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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 71, octobre 2010

Obama, d’une guerre à l’autre

Mis en ligne le 23 octobre 2010 Convergences Monde

Barack Obama l’avait promis. Il l’a fait. Une moitié de sa promesse seulement : pas celle d’arrêter la guerre d’Irak, puisqu’il laisse la bagatelle de 50 000 soldats sur place, mais celle de transférer massivement des troupes d’Irak en Afghanistan, remettant au premier plan cette « guerre oubliée » pendant les années des grandes opérations d’Irak.

Le mythe des « seuls » 50 000 hommes cantonnés en Irak à des missions d’entraînement des troupes irakiennes n’a pas tenu longtemps. Le mardi 31 août, l’Irak devait devenir « un pays souverain et indépendant » et l’armée américaine rester enfermée dans ses cantonnements. Mais, le dimanche 5 septembre, celle-ci participait à une bataille rangée à Bagdad aux côtés de l’armée irakienne, hélicoptères et drones à l’appui ; quelques jours plus tard, ses hélicoptères et chasseurs-bombardiers F16 intervenaient près de la ville de Bakouba, au nord de la capitale, alors que, selon le commandement, l’armée américaine n’avait plus effectué de bombardement depuis juillet 2009 ; et, le 15 septembre, elle participait à l’assaut d’un supposé « repaire d’Al Qaida » à Falloudja, à l’ouest. Un beau début pour cette « Aube nouvelle », surnom de la nouvelle mission américaine.

L’intensification de la guerre en Afghanistan, quant à elle, se poursuit de plus belle…. Comme l’est son extension territoriale, avec la multiplication des incursions au Pakistan.

Irak : bilan des dégâts

Des centaines de milliers de victimes dans la population irakienne (entre 200 000 à 600 000 selon les estimations), 1,7 million d’exilés à l’étranger, 1,5 million de déplacés à l’intérieur par les destructions de guerre, par les exodes communautaires imposés par les affrontements entre milices rivales ou par les murs érigés par les USA entre les quartiers de Bagdad notamment, tel est le seul bilan des sept ans d’occupation.

Quant à la reconstruction tant promise, elle n’a fait qu’alimenter la corruption et bénéficier aux reconstructeurs, sociétés américaines et britanniques surtout, sans que pratiquement rien (sauf des installations militaires) ne se reconstruise. Le Monde du 30 septembre cite « une prison de 40 millions de dollars (31,5 millions d’euros) vide, dans le désert près de Bagdad » dont l’entreprise américaine a interrompu la construction sous prétexte d’insécurité, après avoir largement dépassé les coûts prévisionnels. Ou « une station d’épuration de 100 millions de dollars (78,7 millions d’euros) à Fallouja, où les eaux usées continuent de s’écouler dans la rue ». Ou un hôpital de 50 millions de dollars dont la construction a été interrompue… Quelque 5 milliards de dollars se seraient purement et simplement évaporés, selon un rapport officiel (un dixième de la somme consacrée par l’État américain pour la reconstruction) et seraient allés alimenter la corruption, non seulement des notables ou chefs de guerres irakiens, mais aussi des intermédiaires occidentaux ou officiers supérieurs américains, dont un responsable du CPA (l’autorité provisoire de la coalition en Irak), condamné en février 2007 pour blanchiment d’argent et marchés truqués.

Hommes d’affaires en châteaux… forts

Malgré le chaos dans lequel est plongé le pays et bien que la production pétrolière ne soit remontée qu’à 2,4 millions de barils par jour – soit son niveau de la période de l’embargo entre les deux guerres d’Irak –, les affaires tournent. Les compagnies françaises, en retard pourtant sur les américaines ou anglaises, font leur retour : au « Château », un immeuble face à l’ambassade de France, dans une rue surveillée par des miradors, se succèdent les hommes d’affaires de Lafarge, Sanofi-Aventis, Alstom ou Sofinfra (société liée à l’industrie d’armement française, spécialisée dans la construction de casernes… et d’hôpitaux). Il leur en coûte quelque 800 € auprès d’une agence de mercenaires armés pour escorter leurs petites personnes de l’aéroport au centre de Bagdad, ou 2 000 € pour une escorte de la journée. Le jeu doit en valoir le prix. Et qu’on ne nous fasse pas pleurer si l’un d’entre eux se trouve un jour pris en otage.

Pour la population en revanche, c’est la pénurie dans tous les domaines. Les coupures permanentes d’électricité (1 heure d’alimentation sur 5 tout au plus) au début de l’été ont soulevé des émeutes qui ont coûté son poste au ministre de l’Électricité par intérim. La population irakienne est capable de se révolter, malgré les troupes d’occupation ou l’armée irakienne reconstituée, malgré les milices rivales qui multiplient les attentats et cultivent les clivages religieux et communautaires pour conserver leurs fiefs. C’est bien là le seul espoir.

Le bourbier afghan

En 2009, à l’investiture d’Obama, il y avait un peu plus de 50 000 hommes de troupes de l’OTAN en Afghanistan, dont 20 000 américains. Ils sont aujourd’hui près de 150 000, dont plus de 100 000 américains. Bien plus que le summum atteint par les troupes russes (120 000) au temps de leur guerre. Et c’est sans compter les dizaines de milliers de supplétifs loués par les armées de l’OTAN auprès de sociétés de « services » et de mercenaires privées.

Si Obama vient de tripler les effectifs, c’est que la guerre, qui avait semblé aisée à ses débuts, à l’automne 2001, au point d’encourager Bush à se lancer ensuite dans l’occupation de l’Irak, commençait à tourner vinaigre. Au moment de l’invasion, les troupes talibanes chassées du pouvoir, et les autres groupes armés de seigneurs de guerre locaux (ceux qui ne se sont pas ralliés aux USA pour devenir ministres du gouvernement provisoire ou gouverneurs de régions), avaient passé la frontière pakistanaise ou s’étaient fondus dans la nature. La corruption du régime mis en place par les USA leur a vite rendu du crédit aux yeux de la population, et la misère des camps de réfugiés afghans de l’autre côté de la frontière pakistanaise a fabriqué une jeune génération de révoltés où recruter de nouvelles troupes. À partir de 2005-2006, les Talibans sont réapparus sur le terrain, ont repris peu à peu le contrôle de villes ou de régions entières.

L’augmentation des troupes d’occupation n’a rien enrayé. Le nombre d’attentats répertoriés par l’armée américaine est passé de 100 à 200 par mois entre 2005 et 2006, à 400 par mois fin 2008, et 1 000 en 2010.

Un reportage du Monde diplomatique de septembre dernier sur les ressources financières des Talibans (nom sous lequel sont rangés pêle-mêle tous les groupes armés opposés au régime, même s’ils sont d’une autre mouvance) raconte comment ils peuvent taxer une entreprise de construction de route si elle veut pouvoir continuer ses travaux. Comment des entreprises (y compris sous-traitantes des armées américaines et alliées) préfèrent les payer pour garantir la sécurité d’un convoi, plutôt que d’embaucher des gardes armés plus coûteux. Ou comment ils ont repris leur place dans le monde des affaires et des trafics. Affaires et trafics (y compris trafic de drogue) auxquels la famille même du président Karzaï n’est pas étrangère.

Vers un marchandage avec le « diable » ?

Les élections afghanes du 18 septembre dernier, sous contrôle des forces d’occupation, sont loin de redonner du crédit au régime ! Les résultats ne sont toujours pas publiés : déjà 300 000 bulletins invalidés pour fraude dans au moins 227 bureaux.

Et les prises de contact avec les chefs talibans ou une partie d’entre eux, pour voir s’il ne serait pas possible, dans un « processus de paix », de ré-associer tout ce beau monde à la gestion du pays, sont aujourd’hui officielles. Après tout, Karzaï n’avait-il pas soutenu un temps les talibans après leur arrivée au pouvoir ? Les USA n’avaient-ils pas financé tous les chefs de guerre religieux du temps de la guerre russe, avant de les diaboliser en 2001 pour justifier l’invasion du pays ? Cela n’est en rien contradictoire avec l’intensification de la guerre en cours. Tant pour affaiblir ou diviser les interlocuteurs potentiels que parce que leur éventuel retour au pouvoir, sous la houlette américaine, se fera sur le dos d’une population qu’il faut terroriser et briser.

Dans une fuite en avant bien classique, pour couper de leurs bases arrière sur la frontière pakistanaise les groupes armés hostiles à l’occupation, l’armée américaine multiplie les raids au Pakistan. Comme la France pendant la guerre d’Algérie bombardait le village de Sakiet en Tunisie, ou l’armée américaine exportait au Cambodge et au Laos la guerre du Vietnam. Ces derniers mois l’escalade américaine ne se limite plus à des actions de commandos de ses services secrets de l’autre coté de la frontière, ni à quelques survols de reconnaissance par ses drones : les forces de l’OTAN multiplient les bombardements et les raids d’hélicoptères avec leurs morts et leurs bavures. Ainsi, le 30 septembre, deux militaires pakistanais étaient abattus par erreur par un hélicoptère américain. Excuses de l’OTAN et tout est rentré dans l’ordre avec le gouvernement pakistanais, si ce n’est avec la population.

De la route de la Soie à la route du Lithium

Pour s’entêter dans une guerre qui s’enlise de plus en plus, coûte des centaines de milliards et risque de déstabiliser le Pakistan, le grand voisin, l’impérialisme américain à ses raisons : garder son contrôle sur toute la région et ses richesses. Et, au-delà, des intérêts économiques dont l’Afghanistan lui-même – s’il n’est pas riche en pétrole comme l’Irak –, n’est pas dépourvu.

Depuis la fin de l’URSS, les stratèges américains aiment à évoquer la vieille « route de la Soie » qui joignait jadis la Méditerranée à l’Asie centrale et la Chine, à travers les brèches des montagnes d’Afghanistan. Ils baptisent du nom de « nouvelle route de la Soie » leur projet d’ouverture vers l’Asie centrale et leur convoitise de ses richesses. La route dont ils parlent n’est pas un vieux chemin de terre, mais un projet d’oléoducs et gazoducs traversant un Afghanistan sous leur contrôle. Qui plus est, cet été, les géologues américains auraient découvert de considérables ressources minières pour l’instant inexploitées : cuivre, fer, cobalt et, surtout, lithium, dont les réserves afghanes seraient comparables à celles de Bolivie, premier producteur mondial de ce métal très recherché par les industriels (pour les batteries d’ordinateurs, téléphones portables et bientôt voitures électriques). Plus intéressant que la chasse à Ben Laden invoquée par Bush et reprise par Obama ! Les experts des trusts miniers, emmenés dans les valises de l’armée américaine, ne chôment pas.

Olivier BELIN

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