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Metropolis, de Philipp Kerr

30 novembre 2020 Article Culture

Metropolis, de Philipp Kerr – Éditions du Seuil – 391 pages – 22 €


Berlin, 1928. Un tueur en série s’en prend aux prostituées et aux mendiants, narguant la police dans des lettres adressées aux journaux où il affirme vouloir « nettoyer » la ville. Comme dans tous les romans de Philipp Kerr, l’intrigue policière est bien menée et le suspense soutenu jusqu’à la toute fin du livre. Quant au titre, c’est plus qu’une allusion au film éponyme de Fritz Lang, sorti en 1927, dont l’épouse d’alors, Thea von Harbou, avait écrit le scénario d’après un de ses propres livres. Thea von Harbou fait une courte apparition dans le livre de Kerr.

C’est Berlin qui est la véritable héroïne, pratiquement la même ville que celle que décrit Bob Fosse dans son célèbre film Cabaret, avec l’inimitable Lisa Minelli. Le Berlin des « Années folles » ayant suivi la fin de l’Empire des Hohenzollern : « Tous les bâtiments publics avaient été construits à la gloire d’un empire germanique qui n’existait presque plus et, comme les pires taudis de la ville, ils donnaient à quiconque tombait dessus un sentiment d’inhumanité et d’insignifiance. […] Et pourtant, malgré tout cela, Berlin était également une ville merveilleuse et stimulante. […] C’était un immense miroir éclatant tendu au monde et, par conséquent, un formidable reflet de l’existence dans toute sa fascinante splendeur pour quiconque s’intéressait à la vie sur Terre. » Berlin, donc, ses cabarets, ses théâtres, ses concerts, sa vie nocturne, mais aussi, justement, ses « prostituées de fin de mois », ses anciens combattants estropiés réduits à la mendicité dans les rues.

Le contexte historique

Dans ce dernier roman, posthume, de Philipp Kerr – auteur britannique prolixe, disparu il y a deux ans –, on retrouve l’Alex, le siège de la police sur l’Alexanderplatz, et l’inspecteur Bernhard Gunther, tout juste intégré dans la Kripo, la police criminelle de Berlin dirigée par un commissaire juif, Bernhard Weiss, cible de l’extrême droite.

Kerr n’est pas historien, même s’il s’est minutieusement documenté. Le contexte de l’époque n’apparaît pas dans le livre. Précisons donc que le gouvernement en place est celui de Hermann Müller, membre du Parti social-démocrate, le SPD, qui dirige un gouvernement de coalition après le succès électoral de son parti aux élections législatives de 1928 : le SPD y obtient près de 30 % des suffrages. Pour mémoire, à ces élections, le Parti communiste, le KPD, en obtient un peu moins de 11 % et le Parti nazi un peu moins de 3 %, mais fait son entrée au Parlement avec douze députés. À défaut d’avoir encore l’audience électorale qui les portera au pouvoir cinq ans plus tard du fait de l’incapacité de tous les partis, en particulier du SPD et du KPD, à proposer une politique aux classes populaires, face aux conséquences dramatiques de la crise de 1929, les nazis sont omniprésents dans les débats qui agitent la société allemande, dans les rues de Berlin où les heurts se multiplient avec les militants communistes.

Pour en revenir au livre lui-même, on mesure à quel point leur influence est déjà déterminante. De très nombreux policiers, s’ils ne sont pas nazis, suivent le Schrader-Verband, une association encore plus réactionnaire que les nazis et à laquelle appartient, entre autres, Arthur Nebe, un des flics que côtoie Bernie Gunther et qui sera, sous le régime hitlérien, à la tête du Einsatzgruppe SS en Ukraine, responsable de la mort de dizaines de milliers de Juifs, grand expérimentateur des assassinats par inhalation de gaz d’échappement de camions.

Les gangs, mais aussi les usines et Wedding « la Rouge »

Derrière le Berlin scintillant dont la vie nocturne effrénée attire les touristes, il y a les gangs, regroupés sous la houlette du « Réseau d’Allemagne centrale » qui contrôle cabarets, prostitution, cambriolages. Et les usines de la périphérie, avec leurs ouvriers immigrés travaillant dans des conditions indignes. Le Berlin pauvre, celui de Schöneberg ou Neukölln, ou encore de Wedding « la Rouge », où « aucun des milliers de Berlinois qui occupaient ces immeubles à l’aspect pitoyable n’aurait jamais imaginé voter pour d’autres que les communistes ou, à la rigueur, les socialistes du SPD. […] Toute l’humanité était représentée là : charbonniers, tailleurs, bouchers, fabricants de pumpernickel, mécaniciens, boulangers kashers, vendeurs de pigeons, blanchisseuses, poissonniers, peintres en bâtiment. L’inhumanité, aussi. Ce quartier était infesté de rats et sillonné par des chats galeux, des chevaux boiteux et, sans doute, un Golem ou deux. À Wedding la Rouge, tout était possible, et nul ne se souciait de savoir si cela était respectable aux yeux de la classe moyenne berlinoise. »

Comme tous les romans de Philipp Kerr, Metropolis est très documenté tout en restant d’une lecture aisée – il faut dire que l’auteur est un écrivain talentueux, avec un sens du dialogue hors pair et l’art de camper, de quelques mots, des situations complexes. C’est donc de la belle littérature, en même temps qu’un vrai polar où l’on trouve son lot d’aventures, aussi bien criminelles qu’amoureuses. Une fois en main, impossible de le lâcher !

Jean-Jacques Franquier

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