richesses du pays et on estime l’évasion des fortunes à plus de 130 milliards de dollars.

En seulement 48 heures, la chute de Cavallo, le très détesté ministre de l’économie, puis de De La Rua le président de la République a mis un terme à la parenthèse « réformiste » du Front pour un Pays Solidaire (FREPASO) allié au parti radical UCR initiée en décembre 1999. Mais il aura fallu 740 jours de mandat de De la Rua, quatre ministres de l’économie, sept plans d’austérité, huit grèves générales, des centaines de coupures de routes par les piqueteros (chômeurs qui forment des barrages) et deux insurrections en province pour mener à la crise politique actuelle nourrie de l’exaspération de la population et de l’impuissance des gouvernants.

Une semaine avant la chute du gouvernement, une grève générale dans la capitale s’était déroulée, sur l’initiative des deux CGT, sur des mots d’ordres très loin des préoccupations des travailleurs : arrêt de la parité du peso et du dollar et dévaluation... en gros donc baisse du niveau de vie de la classe ouvrière. Les travailleurs à près de 70 % ne sont pas allés au travail, mais lassés par les discours des bureaucrates se sont rendus peu nombreux aux manifestations. Et, chose nouvelle, pour la première fois les petits commerçants ont baissé les stores. Les pillages de supermarchés (notamment Carrefour) dans les quartiers pauvres ont alors commencé. Il ne s’agissait pas seulement de bandes mais de familles, d’ouvriers récemment licenciés et de gens qui ont basculé du jour au lendemain dans la pauvreté absolue. Car ce qui donne une dimension nouvelle à cette crise c’est l’effondrement de pans entiers des classes moyennes, ce socle naturel de la « nouvelle démocratie » argentine depuis la fin de la dictature en 1983

Une crise révolutionnaire ?

L’annonce de l’état de siège le mercredi 19 décembre, a vu des milliers de personnes converger vers le centre de Buenos Aires, en défiant une police de sinistre réputation. Simultanément 11 provinces du pays et les principaux centres urbains étaient traversés par la même colère. La foule s’attaquait aux villas des politiciens, des membres du gouvernement. En tout à ce jour on compte plus de 30 morts (dont beaucoup d’adolescents pauvres tués par les forces de l’ordre pendant les pillages, mais aussi un bébé), près de 3 000 arrestations, des milliers de blessés, des centaines magasins pillés et de banques saccagées. Mais au-delà du désordre, complaisamment souligné par la presse, tout ne fut pas chaos. Les livreurs et coursiers en motos ont aidé les manifestants en signalant les mouvements de la police ; les manifestants ont organisé la défense mais aussi des contre-attaques contre les charges de polices ; dans certains quartiers la population a essayé d’organiser l’approvisionnement.

La presse de Buenos Aires évoque la République de Weimar de l’Allemagne des années 20 et l’extrême gauche argentine parlent de « crise révolutionnaire ». On parle d’élections en mars 2002. Mais si la voie constitutionnelle échoue à canaliser la colère populaire, il n’est pas sûr que les classes dirigeantes s’en tiennent là. Elles ne reculeront devant aucun moyen pour rester au pouvoir. L’histoire y compris récente du pays en porte témoignage.

Pour l’instant le prolétariat n’est pas intervenu indépendamment, même si les travailleurs étaient massivement dans les manifestations. C’est la seule classe qui a pourtant la densité politique pour transformer la révolte en révolution, seule possibilité pour sortir du marasme et écarter les différentes solutions, parlementaires ou militaires, qui n’en sont pas en tout cas pour les pauvres. Mais pour que le pays prenne cette voie il faudra d’abord que la classe ouvrière se donne une organisation à elle et se débarrasse de l’emprise des organisations politiques et syndicales traîtres qui prétendent la représenter. L’extrême gauche, notamment trotskiste, a une longue tradition en Argentine. Au mois d’octobre pour la première fois cette extrême gauche, bien que divisée, a obtenu près d’un million de voix, presque 20 % à Buenos Aires. Même si ça ne lui est certainement pas facile, trouver les moyens et la politique pour se gagner les forces vives du monde du travail n’est pas impossible. C’est en tout cas notre espoir.

Tristan KATZ

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