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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 106, juin-juillet-août 2016 > Dans les entreprises

Recyclage des terres rares : la « chimie verte » à l’épreuve de la rentabilité

27 septembre 2012 : l’usine Solvay de Saint-Fons en banlieue lyonnaise reçoit en grande pompe. Sous le barnum, élus locaux et dirigeants du groupe savourent le champagne en présence des nombreux journalistes sollicités pour l’occasion. Solvay inaugure son activité de recyclage des terres rares baptisée Coléop’terre, deux unités industrielles dans les usines de Saint-Fons et La Rochelle.

Janvier 2016 : barnum et petits fours sont loin. Les journalistes beaucoup moins sollicités. À peine quatre ans après leurs inaugurations, Solvay annonce beaucoup plus discrètement l’arrêt de ses unités de recyclage et la destruction de 51 emplois. Entre-temps la rentabilité aura repris ses droits sur l’écologie…

Solvay, groupe belge qui emploie 26 000 personnes dans le monde fournit déjà des terres rares, pour le marché des poudres luminophores et des pots catalytiques. À partir de 2008, le prix des terres rares s’envole, comme le terbium dont la valeur est multipliée par neuf en deux ans. L’hypothèse d’une bulle spéculative est dès cette époque la plus probable. Néanmoins le chimiste flaire une bonne affaire en développant un marché des terres rares recyclées en lien avec les fabricants d’ampoules basse consommation.

L’intérêt écologique d’une technique de recyclage est réel puisque, même si la filière de recyclage des ampoules existait bel et bien, il était partiel : une fois le verre valorisé, les terres rares usagées, elles, finissaient leur vie… en décharge. La caution « chimie verte » est une aubaine pour la communication du groupe. Les chimistes sont des grands adeptes du greenwashing et dépensent des fortunes pour faire oublier leurs cheminées fumantes à coup d’images d’enfants courant dans l’herbe.

Cette noble cause va surtout permettre à l’industriel qui cette année-là distribue 271 millions d’euros de dividendes, d’obtenir de l’argent public du fonds européen life+, et du pôle régional de compétitivité Axelera. À ces aides directement liées au développement durable, il faut aussi ajouter les Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et Crédit d’impôt recherche (CIR), dont Solvay n’oublie pas de profiter largement.

L’image du groupe créateur d’emplois est pourtant à relativiser sérieusement. En cette même année, le seul site de Saint-Fons avait vu en dix ans ses effectifs divisés par deux avec la destruction de plus de 300 emplois. Au moment même où Solvay faisait sonner les trompettes pour l’inauguration de Coléop’terre, plus de 20 emplois étaient supprimés avec l’arrêt des derniers ateliers de la partie sud de l’usine, faisant de la zone une immense friche industrielle. Le démarrage de Coléop’terre n’aura en réalité que stabilisé temporairement les effectifs du site.

À Saint-Fons on peut affirmer que la première chose recyclée par cet atelier aura été des salariés dont le poste avait été récemment supprimé !

10 millions de com pour 15 millions d’investissement seulement

Les 15 millions d’euros d’investissement annoncés par Solvay pour la mise en place de cette nouvelle activité sont en réalité assez modestes pour un projet industriel. En comparaison, l’opération de communication pour les 150 ans du groupe avait coûté à elle seule 10 millions d’euros.

La recherche du moindre coût a été permanente. La nouvelle installation de Saint-Fons est montée dans un bâtiment des années 1970, partiellement désamianté pour l’occasion, qui abritait une unité de fabrication jusqu’en 2005. Solvay n’a pas hésité à recycler aussi des appareils anciens, laissés désaffectés au gré des fermetures d’ateliers. Ce choix aura des conséquences pour la sécurité des opérateurs : un séchoir réemployé, et donc pas directement adapté au produit, nécessitait de nombreuses et dangereuses opérations de nettoyage. C’est lors d’une de ces tâches qu’un jeune intérimaire aura la main droite arrachée en février 2013. Ce grave accident n’a pas empêché Solvay de faire redémarrer l’atelier seulement quinze jours après, sans autre intervention qu’un « rappel des consignes de sécurité ». Il a fallu attendre plus d’un an pour qu’une modification soit entreprise sur l’appareil en cause, pour supprimer la tâche de nettoyage.

Cet accident a mis aussi en lumière l’importante proportion d’intérimaires dans les premiers mois du démarrage et a contraint Solvay à embaucher, mais pas à hauteur du supplément d’effectifs habituellement nécessaire à un démarrage d’atelier, d’autant plus avec un procédé encore expérimental. D’où les conditions de travail difficiles pour les opérateurs lors des premiers mois de fonctionnement.

Avec ce démarrage à l’économie le chimiste anticipait-il la fragilité de son activité de recyclage ?

La bulle se dégonfle… les postures écolos aussi

Depuis les prix des terres rares se sont effondrés avec des pertes de valeur pouvant aller jusqu’à 80 % pour certains minerais. Le marché des ampoules basse consommation, ou « fluo-compactes », à base de poudres luminophores est concurrencé par la technologie LED, moins gourmande en terres rares, et le discours de Solvay devient plus prosaïquement celui d’un capitaliste en mal de profit. Philips et Osram, les fabricants d’ampoules, ont aussi sorti leurs calculettes et rechignent désormais à acheter un produit issu du recyclage dont le prix est désormais moins intéressant pour garantir leurs propres profits, alors même qu’ils développent de leur côté les lampes à LED.

Avant même l’annonce officielle de l’arrêt des ateliers, en janvier 2016, Solvay a mis en œuvre des procédures de reclassement pour les 51 postes supprimés. Le martelage d’arguments économiques se voulant imparables et l’assèchement récurrent de l’atelier en matière première ont créé un profond sentiment de résignation face à cette fermeture. Seul le syndicat CGT a revendiqué le maintien de l’activité.

Le Coléop’terre : espèce déjà disparue

Parmi les opérateurs, qui sont nombreux à avoir déjà vécu une, voire plusieurs fermetures d’ateliers, on regrette la disparition d’un outil qui était enfin devenu opérationnel. D’autres, marqués par les mauvaises conditions de travail ne cachent pas leur envie de tourner la page. Plus généralement c’est un nouveau coup dur pour l’emploi dans le secteur. Solvay, en bon groupe capitaliste, n’est intervenu dans cette filière de recyclage que pour profiter de sa rentabilité passagère et accroître ses profits.

Pourtant les techniques et savoir-faire développés à cette occasion ont un réel intérêt pour l’ensemble de la société. Même si l’usage des poudres luminophores à base de terres rares semble en déclin avec la disparition attendue des ampoules fluo-compactes, l’emploi des terres rares ne cesse de se développer dans différents secteurs, de la production de pots catalytiques à celle de l’énorme aimant d’une éolienne.

Le recyclage fait aujourd’hui l’objet de nombreuses expérimentations de par le monde, mais l’arrêt de l’activité Coléop’terre montre à quel point une véritable mise en œuvre à l’échelle industrielle reste soumise aux seuls impératifs de rentabilité du capital. En attendant que les travailleurs se placent aux commandes de la société, les terres rares usagées continueront à prendre le chemin de la décharge.

4 juin 2016, Rafi HAMAL


Des terres rares ni « terres » ni « rares »

Les terres rares sont un ensemble de 16 à 17 métaux (entre autres le cérium, le lanthane, le néodyme, parmi les plus utilisés), pratiquement toujours associés dans leurs gisements dans la nature et aux propriétés chimiques très voisines. Depuis les années 1950, l’usage des terres rares n’a cesser de se développer au fil des innovations technologiques. Les applications sont très diverses : poudres luminophores, catalyse, batterie NiMH, poudre de polissage… Aujourd’hui c’est dans la fabrications d’aimants permanents que la demande de terres rares est la plus importante, grâce à leur efficacité dans les moteurs et générateurs électriques. Une seule éolienne en contient jusqu’à 600 kg !

Malgré une présence en abondance dans l’écorce terrestre, les principaux gisements de terres rares exploités se trouvent en Chine. Depuis l’arrêt de la production américaine en 2002, la Chine assure 90 % de la production mondiale. Cette hégémonie attise l’intérêt pour les procédés de recyclage.

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