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Liban, an II : on prend les mêmes et on recommence ?

26 octobre 2020 Article Monde

Jeudi 22 octobre 2020, Saad Hariri a été nommé Premier ministre avec comme charge de former un nouveau gouvernement. Le Liban n’a en effet plus de gouvernement depuis la démission d’Hassan Diab, à la suite des explosions au port de Beyrouth au mois d’août et des manifestations qui les avaient suivies. Saad Hariri n’est qu’un revenant : dirigeant du Courant du futur (sunnite), il était Premier ministre en octobre 2019 lorsque d’immenses manifestations avaient éclaté partout dans le pays. Il avait alors tenu dix jours avant de démissionner devant la pression populaire…

L’ensemble des partis confessionnels ont avalisé cette nomination. Certains ont soutenu ouvertement Hariri, tels le parti druze de Walid Joumblatt ou le parti chiite Amal… Le Hezbollah a choisi pour sa part de ne pas s’y opposer : « Nous allons contribuer à préserver ce climat positif », a déclaré le président de son groupe parlementaire. Les marchandages pour les postes de ministres ou membres de cabinets gouvernementaux battent leur plein… Ces tractations au sommet ont pour arrière-plan les calculs des puissances régionales et des grandes puissances : Iran, Arabie saoudite, États-Unis, France… Macron, en bon nostalgique de la colonisation, avait ainsi vertement signalé son impatience devant l’absence de formation d’un nouveau gouvernement depuis deux mois.

Si Saad Hariri a reçu – pour le moment ! – le blanc-seing de l’ensemble des partis confessionnels ainsi que de leurs parrains régionaux et internationaux, pas sûr que la population libanaise l’entende de cette oreille. Hariri, version 2, a reçu un cadeau d’accueil avant l’heure. Le 17 octobre, des slogans maintenant habituels ont retenti dans les rues de Beyrouth : « Révolution » ; « Le peuple demande la chute du régime »… Quelques milliers de manifestants tenaient à se faire entendre, le jour du premier anniversaire de leur mouvement, puisque c’est le 17 octobre 2019 qu’avait commencé la vaste mobilisation dans l’ensemble du pays contre le système confessionnel qui régit l’ensemble de la vie politique et sociale, bien évidemment aussi contre les inégalités abyssales et la corruption généralisée.

Un an après, les raisons de la colère sont toujours là. L’économie libanaise est exsangue et a vu son système bancaire s’effondrer totalement. Depuis un an, des millions de Libanais ont vu s’amonceler les obstacles pour pouvoir retirer un peu d’argent à la banque tandis que les plus riches, sentant le vent tourner, ont eu toute latitude pour envoyer leurs milliards de dollars hors du Liban. L’effondrement du système économique touche de plein fouet les classes populaires : 55 % de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté, le confinement du printemps aggravant encore la situation, notamment pour les travailleurs du secteur informel. Le chômage est lui aussi en forte hausse depuis un an.

Dans ce contexte, le retour aux affaires de Saad Hariri n’est qu’une pirouette du système confessionnel qui ne peut tromper personne. Le milliardaire Saad Hariri est le fils de Rafiq Hariri, businessman du BTP ayant fait fortune pendant la guerre civile (1975-1990). Guerre pendant laquelle il a commercé avec tous les camps : l’argent n’a pas d’odeur… La reconstruction de Beyrouth après la guerre civile a fait le bonheur de l’entreprise Hariri qui a mis la main sur des contrats juteux grâce à son carnet d’adresses… Rafiq Hariri est devenu un des principaux hommes politiques du pays dans les années 1990, trois fois Premier ministre, en avantageant au passage ses proches à travers l’octroi de marchés publics dans la construction ou le traitement des déchets. Assassiné en 2005 dans des circonstances jamais franchement élucidées, Rafiq Hariri a été remplacé sur la scène politique par son fils, Saad, qui lui avait déjà succédé à la tête de l’entreprise familiale. Le parcours de la famille Hariri est le symbole même de tout ce que la population libanaise rejette : tractations au sommet entre partis confessionnels pour se partager le gâteau, pouvoir héréditaire, corruption généralisée au bénéfice de l’enrichissement de quelques-uns, avec pour conséquences l’incapacité à ne serait-ce que de doter le Liban des infrastructures de base…

Aussitôt nommé, Saad Hariri a annoncé vouloir mettre en place les « réformes », c’est-à-dire les mesures d’austérité exigées par Macron (lors de ses deux voyages au Liban cet été), le FMI et les autres bailleurs de fond en contrepartie de nouveaux prêts. Une médecine bien particulière qui a fait ses preuves par le passé en Grèce, en Amérique latine ou en Afrique : au bout, davantage d’inégalités et de pauvreté, mais une économie qui fait le bonheur – et surtout la richesse ! – d’une poignée d’investisseurs et de leurs relais politiques locaux.

Certes, ce 17 octobre 2020 n’a pas vu le déferlement dans la rue de centaines de milliers de Libanais comme un an auparavant. Les opposants au système ont cependant signifié qu’ils n’avaient pas oublié. Débâcle économique pour les plus pauvres, destructions terribles dans la capitale, Covid… Le climat général reste à l’exaspération populaire et des milliers de jeunes Libanais signifient qu’ils ne s’en laissent pas conter et sont déterminés à obtenir ce que la population libanaise réclame depuis plus d’un an : « tous, qu’ils s’en aillent tous ».

Boris Leto

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