Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 132, septembre-octobre 2020

Liban : un an de contestation sociale

1er octobre 2020 Convergences Monde

« Les forces politiques n’ont toujours pas réussi à s’entendre pour former un gouvernement. Des pressions fortes et convergentes de notre part sont donc nécessaires, pour pousser les responsables libanais à respecter leurs engagements », a déclaré, mercredi 22 septembre, le ministre français Jean-Yves Le Drian dans une visioconférence de l’Assemblée générale des Nations unies (tenue à distance pour cause de Covid) où la question du Liban était en discussion. Pendant que Macron clamait à la même tribune virtuelle que « le Liban est un trésor de l’humanité ». Dans la bouche d’un ancien rond de cuir des banques, ça veut tout dire.

Mais pour qui se prennent-ils, ces Macron et Le Drian ? Et ce sont quoi ces « pressions fortes » auxquelles ils encouragent l’ONU et le FMI (Fonds monétaire international) ? Il s’agit de couper les vivres au Liban, d’accroître les boycotts économiques, d’aggraver la crise et la misère de la population libanaise. Tout cela, faute d’obtenir que les coteries dirigeantes qui se partagent le pouvoir (et le gâteau !) s’entendent pour former un gouvernement capable d’imposer lui-même à la population les politiques d’austérité exigées par les grandes puissances et leurs propres banques. En attendant ces « secours », les diverses fractions de la bourgeoisie libanaise – les plus riches, possédants et dirigeants politiques qui dominent le pays – ont, depuis le début de la crise, exporté en masse leurs capitaux. Notamment en Suisse, pendant que les banques libanaises limitaient à des sommes très faibles pour le grand public les retraits des déposants depuis leurs comptes bancaires.

Le jeu des grandes puissances sur le dos du peuple libanais

« C’est la dernière chance du système » avait dit, dans une interview donnée à Beyrouth, le président français lors de sa seconde visite dans le pays le 1er septembre. Car c’est bien du sauvetage de ce système clanique et confessionnel pourri dont parle Macron et dont a débattu l’assemblée générale de l’ONU. Ce système dans l’instauration duquel la France a une grande part de responsabilité [1], un système conspué depuis des mois par les manifestants de Beyrouth ou Tripoli.

En chef actuel de l’ancienne puissance coloniale qui a longtemps dominé le Liban, Macron croyait pouvoir dicter son calendrier : un gouvernement au plus tard le 15 septembre. Le 22 ce n’était toujours pas fait. Le rappel à l’ordre et les menaces françaises à la tribune de l’ONU ce jour-là n’ont pas été plus efficaces puisque, le 25 septembre, le tout nouveau Premier ministre nommé pour former ce gouvernement dit « de mission » donnait sa démission.

Notons que, dans les causes de l’échec même de cette « mission », dû à la volonté d’exclure les partis chiites (Hezbollah et Amal) du ministère des Finances qui leur revenait précédemment dans le partage des postes, il n’y a pas seulement les appétits concurrents des clans libanais, mais aussi les pressions, notamment de Trump et à sa traine de Macron, pour écarter des postes clés le Hezbollah, lié à l’Iran et que les États-Unis et Israël classent au rang des « organisations terroristes » à abattre.

Un an de contestation sociale

Les manifestations se poursuivent au Liban depuis l’automne 2019. Les manifestants ne se sont pas laissé berner ces dernières semaines par Macron, venu soi-disant voler au secours du pays après l’explosion du port de Beyrouth : il y fut conspué en même temps que les dirigeants libanais par une nouvelle manifestation, noyée par la police libanaise sous une pluie de grenades lacrymogènes made in France.

Ces manifestations avaient commencé le 17 octobre 2019, en protestation contre l’instauration d’une nouvelle taxe, la taxe WhatsApp. La goutte de trop pour une population asphyxiée par la pauvreté et la défaillance des services publics de base (notamment l’électricité, coupée plusieurs heures par jour), la dévaluation de la monnaie, l’inflation galopante, la flambée du chômage. La crise bancaire et, finalement, la faillite annoncée de la banque centrale du Liban elle-même, qu’on veut faire payer à la population, n’est pas une catastrophe naturelle : c’est le résultat d’années de spéculation financière, de prêts fructueux dont se sont enrichies les couches dominantes… et, au passage, quelques banques étrangères, françaises notamment. Car l’État a emprunté au privé pendant des années, à des taux faramineux, de l’argent, notamment pour financer la reconstruction après la guerre civile libanaise qui avait duré de 1975 à 1990. Et ce, pour le plus grand bonheur des magnats du bâtiment, dont un entrepreneur libanais, Rafik Hariri, grand ami de Chirac, devenu Premier ministre au Liban après la guerre civile (le meilleur poste pour s’assurer les marchés) et dont le fils est toujours l’un des principaux dirigeants politiques du pays. Le délabrement du réseau électrique qui prive d’approvisionnement régulier une grande partie de la population, à moins d’avoir les moyens de payer cher à des vendeurs de générateurs électrique, est un autre signe de cette gabegie. Après les destructions du réseau électrique par la guerre civile, suivies par les multiples raids et bombardements israéliens sur le territoire libanais, le financement de la restauration du réseau s’est perdu dans les combines des entreprises privées sensées y procéder.

C’est à l’annonce de chaque nouvelle mesure destinée à faire payer à la population la faillite des banques et de l’État que les manifestations se sont succédé depuis un an. Elles n’ont cessé de dénoncer les clans au pouvoir, le confessionnalisme, la corruption. L’explosion sur le port de Beyrouth, le 4 août dernier, était un révélateur de plus de l’irresponsabilité criminelle du régime. « Révolution ! », « On a faim ! », « Le peuple veut la fin du régime ! » ont été les slogans de toutes les manifestations avec, comme cibles privilégiées, les sièges des banques et ministères.

Une révolte dont les échos dépassent largement les frontières du Liban

Oui, le mot « Révolution » mérite bien d’être mis à l’ordre du jour. Ce mot tant craint de toutes les grandes puissances dont les parrains veillent sur le Liban, et de tous les possédants et clans dirigeants du pays : de l’extrême droite chrétienne (celle qui a été à l’origine du déclenchement de la guerre civile libanaise, lorsque dans les années 1970 la grande bourgeoisie de pays avait pris peur face à l’alliance des réfugiés palestiniens et de la population des quartiers pauvres de Beyrouth), jusqu’au nouveau venu sur la scène politique libanaise, le Hezbollah.

Le peuple libanais ne peut attendre de nouveaux coups durs d’un gouvernement d’union des dirigeants politiques actuels ou d’un gouvernement « de mission » serviteur de l’état actuel. Il ne lui suffira pas non plus de rêver à « l’établissement d’un gouvernement de transition qui pourra œuvrer en vue de la mise en place d’un nouvel État national, démocratique, moderne et débarrassé de ses vieilles divisions confessionnelles » comme l’écrit en guise de perspective un récent tract du Parti Communiste Libanais, qui appelle de plus « tous les Libanais à garder bien haut le drapeau du patriotisme », arguant que « les efforts de certains pour internationaliser la situation ne pourront qu’être désastreux pour le Liban ».

La question du Liban est depuis longtemps internationale. Le pays, depuis sa création, est au centre de toutes les manœuvres de l’impérialisme dans la région. Relever « le drapeau du patriotisme » pour se protéger de Macron et de Trump ? De qui se moque-t-on, dans un pays où un tiers de la population aujourd’hui est constitué de réfugiés : les centaines de milliers de réfugiés palestiniens jetés hors de chez eux par Israël puis chassés pour bon nombre d’entre eux de leur refuge de Jordanie par la répression sanglante, en 1970, menée par le roi de Jordanie ; le million et demi de réfugiés qui ont fui ces dernières années la guerre dans la Syrie voisine. De qui se moque-t-on dans un pays où la moitié des Libanais eux-mêmes se sont aujourd’hui expatriés dans le monde ?

Se contenter de rêver à simplement repeindre le régime ? En faisant mine d’effacer le confessionnalisme institutionnel (qui n’éliminera ni la bourgeoisie richissime de ce pays de misère, ni la concurrence entre ses fractions), en croyant lutter seulement contre la corruption ? Cette corruption est intrinsèque au rôle particulier qui a été dévolu au Liban, depuis sa création sous la houlette de la France, comme tête de pont commerciale et bancaire de l’Europe vers le Moyen Orient.

La révolte qui gronde au Liban depuis un an a quelques chances d’aboutir à un réel changement si elle devient contagieuse : contagieuse parmi tous ces réfugiés qui vivent dans des camps et qui, jusque-là, par prudence du fait de leur situation, s’en tiennent à l’écart, et contagieuse auprès des travailleurs et de toutes les couches pauvres des pays voisins de ce Moyen Orient à feu et à sang.

27 septembre 2020, Olivier Belin


[1Pour l’héritage colonial du Liban, on peut consulter notre article sur le voyage de Macron à Beyrouth sur notre site Macron au Liban : l’ex-rond-de-cuir des banques affublé d’un casque colonial

Mots-clés :

Imprimer Imprimer cet article