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Martin Winckler, médecin féministe et romancier

13 avril 2020 Article Culture

Martin Winckler est né Marc Zaffran, le 22 février 1955 à Alger, dans une famille juive d’origine espagnole. Son père était médecin et a dû quitter l’Algérie en 1961, avec sa famille car il était menacé par l’OAS.

Une vie aux itinéraires et intérêts variés

Après un bref passage en Israël où la famille ne reste pas, faute de travail pour le père, c’est l’arrivée en France, dans le Massif central d’abord puis à Pithiviers.

Winckler fait de fréquents séjours en Angleterre, et aux États-Unis, et en garde un goût prononcé pour la culture populaire anglo-saxonne (les séries télévisées notamment sur lesquelles il a écrit). Il maîtrise l’anglais et est aussi traducteur. Son enfance et sa jeunesse sont bercées par la lecture, de romans, de science-fiction, mais aussi de magazines. Il hésite à devenir journaliste puis, encouragé par son père, s’engage dans des études de médecine.

Il devient médecin généraliste, dans la campagne sarthoise puis à l’hôpital du Mans, de 1983 à 2008. Parallèlement, il intervient dans un centre de planification des naissances où il pratique des avortements. Il vient à l’écriture d’abord par des revues (dont Que choisir) puis par le roman. Son premier succès est La maladie de Sachs, publié en 1997 (adapté au cinéma ensuite).

Il a depuis publié de nombreux romans, sous le pseudonyme de Martin Winckler, choisi en référence à Gaspard Winckler, un des héros de La vie, mode d’emploi, roman de Georges Perec qu’il aime particulièrement. Il a aussi écrit des polars In vitro, Camisole, où il est question de sombres machinations et manigances de l’industrie pharmaceutique… une de ses bêtes noires, « le mal du siècle » dit-il. La chronique qu’il tenait sur France Inter a été stoppée par la radio, sur pression des trusts pharmaceutiques. C’est peu après que Winckler a quitté la France pour le Canada où il intervient dans des universités, McGill à Montréal notamment, dans des programmes de formation des soignants.

L’auteur a aussi écrit de nombreux essais, dont un des derniers, Les brutes en blanc ; pourquoi y a-t-il tant de médecins maltraitants ? est paru chez Flammarion en 2016 et lui a valu un communiqué scandalisé du Conseil de l’ordre des médecins. Il y dénonce les comportements de nombreux médecins qui, du haut de leur savoir, maltraitent leurs patients, les méprisent, les engueulent, les jugent et les punissent en leur faisant mal (« puisque c’est comme ça, je ne renouvelle pas votre prescription »), et trouvent ça normal !

Cela s’explique selon lui par la formation reçue par les futurs médecins : celle de membres d’une caste privilégiée, impatients pour la plupart d’intégrer cette prétendue élite sociale, férue des sciences de la pathologie, du diagnostic et de la thérapeutique. Le soin est l’affaire des aides-soignantes, infirmières, sages-femmes, kinés et psychologues. Aux médecins, le « savoir et le pouvoir qui en découle ».

Une œuvre romanesque qui est une plongée dans l’univers médical et un plaidoyer pour une autre médecine

L’auteur passe en revue toutes les questions qui touchent à la santé, donc à la vie et à la mort, à travers des récits qui mettent en scène des personnages en souffrance, malmenés par la vie, attachants car vivants.

La maladie de Sachs est le quotidien d’un médecin de campagne qui nous est conté, inspiré bien sûr de l’expérience de Winckler mais aussi de son père et d’autres médecins qu’il a côtoyés.

Trois médecins est une version moderne et médicale librement inspirée du roman Les trois mousquetaires.

En souvenir d’André est un plaidoyer pour le droit à mourir librement.

Abraham et fils et Les histoires de Franz sont deux romans librement inspirés de la vie de l’auteur, bouleversants et passionnants (le troisième de la série est à paraître prochainement).

Un des engagements importants de Martin Winckler est son féminisme. Il l’a vécu à travers sa pratique de l’avortement mais aussi par un blog, qu’il anime toujours bien qu’il n’exerce plus la médecine, dans lequel il répond aux questions de milliers de femmes, sur la contraception notamment. Deux romans, publiés à dix ans d’intervalle (et qui témoignent de la persistance de l’engagement féministe de Winckler) se répondent. On y retrouve des personnages et les thèmes chers à l’auteur : dénonciation de la façon dont les femmes sont traitées par la médecine en France d’un côté, manifeste pour une autre pratique de la médecine de l’autre.

Le chœur des femmes a été publié en 2009 ; L’école des soignantes en 2019.

Dans Le chœur des femmes, le personnage principal est Jean Atwood, brillante jeune interne, une battante, déterminée à se spécialiser en chirurgie gynécologique, qui est envoyée pour son dernier semestre d’internat dans un service de médecine, l’unité 77, consacré à la médecine des femmes (avortement, contraception, violences conjugales, maternités adolescentes, accompagnement des cancers gynécologiques en phase terminale). Elle y va à reculons car au lieu de pratiquer la chirurgie, elle se retrouve à écouter des femmes parler d’elles-mêmes à longueur de temps. Mais elle découvre peu à peu que les patientes lui apprennent son métier, c’est un roman de formation. Le style veut refléter la logorrhée des patientes, parfois sans ponctuation ou très peu, car elles se livrent d’un souffle, d’une traite. Cela transpire la sincérité, l’espérance, l’humilité et la souffrance. La pratique de la gynécologie en France y apparaît comme maltraitante (dans la façon même de pratiquer l’examen, très différente de la manière anglo-saxonne). Des sujets comme l’intersexualité y sont abordés (ce qui était rare dans la littérature française il y a dix ans) avec la question des bébés intersexes qui subissent « pour leur bien » des mutilations en vue d’une réassignation sexuelle, souvent imposée par les médecins à des parents démunis ou ignorants. Le lecteur reste en haleine car chaque chapitre s’interrompt brutalement, comme les séries télévisées, et on attend la suite. Pour reprendre un commentaire online : un livre « d’utilité publique ».

Dix ans plus tard, Winckler reprend le personnage de Jean Atwood pour livrer sa vision de ce que devrait devenir la médecine, avec L’école des soignantes, utopie réaliste qui se passe en 2039. L’hôpital dans lequel se déroule le récit est une enclave dans l’univers hospitalier que nous connaissons. Tous les professionnels de la santé y sont passés par les mêmes apprentissages, des gestes de soins de base jusqu’à la spécialisation de certains pour des gestes plus techniques. Il n’y a pas de hiérarchie parmi eux, pas de rapport de pouvoir. Les soignées, le terme de patients est abandonné, sont écoutées. C’est l’itinéraire que Martin Wincler s’était imposé, lui qui a commencé comme aide-soignant pendant ses vacances lors de ses premières années d’étude de médecine, puis a fait des remplacements d’infirmière. Il estime que les soignantes lui ont tout appris.

Curiosité et humour bien placé de l’auteur : Winckler a décidé d’utiliser le féminin pour l’ensemble de ses personnages car 90 % des soignants sont des femmes « quand vous féminisez tout le monde, on cherche les hommes, dans le cas inverse, pas du tout ».

À l’occasion de la crise sanitaire actuelle, il a été interviewé plusieurs fois et cela a été l’occasion pour lui de réaffirmer ses critiques de la hiérarchisation, des rapports de pouvoir dans l’exercice du soin, en hôpital comme en Ehpad, qu’il qualifie de « version à peine évoluée du mouroir ». Il concluait de la sorte une tribune dans Elle du 27 mars : « tôt ou tard, la pandémie prendra fin. Les soignantes, elles seront toujours là. C’est grâce à elles que le pire sera passé. Et je souhaite vivement qu’elles sortent de cette crise confortées dans leur colère, leurs engagements et leurs aspirations. Et qu’elles ne s’arrêtent pas là, mais en profitent pour renverser le patriarcat médical, établir de nouvelles priorités fondées sur les besoins de la population et redéfinir le système de santé. Bref, qu’elles fassent la révolution. »

Liliane Lafargue

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