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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 123, décembre 2018

Editorial

Nous sommes toutes et tous des Gilets jaunes

8 décembre 2018 Convergences Politique

Les centaines de milliers de Gilets jaunes qui, depuis près d’un mois, ont surgi, couvert la France entière de leurs clignotants d’espoir fluo et ont réussi, le samedi 1er décembre, à agrémenter le rébarbatif Arc de Triomphe du tag rageur « Gilets jaunes, nous triompherons », laissent pantois tout ce que le pays compte de corps constitués. Sidérée et paralysée, la présidence de la République. Sonné et désemparé, le gouvernement. Agités et désarmés, les députés et sénateurs... Et ne parlons pas des forces de l’ordre, des préfets, des notables des plus grandes villes, suivis peu à peu par des patrons du transport routier, de la restauration ou du commerce qui pleurent sur la casse (remboursée par les assurances) mais surtout sur la perte de profits colossaux estimés en cette période de fête !

Une fois n’est pas coutume, c’est pour eux, ces plus riches, que le père Noël s’annonce comme une ordure. Les plus pauvres, la grande masse des Gilets jaunes précaires, bas salaires, mères célibataires, chômeurs, retraités et jeunes en galère ont déjà dit qu’ils n’y croyaient plus : quasiment plus de jouets ou gâteries ni pour eux-mêmes ni pour leurs gosses – et c’est de là qu’a surgi leur révolte, qui tourne à l’émeute sociale. L’étincelle de la hausse des prix des carburants a enflammé les réservoirs de patience. Pas seulement les réservoirs des bagnoles des beaux quartiers parisiens. Dans le milieu populaire et ouvrier, il faut le dire, on n’est d’ailleurs pas mécontents qu’elles crament, leurs bagnoles !

L’incendie a pris et n’est probablement pas près de s’éteindre. Du sérieux et pas seulement de l’inédit ou de l’hétéroclite comme beaucoup se plaisent à le décrire, doctes études sociologiques à l’appui.

Hétéroclite... certes

Les cortèges restent muets ou chantent des Marseillaise que les matches de foot – bien plus que des profs zélés – ont remises à l’honneur ; on agite des drapeaux tricolores, ici ou là, pour les mêmes raisons. Mais, si des cheminots ou autres salariés en lutte se mêlent aux cortèges et entonnent l’Internationale, ou scandent des slogans contre la vie chère, pour l’augmentation des salaires, les réactions ne sont pas hostiles, au contraire. Même si s’exprime une prévention saine contre toute récupération syndicale et politique. Ces Gilets jaunes en ont trop bavé, ces derniers temps, des coups de prestidigitation des grands partis ou directions syndicales. Par ailleurs, et contrairement aux craintes de la petite bourgeoisie policée des grandes villes, l’extrême droite musclée ne tient pas non plus le haut du pavé, ou juste pour affronter la police – plus facile que de se frotter à des centaines de milliers de prolétaires en colère. À noter, cela dit, que les barricades des Champs-Élysées ou autres centres villes sont aussi le fait et l’expression de la colère de Gilets jaunes eux-mêmes. Quand la classe ouvrière se fâche, c’est radical. Oui, quand on sème la misère, on récolte la tempête...

L’appel d’Édouard Philippe aux partis

Ils vont tous défiler, le 3 décembre, à Matignon. Genre de tableau de famille ! Le RN de Marine Le Pen garde toute la prudence qui sied à son rang espéré de futur appelé aux plus hautes fonctions de la République... et souhaite tirer de ce mouvement quelque profit dans les urnes ! Les européennes ne sont pas loin. Wauquiez idem... Idem de Mélenchon qui, lui non plus, ne vise rien d’autres que des gains électoraux. La preuve en est que tous autant qu’ils sont ne font à Macron que des offres institutionnelles : référendum par-ci, dissolution de l’Assemblée ou nouvelles Législatives à la proportionnelle par-là, bref, tout ce qui pourrait conduire à une nouvelle consultation nationale dont ils escomptent une meilleure place... pour à leur tour faire la politique des patrons, la même que Macron mais à la place de Macron ! Mais tous parlent surtout de « sortie de crise ». Ils aimeraient agir comme extincteurs d’un incendie social qui n’est pas dans leur culture. Les urnes, bien sûr, mais pas la rue, pas les blocages et encore moins la grève générale qui pourrait en sortir !

Macron démission... mais pas que !

Certes, les Gilets jaunes crient « Macron démission ! », c’est leur slogan préféré. Mais la plupart mettent derrière tout autre chose que des combines institutionnelles, tout autre chose que de nouvelles élections que, depuis longtemps déjà, ils snobent. Macron symbolise la politique en faveur des riches et des grands patrons qu’ils rejettent : pour preuve, la très longue liste de leurs revendications. Tellement longue que les gouvernants et leurs soutiens font mine de s’en effarer. Est-ce possible ? Est-ce bien sérieux de vouloir tout ça, tout et son contraire, s’inquiètent certains. Mais oui, il est certainement trop tard pour croire qu’un simple moratoire sur la hausse du prix des carburants éteindrait l’incendie. On en est peut-être à quelque chose qui pourrait annoncer une révolution, si l’on en juge par l’existence et la richesse des cahiers de doléances.

Les bureaucraties syndicales vont-elles pouvoir se calfeutrer longtemps ?

Dans le concert des bons conseilleurs, il y a les confédérations syndicales. Depuis plusieurs semaines, elles multiplient les mises en garde contre les Gilets jaunes, répètent qu’ils n’auraient pas les bonnes revendications (contre la vie chère, il faudrait l’augmentation des salaires et des minimas sociaux) ; pas les bonnes modalités d’action (contre la vie chère et le ras-le-bol contre tout un système, il faudrait seulement de sages défilés entre République et Bastille pour de bonnes négociations) ; et, surtout, la lutte n’aurait pas les bons chefs, comme eux ces bureaucrates de haut rang. Eh oui, un mouvement est parti sans leur demander leur avis et il ébranle profondément tout le pays, dont fort heureusement la base la plus consciente et combative du mouvement syndical, qui est allée sur des barrages de Gilets jaunes et a enfilé le gilet ! Ils ne sont certes pas légions. Pas légions non plus les structures syndicales qui ont clairement affiché leur soutien. Martinez, à la tête de la CGT, a fait mine d’être à l’écoute et a parlé de convergences des luttes, mais que nenni : la manifestation CGT du 1er décembre à Paris n’a pas rejoint les Gilets jaunes, aucun geste clair en leur direction n’a été fait de la part de Martinez et son staff dirigeant (pas davantage de la part des staffs dirigeants d’autres syndicats). À croire qu’eux aussi, en réalité et à ce jour, font partie de ces « corps constitués » ou « corps intermédiaires » sidérés par la flambée de colère populaire !

Couper les élus de la base, c’est réussi !

D’ailleurs, ce mouvement surgit au moment où se déroulent les premières élections à ces CSE (comités sociaux et économiques), nouvelles instances de représentation professionnelle concoctées par le gouvernement et le patronat pour éloigner encore un peu les « élus » de leur base, pour réduire drastiquement leur nombre et, aussi et surtout, pour basculer davantage encore vers la pure « cogestion » avec les patrons. C’est-à-dire l’alignement total sur leurs désirs. À ce jeu, les bureaucraties syndicales se sont largement, si ce n’est totalement, discréditées. Elles sont devenues des joujoux à parlotes et dialogues avec le patronat et l’État. Et, malgré cela elles persévèrent. À ce jour, 3 décembre, la confédération CGT publie un communiqué contenant certes des revendications justes, mais sans une allusion explicite aux Gilets jaunes (ils ne sont pas cités) ni, à fortiori, aux gestes concrets à faire en leur direction. C’est la sempiternelle lamentation, et comme hors sol, contre « l’absence de réponses concrètes et immédiates du gouvernement et du patronat, leur refus d’ouvrir de véritables négociations [qui] génèrent une légitime colère dans la population ». La CGT n’évoque pas le succès du samedi 1er décembre, seulement ses propres rassemblements, dont celui de Paris qui n’a rassemblé que 2 000 personnes, et n’évoque pas non plus le prochain samedi qui s’annonce. La CGT, parfaitement autiste par rapport au mouvement existant, appelle à une journée le vendredi 14 décembre... et exige « que la réunion de la Commission nationale de la négociation collective du 14 décembre sur le Smic et les minimas de branches soit un véritable rendez-vous de négociations ». Négociations, négociations... Quant aux instances de Solidaires et aux syndicats Sud, c’est le mutisme, à part quelques prises de position locales, comme à la CGT d’ailleurs, en faveur d’une convergence explicite avec les Gilets jaunes.

Personne à qui parler, n’est-ce pas flippant ?

Rien d’étonnant si la classe ouvrière, fort heureusement, a fini par agir de son propre chef. Sous forme certes inédite de ces Gilets jaunes. Que des gilets mais pas une tête qui dépasse à qui le gouvernement puisse s’adresser ! Il n’y aurait plus de « corps intermédiaires » ! Et le gouvernement, de façon brouillonne, d’en chercher d’improbables du côté des Gilets jaunes. Il en est à sa troisième tentative. D’abord huit Gilets jaunes qui se sont proposés, nommés on ne sait trop par qui ni comment, dont seulement deux se sont déplacés pour voir François de Rugy et sortir de l’entretien en disant, avec quelque humour froid : « Ils se sont trompés de ministère ! » Ce n’est pas d’écologie qu’ils voulaient parler mais de social ! Deuxième tentative avec deux autres Gilets jaunes acceptant l’invitation d’Édouard Philippe, dont un ne s’est finalement pas présenté. Un tête à tête sur lequel le mystère plane encore ! Puis, maintenant, sortie dans le Journal du dimanche, une tribune libre où une dizaine de Gilets jaunes se seraient proposés, prudemment : réception par Philippe demain, à ceci près que cette délégation semble contestée. Eh oui, puisque beaucoup évoquent la Révolution française de 1789 et ses suites, gare aux « représentants » d’un jour qui peuvent se faire couper la tête le lendemain !

N’en déplaise à bien des commentateurs, les Gilets jaunes ne sont pas des gens « en souffrance », des pauvres ou des malheureux ! Ce sont des salariés, en lutte et heureux de l’être, qui découvrent cette solidarité propre aux luttes. Tous les témoignages qui émanent des barrages et blocages en témoignent. Et déterminés, surtout : malgré toute la propagande déversée contre les casseurs, ils sont prêts à rempiler pour l’acte IV. Décidément, Macron a du souci à se faire. D’autant que voilà les lycéens qui s’y mettent ! En 1968, les travailleurs rejoignaient les étudiants. 50 ans après, voilà que la jeunesse rejoint les travailleurs. La république des riches a quelque raison de paniquer.

Et les révolutionnaires ?

Les seuls à ne pas être effrayés par ce mouvement, ce sont les révolutionnaires. Certes ce mouvement est atypique. Du jamais vu. De l’inquiétant, peut-être, avec une extrême droite qui rôde, qui ne manque pas de petits chefs ici ou là, dont certains se sont fait connaître sur des barrages. Mais, dans un pays où le Front National a fait des scores de 25 % à 30 %, dont de bons scores en milieu populaire voire ouvrier, est-ce si étonnant ? Et, quand bien même des Gilets jaunes auraient voté pour Le Pen, précisément par rage, parce que c’est ce qu’ils n’avaient jamais essayé, ne peuvent-ils pas précisément découvrir, dans ce mouvement, que les notables de ce parti, au service du patronat, ne soutiendront pas leur lutte jusqu’au bout, même si par démagogie ils peuvent aller assez loin ? La lutte et elle seule est une grande école politique. C’est ce qu’on peut espérer, à condition d’y participer. C’est en se lançant à corps perdu aux côtés des Gilets jaunes, pour les aider si possible, que l’extrême gauche aussi faible soit-elle, peut trouver le contact avec ces dizaines de milliers de nouveaux venus à la lutte de classe dont la classe ouvrière – notre classe – a besoin pour rafraîchir et rajeunir ses rangs.

Les militants d’extrême gauche doivent élargir leurs contacts avec ces travailleurs et travailleuses en lutte, participer à leurs actions. Faut-il annoncer ou pas une étiquette NPA ou LO, Sud ou CGT (ne pas la cacher non plus) ? Ce n’est pas le plus important. Il faut plutôt afficher une couleur de classe : salarié(e) combatif, en lutte, pour le tous ensemble et pourquoi pas la grève générale contre la vie chère. Ce qui veut dire parler aussi d’organisation ou plus exactement d’auto-organisation. Car des discussions ont lieu sur les barrages et les blocages, et les assemblées qui s’y tiennent abordent la question.

En attendant, le mouvement est apparemment en phase ascendante. On arrive à l’acte IV. Dans une évidente panique, beaucoup implorent Macron de parler, de dire quelque chose, de négocier ! Pour sortir de la crise, par le haut ou par le bas ! De sortir de l’impasse ! Mais tant mieux s’il reste coi et s’il s’en étouffe ! La parole est aux Gilets jaunes, déjà par leur lutte et leur persévérance jusque-là non seulement à ne pas lâcher mais à amplifier leur mouvement. Après ce 1er décembre que certains ont présenté comme l’apocalypse, ils seraient encore 72 % dans le pays à les soutenir.

3 décembre 2018

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