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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 128, septembre-octobre 2019 > DOSSIER : Crise écologique, leurs solutions et les nôtres

À bas le capitalisme vert !

17 septembre 2019 Convergences Société

Stimulée par les manifestations lycéennes, l’offre politique ne manque pas pour un « capitalisme vert », à visage humain ou pas. Chaque parti bourgeois, à l’exception pour l’instant de l’extrême droite, « verdit » sa politique sur fond d’urgence climatique. Ceux qui se sont portés à la tête de la contestation semblent apprécier d’être caressés dans le sens du poil. Y croient-ils ? En tout cas ils ne dénoncent pas clairement les faux-semblants des principaux organisateurs du pillage capitaliste de la planète, préférant une stratégie d’interpellation des différentes institutions gouvernementales ou internationales.

Ce positionnement découle du choix politique fondamental de ne pas remettre en cause le capitalisme lui-même. Interrogée fin juillet par Libération, Greta Thünberg s’est défaussée : « avoir une opinion sur le capitalisme nécessite de prendre en compte autre chose que le climat. J’essaye d’éviter ça. »

Ce genre d’agnosticisme pourrait conduire les jeunes manifestants à servir contre leur gré de prétexte pour des politiques prétendument vertes mais réellement anti-sociales. Un danger qui se manifeste déjà dans certaines mesures du programme adoptées par les associations à la tête du mouvement en Allemagne, éléments d’un programme vert qui retomberait sur les plus pauvres [1].

Un enfer capitaliste… vert ?

Côté patronal, on se prépare à ce virage vert du capitalisme qui est loin d’être une simple contradiction dans les termes mais bien une des politiques possibles de la bourgeoisie, qu’il s’agit de combattre en tant que telle.

Même les majors américaines du pétrole qui financent les climato-sceptiques et soutiennent Trump investissent en parallèle dans les énergies renouvelables. À la fois pour soigner leur image (greenwashing), mais aussi parce qu’un marché « vert » existe déjà et est en plein essor. Si la transition énergétique devenait rentable, elle pourrait bénéficier de tout l’arsenal juridique et administratif nécessaire pour la faire payer aux travailleurs et à la population pauvre, arsenal mis en place depuis des années dans les différentes COP : taxe carbone, finance verte sous perfusion de l’État, mécanisme de droits de propriété étendus sur la nature, subventions publiques pour abandonner les énergies fossiles et licencier massivement les travailleurs de branches condamnées [2], etc.

Le capitalisme a déjà fait la preuve de ses capacités d’adaptation. Il n’est pas forcément incapable de résoudre partiellement ou de contenir le problème climatique qu’il a engendré [3]. Certainement pas au bénéfice de l’humanité tout entière, mais uniquement des minorités riches ou productives, quitte à laisser des populations dans un dénuement total – comme c’est déjà le cas aujourd’hui. Le capitalisme pourrait survivre au problème climatique, mais à sa manière barbare. Les discours malthusiens en vogue des « collapsologues » donnent une idée de l’ampleur que pourrait prendre un tel recul.

Un tel virage du capitalisme vers des énergies décarbonées, s’il avait lieu, n’en ferait pas un mode de production réellement « vert ». Les mesures capitalistes mises en œuvre pour contenir le changement climatique prépareraient en fait le terrain à d’autres problèmes écologiques sur une échelle encore plus grande à l’avenir. Qu’on pense à la voiture électrique [4] ou au nucléaire.

Il est nécessaire de s’opposer par avance à une telle évolution même si elle est encore loin d’être déjà adoptée par la grande bourgeoisie. Affirmer simplement que « le capitalisme est incapable de résoudre la crise climatique » pourrait conduire à imaginer que la prise de conscience écologiste déboucherait automatiquement sur un programme menaçant les intérêts du capital. Une illusion, alors que les révolutionnaires doivent affûter leurs arguments contre le capitalisme vert et ses traductions politiques.

Macronisme vert

Les postures écolos de Macron ne feront pas diminuer la pollution à l’arsenic dans l’Aude, ni baisser les émissions de CO2 largement supérieures aux engagements pris lors de la COP21. Si son verdissement devait un jour se traduire en actes, il accoucherait par exemple d’une nouvelle mouture de « taxe carbone », celle-là même qui a déclenché en novembre dernier la saine réaction des Gilets jaunes.

Il est certainement difficile pour le gouvernement d’annoncer de but en blanc une nouvelle augmentation des taxes à la pompe, impôt indirect qui pèse sur les plus pauvres, dans la foulée de ce mouvement dont les braises couvent encore. D’autres formes plus discrètes sont à l’étude, comme une taxe sur les biens intermédiaires ou sur les sources d’énergie utilisées dans la production. Dans ce cas, le patronat répercuterait le surcoût sur les prix des biens de consommation, faisant ainsi reposer l’effort sur l’ensemble de la population. Ce genre de mesures, payées essentiellement par les travailleurs, ne représenterait même pas une « incitation » réelle à moins polluer ou à engager des investissements verts. Exactement comme les mécanismes de type « finance verte » mis en place dans les COP ont tourné à la farce, nouveaux marchés spéculatifs ou occasion pour quelques petits malins d’empocher des subventions déguisées [5].

« New deal » vert

À gauche, l’opposition tente la recette du capitalisme bienveillant, avec servitude volontaire des bureaucraties réformistes. Ce que d’aucuns appellent « la relance verte ». Inspirés par la campagne de Bernie Sanders aux États-Unis, les Verts, la France Insoumise ou les restes du PS mettent en avant un new deal vert, en se référant au plan mis en œuvre par le président américain Roosevelt pour sortir de la grande dépression dans la deuxième moitié des années 1930 : subventions et commandes d’État au patronat d’un côté, austérité et sacrifices pour les travailleurs de l’autre, pour une relance de l’économie qui ne s’est faite en réalité que par la guerre de 1939-1945.

Ces promesses de « relance verte » des affaires du patronat aux frais de l’État ne peuvent que se traduire par une forme « d’austérité verte » pour les travailleurs. Et si ces discours s’accompagnent en général d’une dénonciation lénifiante des inégalités ou de déclarations sur la transition « juste », c’est pour promettre la taxation des « mauvais » profits financiers ou spéculatifs, un moyen d’encourager le « bon » profit – celui qui provient plus directement de l’exploitation du travail salarié.

Les bureaucraties syndicales s’en mêlent

Puisque le mouvement des jeunes a pris la forme de manifestations, les appareils syndicaux se positionnent en réserve au cas où il deviendrait nécessaire de les encadrer. La CGT s’est contentée d’appeler, pour l’instant mollement, à descendre dans la rue aux côtés des jeunes les 20 et 27 septembre. En Allemagne, où le mouvement est plus puissant qu’en France, IG Metall a déjà rassemblé fin juin à Berlin plusieurs dizaines de milliers de ses adhérents sous le mot d’ordre « pour un changement juste face au changement climatique », avec un discours de collaboration de classe repeint en vert, mais qui oppose tout de même l’emploi à l’environnement – tout comme le patronat.

Derrière ces opérations politiciennes de récupération et tout ce qu’elles peuvent avoir de ridicule, le patronat distille les arguments pour défendre ses intérêts. Campagne idéologique pour démontrer que les mécanismes de marché et les droits de propriété pourraient protéger la nature ; licenciements au nom de la transition énergétique – parfois menés simultanément à des chantages à l’emploi pour maintenir des activités archi-polluantes plutôt que d’investir un peu pour moderniser ; demandes de subventions publiques pour se lancer dans de nouvelles activités « vertes » : solaire, batteries, éolien, voiture électrique – ces investissements seraient de fait financés par la société, mais s’ils devenaient rentables, pas de doute, les profits resteraient privés.

Il n’est pas dit que ces pyromanes parviendront à se faire passer pour des pompiers. La prise de conscience écologique, accentuée par le mouvement des jeunes, gagne peu à peu différentes couches de la société, y compris les classes populaires contrairement à un préjugé répandu. Et c’est tant mieux, car les travailleurs, en défendant politiquement leurs intérêts de classe, auraient des solutions à apporter à la crise écologique qui seraient bien plus bénéfiques à l’humanité tout entière qu’un nouvel âge vert de la barbarie capitaliste.

R. P.


[3Voir le dossier « COP 21 : avec de tels sauveurs la planète est mal barrée » de Convergences révolutionnaires, no 102.

[4Voir l’article « Les dévastations de la course au lithium, au cobalt et au nickel » de Convergences révolutionnaires, no 116.

[5Beaucoup d’exemples et de raisonnements sur ces mécanismes dans le livre L’impossible capitalisme vert de Daniel Tanuro, 2011.

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