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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 128, septembre-octobre 2019 > DOSSIER : Crise écologique, leurs solutions et les nôtres

Crise écologique

Leurs solutions et les nôtres

17 septembre 2019 Convergences Société

L’Amazonie en flammes, les épisodes caniculaires ou les ouragans catastrophiques : l’été a été marqué par la question climatique. Cela fait des années que les scientifiques alertent sur les problèmes posés par la dégradation de l’environnement, des années aussi que des populations entières, souvent concentrées dans les pays les plus pauvres, en font quotidiennement les frais sans aucune couverture médiatique. Les causes de ces désastres sont étudiées et relativement bien connues par les scientifiques qui collaborent au niveau international, par exemple dans le GIEC [1] au sujet du climat. Leurs préconisations sont soumises aux dirigeants des gouvernements chaque année dans les COP [2], sans avoir aucun effet sur les émissions de gaz à effet de serre qui continuent leur trajectoire exponentielle.

C’est seulement depuis quelques mois que la « question écologique » a pris un tour plus politique. Non pas que le saccage de la planète ait commencé à faire réfléchir les grands de ce monde, mais la jeunesse a mis le problème sur la table avec le mouvement de « grève scolaire » des vendredis, les Fridays for future (FFF). Ces manifestations massives et internationales de lycéens et même de collégiens ont déjà obtenu que la crise écologique soit discutée aujourd’hui dans toutes les couches de la société, dépassant le cercle restreint qui s’en souciait jusque-là.

Cette prise de conscience, à mettre à l’actif des jeunes manifestants, a entraîné un ravalement de façade du monde politicien. On verdit toutes les vieilles politiques patronales : subventions aux grands groupes, licenciements dans les industries polluantes (lesquelles ne le sont pas ?) ou encore impôts indirects qui pèsent sur les plus pauvres…

Ces ficelles un peu grosses n’avaient pas trompé les Gilets jaunes qui se sont dressés contre de nouvelles augmentations de la taxe carbone – avant de développer d’autres revendications. Le pouvoir a bien tenté d’opposer ce combat contre une des mesures phares du « capitalisme vert », aux marches pour le climat, mais heureusement sans y parvenir tout à fait : beaucoup de Gilets jaunes se savent plus écolos que les promoteurs de la taxe carbone et les jeunes manifestants ne sont pas insensibles à un discours anticapitaliste.

L’enjeu politique pour les jeunes qui se mobilisent et pour les travailleurs qui les regardent avec sympathie est de combattre sur deux fronts : d’un côté contre le « capitalisme vert » en refusant tout sacrifice imposé au prétexte de l’écologie, et de l’autre contre la destruction de l’environnement par le système capitaliste.

À qui la faute ?

Le réchauffement climatique est un phénomène prévu et étudié depuis des dizaines d’années. Les causes sont connues depuis les années 1970 : les émissions de gaz à effet de serre par les différentes branches de la production. Le GIEC donne l’objectif à atteindre pour contenir le réchauffement climatique : zéro émission d’ici 2050 ou 2060. Autant dire une révolution de l’organisation de la production à l’échelle de la planète. Un seul exemple parmi tant d’autres : cet objectif imposerait aux multinationales des énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon) de renoncer aux quatre cinquièmes de leurs réserves déjà exploitées. Ces grands groupes contre-attaquent en finançant la communication anti-scientifique des « climato-sceptiques » qui inspirent Trump ou Bolsonaro.

Trajectoires stylisées des émissions de CO2 mondiales (en GtCO2/an)

Projections du GIEC pour un réchauffement compris entre 1,5 et 2 °C (Figure du journal Sud Ouest).

Il devient pourtant difficile de nier l’évidence. Les changements liés à l’activité humaine sont si importants que les scientifiques s’accordent à constater qu’ils marquent une nouvelle ère géologique baptisée « anthropocène », soit « l’ère de l’homme ». La faute à l’homme en tant qu’espèce, donc à tous les hommes, vraiment ? Ou bien à une organisation sociale déterminée, le capitalisme, système d’exploitation qui épuise la nature et le travailleur au profit d’une minorité ? [3]

Grands discours et petits gestes

Invoquer la responsabilité partagée de « l’humanité » dans son ensemble fait les affaires des véritables coupables. « Notre maison brûle », a répété Macron cet été en paraphrasant Chirac. Mais qui en sont les propriétaires ? À qui profitent les feux en Amazonie (Guyane française incluse) ? Sinon aux grands patrons de l’agrobusiness et aux grands groupes miniers ? Impuissants par nature, les grands discours de ce genre se terminent invariablement par un appel au « petit geste » individuel qui culpabilise surtout les plus pauvres.

Cette morale, relayée par les associations vert pâle et encouragée par les institutions et la pub, est aujourd’hui largement rejetée dans la population et dénoncée explicitement par les jeunes manifestants. Pour s’en faire les porte-paroles, politiques ou associatifs, nombreux sont ceux qui reconnaissent maintenant que le problème est politique, pas individuel. Un point marqué par la jeunesse mobilisée.

Mais la plupart des nouveaux parrains écolos enchaînent sur la dénonciation, devenue banale et institutionnelle, de la « société de consommation ». À poser un tel diagnostic, on en vient soit à faire la morale au « consommateur » pour qu’il change ses habitudes (et revoilà le « petit geste »), soit à des formes modernes de malthusianisme [4] (parfois rebaptisées « décroissance [5] ») qui prennent pour cible les pauvres. En oubliant que l’économie de « marché » impose déjà à une bonne partie de l’humanité, et de façon ô combien radicale, la « décroissance » !

La pollution des riches

La faute aux consommateurs ? Le diagnostic lui-même est faux : d’abord parce qu’il gomme les immenses inégalités sociales et plus fondamentalement parce qu’en renvoyant chacun à sa consommation, il oublie le système de production qui est intégralement contrôlé par une infime minorité.

Ce n’est pas la consommation en général ou en moyenne qui pèse sur les émissions de CO2 mais la consommation des riches. À l’échelle du monde, la consommation des 10 % les plus riches est responsable de 50 % des émissions, celle de la moitié la plus pauvre seulement de 10 %. Ces inégalités ne s’expliquent pas seulement par les écarts de niveau de vie entre les différentes régions du monde. Au sein même des pays riches, comme en France, les 10 % les plus riches émettent presque autant que la moitié la plus pauvre [6].

Mettre les riches à la diète, voilà un bon début pour un « programme de transition » énergétique. Réprimer leur consommation ostentatoire, le secteur florissant du luxe dans le capitalisme déclinant, est une œuvre de salut public à l’heure où la production de yachts atteint un niveau record. Même des yachts « zéro carbone » comme celui que Greta Thunberg a utilisé pour se rendre à New-York cet été [7], sponsorisé par le prince de Monaco.

À l’autre bout de l’échelle sociale, la consommation des travailleurs, qui forment la majorité de la population, est contrainte de A à Z. Qui choisit son logement ? Son lieu de travail ? Les transports qui les relient ou pas et toutes les nécessités qui en découlent ? L’isolation de son appartement lorsqu’on est locataire ? En France, on estime que les dépenses contraintes et incontournables (logement, mobilité, communication, alimentation, santé, etc.) représentent plus de 80 % des revenus des ménages populaires [8]. Le « pouvoir » supposé du consommateur, indexé sur son porte-monnaie, est un régime censitaire.

Un régime dans lequel les travailleurs se voient imposer une consommation « bas de gamme », contrainte et absurde. L’industrie du textile s’est quasiment convertie au jetable, de même que l’électronique grand public. La junk-food inonde les supermarchés, et pas seulement le nutella dont on connaît les méfaits pour la santé et pour les forêts d’Asie ravagées pour l’huile de palme. L’élevage industriel, un des secteurs qui a le plus d’impact sur le réchauffement climatique, produit massivement une viande de mauvaise qualité qu’il faut écouler à tout prix. La consommation des classes populaires n’est pas choisie, mais déterminée par la production de masse médiocre et défectueuse, une des caractéristiques du capitalisme déjà relevée aussi bien par Karl Marx que par Paul Lafargue.

« Accumulez ! accumulez ! C’est la loi et les prophètes [9] ! »

Qu’une branche soit rentable et les capitaux s’y engouffreront, qu’il s’agisse de produire des soins, des armes, des éoliennes… du nutella ou des jeans troués. Et pour écouler la production, après-coup, on voit se déployer une armée de banquiers, d’agences marketing et de publicitaires. La division du travail de plus en plus poussée, résultat direct de la course aux profits dans le mode de production capitaliste, introduit des échelons supplémentaires. C’est la production de moyens de production qui devient peu à peu le moteur de l’économie [10], l’hypertrophie de ce secteur étant une des caractéristiques du capitalisme. L’abondance de moyens de production encourage la production de biens de consommation sur une échelle toujours élargie, et toutes les tentatives de créer des marchés pour les absorber.

Il y a quelque chose de vain dans cette fuite en avant permanente : malgré tous les artifices, la demande solvable est limitée par les exigences de l’exploitation (licenciements, baisse des salaires). Cette contradiction éclate régulièrement lors des crises de surproduction. Reste le fait essentiel que dans le capitalisme, c’est la production qui détermine la consommation et sa répartition. En ce sens, le productivisme est une des caractéristiques du capitalisme [11].

Ce n’est pas la consommation qui est le moteur du capitalisme, c’est la production pour la production, l’accumulation capitaliste pour le profit. Même la consommation frénétique de la minorité favorisée ne trouve pas sa source dans un penchant naturel à l’accumulation et la gabegie, mais dans le système de production lui-même, avant de s’imposer comme le nec plus ultra de la réussite sociale, tout en restant inaccessible à l’immense majorité.

Les riches, les très riches de cette société capitaliste sont les propriétaires de moyens de production – les bourgeois. À ce titre, ils sont responsables non pas de 30, 40 ou 50 % des émissions de gaz à effet de serre suivant les calculs des ONG, mais de la totalité. Leur couper les moyens de polluer ne consiste pas seulement à réprimer leur consommation mais à leur retirer le pouvoir d’exploiter les hommes et la nature, donc à les exproprier.

Un petit geste pour la planète : renverser le capitalisme

Il y a une contradiction fondamentale entre capitalisme et préservation de l’environnement. En 1883, dans Dialectique de la nature, Engels constatait : « ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. […] Nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, nous sommes dans son sein et toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. »

Mais pour que l’humanité se serve « judicieusement » de sa connaissance scientifique de la nature, encore faut-il qu’elle puisse exercer un contrôle collectif et conscient sur les moyens de production. Ce qui nécessite de renverser le capitalisme, d’exproprier la bourgeoisie. Alors les travailleurs ou, selon les mots de Marx « les producteurs associés », « devront instituer systématiquement le métabolisme [12] entre l’homme et la nature comme loi régulatrice de la production sociale [13] ».

Le mouvement des lycéens pour le climat pourrait permettre à une fraction de la jeunesse de découvrir les idées communistes, à condition que les révolutionnaires y participent sous leurs propres couleurs en y défendant l’ensemble de leurs perspectives, y compris contre ceux qui le dirigent actuellement. Une telle intervention suppose, en plus de la nécessaire diffusion des idées communistes, de défendre des perspectives ici et maintenant pour le mouvement tel qu’il est, sans renvoyer uniquement à l’horizon de la révolution. Au moins pour faire entendre une voix dissonante face aux nombreux courants qui s’imposent pour proposer toutes les nuances d’un même capitalisme vert.

7 septembre 2019, Raphaël Preston


[1Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

[2Conférence des parties (en anglais Conference Of the Parties) qui réunit chaque année tous les États signataires de différents traités portant sur le climat.

[3Ce qui incite certains, dans les débats entre géologues, anthropologues, historiens et sociologues, à parler plutôt de « capitalocène ».

[5Voir le dossier « Croissance, décroissance, d’un cauchemar à l’autre » de Convergences révolutionnaires no 54, novembre-décembre 2007.

[6Oxfam, « Inégalités extrêmes et émissions de CO2 », 2 décembre 2015.

[7D’après le Tageszeitung, un quotidien d’Allemagne, quelques hommes d’équipage ont dû prendre l’avion pour New York afin d’en ramener le précieux voilier. Sacré bilan carbone !

[8« Les classes moyennes sous pression », Régis Bigot, Consommation et modes de vie, no 219, Crédoc, mars 2009.

[9Karl Marx, le Capital, Livre I.

[10Karl Marx, le Capital, Livre II.

[11Il est paradoxal que ceux qui emploient aujourd’hui le mot « productivisme » dénoncent en général la tendance qu’ils croient voir à la « surconsommation ». Ils utilisent « productivisme » pour épargner le capitalisme. Or le productivisme est un trait du capitalisme, pas une tare sociale en général.

[12Voir l’encadré « Marx écologiste ».

[13Karl Marx, Le Capital, Livre I.

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