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Venezuela : Le tribun, le pétrole, l’impérialisme... et le prolétariat

18 décembre 2002

La grève du secteur pétrolier au Venezuela entrait lundi dans sa troisième semaine. Depuis le 2 décembre elle paralyse la production de brut (80 % des exportations du pays), avec l’objectif de renverser le président Hugo Chavez. D’autres catégories s’y sont jointes : marine marchande, banques, commerçants, toute une partie de l’administration etc.

Les organisateurs de la grève, autoproclamés « société civile », regroupent la direction de la compagnie pétrolière nationale PDVSA, le syndicat patronal Fedecamaras, les grands groupes de presse et la hiérarchie catholique, mais aussi la très corrompue Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV). Les massives manifestations anti-Chavez, qui l’accusent d’imposer une dictature « castro-communiste », mobilisent d’abord la petite bourgeoisie. Mais le mouvement semble également suivi par nombre de travailleurs. Il faut dire que les patrons leur paient les jours de grève… Et le porte-parole des grévistes du pétrole est un des dirigeants de la compagnie pétrolière nationale ! En face, les manifestations de soutien à Chavez sont comparables en nombre, mais nettement plus populaires.

Un des arguments des « chavistes » est que leur leader a été démocratiquement élu. C’est vrai, mais ça n’est pas tout à fait sa faute : en 1992, c’est par un coup d’Etat – raté – que le lieutenant-colonel de parachutistes Chavez avait voulu prendre le pouvoir. Emprisonné puis libéré, il est finalement arrivé à ses fins par les urnes en décembre 1998, surfant sur les espoirs de la population d’un pays où 80 % vivent en dessous du seuil de pauvreté, tout en profitant du discrédit des deux partis traditionnels ayant à leur actif plus d’une répression sanglante d’émeutes de la faim. Réélu depuis avec des scores quasi chiraquiens, Chavez contrôle fermement l’Assemblée. Et surtout l’armée, du moins jusqu’à présent. Depuis quatre ans, développant une rhétorique populiste, il a non seulement inféodé les partis classés à gauche ou à l’extrême gauche, mais il bénéficie du soutien de « cercles bolivariens » dans les quartiers les plus pauvres. Sa démagogie prend des tonalités sociales, anti-impérialistes ou anti-américaines (il a rendu visite à Castro ou Saddam Hussein), mais joue encore sur d’autres registres : en arrivant au pouvoir, il avait invité l’Eglise catholique à le rallier, « afin qu’ensemble nous nous consacrions aux luttes pour le Christ ». Sa principale mesure sociale a consisté en décrets-lois menaçant les grands propriétaires d’imposer, voire de réquisitionner, leurs terres laissées en friches (60 % de la surface cultivable sont au mains de 1 % des propriétaires). Mais la réforme agraire est toujours en suspens.

Par contre, Chavez a mis en chantier l’ouverture du marché des télécommunications (devant rapporter plusieurs centaines de millions de dollars), ainsi que la création de fonds de pension. C’est peut-être dans la perspective de ces réformes qu’il faut comprendre la « révolution atypique » de Chavez comme la caractérise un de ses ministres, une révolution « ni socialiste, ni communiste, car dans le cadre du capitalisme, mais radicale et induisant de profonds changements de structure économique  » ! Un « cadre capitaliste » qui prive évidemment le « radicalisme » chaviste de toute efficacité : une de ses lois par exemple, qui décrétait une augmentation des salaires de 20 %, s’est surtout traduite par des licenciements massifs. La population active compte d’ailleurs 15 % de chômeurs, et 54 % des travailleurs ne survivent que dans l’économie informelle.

Mais dans un pays qui est le cinquième producteur mondial de pétrole et le troisième fournisseur des USA, la politique de Chavez – et plus probablement la relative imprévisibilité de son régime – suffisent à susciter une opposition féroce qui ne manque pas de conseillers nord-américains ! En avril dernier, suite à des projets de remaniements de l’équipe dirigeante de l’industrie pétrolière, ladite « société civile » avait réussi à démissionner Chavez. Les Etats-Unis (et l’Union européenne) n’avaient eu que le temps de féliciter son successeur, avant que des manifestations populaires… et le soutien de l’armée ne le remettent en place 48 heures plus tard. C’est un scénario similaire qui semble se reproduire aujourd’hui. A ceci près que, selon certains officiels, la perspective de la guerre en Irak rendrait l’administration Bush plus impatiente de se débarrasser du « problème Chavez ».

Ce qui est sûr, c’est que le pétrole rend le bras de fer actuel plein d’enjeux pour l’impérialisme. Mais les intérêts de la population que les deux camps tentent d’enrôler ne se trouvent visiblement ni dans le camp des représentants, même prétendus syndicalistes, du patronat vénézuélien, ni dans celui du dictateur populiste.

Benoît MARCHAND

Réactions à cet article

  • Camarades Veuillez pardonner le ton de ma réaction écrite, mais c’est avec consternation que j’ai lu votre article sur le Vénézuéla. Que vous ne soyez pas d’accord avec Chavez, passe encore et je le comprends aisément (moi-même je ne me définit nullement comme « chaviste ») . Mais que vous ne souteniez pas le processus d’auto-organisation des masses et la défense d’un régime qu’elles ont choisi contre les agressions fascistes et impérialistes, là, pas d’accord ! De plus, le qualificatif final de Chavez comme « dictateur populiste » est tout bonnement absurde. Dans votre article d’ailleurs rien ne soutient cette affirmation purement gratuite. J’ai été présent un mois au Vénézuéla : il n’y a pas un seul prisonnier politique, aucun média (même ceux qui sont mouillé jusqu’au cou dans le coup d’Etat) n’a été interdit, les masses et les travailleurs s’organisent librement, etc. Alors, où est le « dictateur populiste » ? La récente « grève » (en fait un lock-out patronal) dans le secteur pétrolier est un échec cuisant pour l’opposition oligarchique. S’il est vrai que les travailleurs étaient auparavent forcés d’accepter ces grèves patronales (sous menace de licenciement), aujourd’hui ces mêmes travailleurs ont fait échec et mat à la bourgeoisie en prenant le contrôle des entreprises et en redémarrant la production. Quant à la petite phrase assassine sur les « scores chiraquiens » de Chavez, elle est totalement déplacée. La comparaison est boiteuse et douteuse car les scores de Chavez traduisent une réelle adhésion des masses et non un vote « par défaut » ou de « protestation ».

    En espérant que votre point de vue sur la situation vénézuélienne évoluera positivement. Salutations révolutionnaires Ataulfo Riera

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    • Cher camarade, Concernant le qualificatif de « dictateur populiste » : Sans doute, comme tu le soulignes Chavez a été jusqu’à présent plus respectueux des libertés démocratiques que bien d’autres chefs d’Etat du Tiers-monde. Le terme de « dictateur » n’était donc pas justifié. Dont acte. Chavez n’en appuie pas moins son pouvoir sur une armée dont il est issu, dont il dépend étroitement, qui a failli le porter au pouvoir en 92, et qui l’a sauvé - au moins autant que les manifestations populaires - du putsch d’avril dernier. Reste à savoir jusqu’à quand. Il fait régner l’ordre dans un pays écrasé par la pauvreté, dans lequel il ne remet nullement en question l’ordre social : il s’est au contraire attelé à des réformes libérales importantes, comme celles auxquelles nous faisons allusion dans l’article. Certes, il prétend aussi s’attaquer à des problèmes de fond pour la population pauvre, comme la réforme agraire. Mais en ce domaine, il ne va pas beaucoup au-delà de déclarations ou de mesures symboliques (ce qui lui est d’ailleurs interdit par ses choix politiques fondamentaux). C’est en cela qu’il est populiste, sans même parler de ses mœurs politiques démagogiques ou des ses grands shows télévisés hebdomadaires.

      Ensuite une réponse sur le fond : nous ne pensons pas qu’on assiste, pour reprendre ton expression, à « un processus d’auto-organisation des masses » vénézuéliennes, qui accompagnerait le régime de Chavez. Pour autant que l’on puisse en juger à distance, s’il est vrai que ce régime bénéficie dans la population d’un soutien réel, il n’est pas pour autant l’expression d’une participation plus active des pauvres ou des travailleurs à la vie politique. Les Cercles Bolivariens notamment semblent être des structures impulsées par le pouvoir, où l’on retrouve des militants des organisations politiques qui le soutiennent, voire des militants « associatifs », mais encore une fois pas une forme d’auto-organisation de la population. D’ailleurs, même le consensus populaire autour de Chavez semble s’être sérieusement affaibli depuis quelques mois. Plus important, s’il est clair que la grève actuelle est dirigée par la bourgeoisie, et si des travailleurs se laissent entraîner ou restent passifs, ce ne peut être que le résultat d’une certaine désillusion ou d’un mécontentement à l’égard du pouvoir. Et lorsque tu écris : « […] aujourd’hui [les] travailleurs ont fait échec et mat à la bourgeoisie en prenant le contrôle des entreprises et en redémarrant la production », ça ne semble pas correspondre à la réalité. Cela dit, nous sommes du côté de Chavez dans son affrontement avec l’impérialisme américain. De la même façon que nous sommes du côté d’autres régimes de pays agressés par l’impérialisme (dont beaucoup n’ont pourtant rien de progressiste). Peut-être ne l’avons-nous pas suffisamment fait ressortir dans l’article. Pour autant, Chavez est un nouveau représentant du nationalisme dans les pays pauvres, qui même baptisé « de gauche », a mené dans le passé et ne peut mener à l’avenir qu’à des impasses. Et nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui prétendent qu’il représenterait, même de façon déformée, les intérêts du prolétariat et des masses populaires vénézuéliennes. Celles-ci ne pourront se libérer de leur oppression que par un réel « processus d’auto-organisation », et pas en suivant un leader qui, quoi que certains en disent, ne s’en prend pas à l’ordre bourgeois.

      Salutations communistes.

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      • Nous sommes en mars 2004 et l’histoire répond peu à peu à nos interrogations légitimes sur le régime du président Chavez :

        • la démocratie s’y perpétue malgré les coups données par la bourgeoisie et l’Eglise, tandis que les Etats-unis qui n’en peuvent mais, affinent les moyens qu’ils peuvent mettre sans trop apparaître, à la disposition des « contras ».

        On ne peut critiquer de manière systématique toute tentative de résister à la bourgeoisie ! Chavez serait « populiste », « démagogique » il « s’appuie sur l’armée », a fait appel à une partie de l’Eglise Etc...

        je crois qu’il défend les humbles, qu’il offre un cadre démocratique réel, face à un environnement extrêmement hostile

        Ce régime mériterait plus d’encouragement de la part des forces anticapitalistes, notamment en France.

        On ne fait pas la Révolution avec un bouquin doctrinal sur les genoux !!

        que ferions-nous nous même !!!! On a tellement peur d’être complices des « bureaucraties » et des démagogies qu’on en viendrait à dénigrer toute action réelle de politique en faveur des plus démunis

        le purisme, il faut s’en méfier

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        • Cher camarade,

          nous sommes d’accord avec un certain nombre de tes constats. Malgré le harcèlement de l’opposition bourgeoise, qui bénéficie du soutien des Etats-Unis, le régime de Chavez semble maintenir un cadre plus démocratique que nombre de pays voisins. (Des organisations comme Human Rights Watch ou Amnesty International dénoncent des cas d’arrestations arbitraires et de brutalités de la part de la police vénézuelienne. Mais dans ce climat de tension sociale, il semble que la violence vienne largement autant des propriétaires terriens que de l’Etat chaviste : plusieurs dizaines de paysans pauvres auraient ainsi été assassinés depuis 1999 par les « terratenientes ».) Par ailleurs, le soutien de la majorité de la population à Chavez, dont on pouvait se demander s’il n’allait pas finir par manquer au moment où l’article a été écrit, semble rester important, surtout parmi les couches les plus pauvres.

          Nous sommes d’accord aussi sur le fait que face à la pression bourgeoise et impérialiste, les révolutionnaires doivent se déclarer solidaires du régime de Chavez. Le défaut principal de notre article était peut-être de ne pas s’exprimer assez clairement là-dessus.

          Pas d’accord en revanche avec la conclusion implicite de ton message. « On ne fait pas la Révolution avec un bouquin doctrinal sur les genoux !! », écris-tu. Mais penses-tu sérieusement que Chavez « fasse la Révolution » ? Certes, sa loi sur la réforme agraire accompagne des occupations de terres - et là encore, nous sommes évidemment solidaires de ceux qui les font. Mais sur une structure de répartition des terres aussi inégalitaire, le « paquet » des lois chavistes n’a semble-t-il qu’un effet marginal.

          Chavez effraie les classes moyennes, mais - malgré ses déclarations - il ne s’en prend pas au grand capital. Pour cette raison, son régime ne peut pas représenter une solution aux problèmes des masses pauvres. C’est pourquoi nous le maintenons : oui, c’est un démagogue.

          Depuis plus d’un demi-siècle et le début des révolutions anti-coloniales, des nationalistes radicaux du Tiers-monde ont tenté de mener des politiques à la fois anti-impérialistes et bourgeoises. Sous des formes différentes, de la Chine à Cuba, de l’Algérie au Chili d’Allende... Ces régimes se sont révélé des impasses pour leurs peuples. Le discrédit des idées communistes (longtemps utilisées par ces nationalistes de gauche) et la montée de courants ultra-réactionnaires - comme les extrémismes religieux - dans une large partie du monde sont dans une mesure certaine dus à leurs échecs. C’est pourquoi, tout en nous déclarant du côté de ces régimes contre le colonialisme et l’impérialisme, nous nous sommes toujours refusés à nous aveugler sur leur nature. Comme nous refusons de nous aveugler sur l’expérience chaviste. Ca n’est pas une question formelle, de « purisme » comme tu dis : c’est LA question au contraire de ce que fondamentalement nous voulons défendre et construire.

          Salutations communistes.

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