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Lettre à un ami syndicaliste

15 novembre 2005

Mon cher camarade,

A lire ta dernière lettre, je te trouve bien découragé.

Tu enrages, me dis-tu, de voir ces jeunes des cités brûler les voitures de leurs voisins, caillasser les bus, saccager les écoles. Tu les comprends. Mais tu t’effraies de leur voir une révolte si primitive, si aveugle, qui fera peut-être bien plus de mal que de bien, en favorisant Sarkozy ou Le Pen, en divisant aussi la population des quartiers pauvres.

Alors à mon tour de te dire que moi aussi je « comprends » ta déception ! Mais je ne vois pas du tout où elle mène, elle aussi.

Tu en veux au gouvernement d’avoir supprimé des profs, des éducateurs, des subventions aux associations, d’avoir joué à l’incendiaire par ses provocations policières. Certes. Mais pourquoi aurait-on dû attendre autre chose de lui ? Il fait son boulot en tapant sur les pauvres pour aider les riches à devenir plus riches.

D’ailleurs, même s’il devait reculer un peu ces prochains mois et rétablir deux trois sous pour les associations, et quelques postes de profs ou d’associatifs (ce qu’il faudrait bien mettre alors au crédit de la violence des jeunes...), cela changerait-il quelque chose sur le fond, tant que le chômage et la pauvreté demeurent ? Cela servirait-il à autre chose qu’éteindre l’incendie provisoirement, rétablir la paix sociale, obtenir un peu de résignation ? Pour obtenir cela, le gouvernement préfère même sans doute s’appuyer sur les imams, garantis 100 % réactionnaires et pas chers...

Tu en veux à la gauche de ne rien proposer d’autre, d’avoir accepté la démagogie du couvre-feu, d’avoir félicité servilement la police, et de promettre de faire tout ce qu’elle s’est bien gardée de faire en 15 ans de pouvoir depuis 1981. Mais elle aussi elle est dans son rôle, elle fait son boulot, en ne pensant qu’à battre la droite aux élections de 2007, pour faire ensuite la même politique.

Tu en veux aux jeunes de se révolter par des méthodes imbéciles et inefficaces. « Quelle manque de conscience de classe ! Quelle absence du sentiment le plus élémentaire de la solidarité ! » Tu dis : « Pourquoi ne comprennent-ils pas qu’au lieu de brûler les voitures des voisins, ils devraient mener le seul combat qui peut changer leur sort, mener la lutte de classe ? »

Ah oui, certes, c’est bien dommage ! Mais par quel miracle le feraient-ils justement, eux, qui sont les plus précaires, les plus marginalisés, les plus dénués d’espoir, de culture, et même de moyen de pression objectif, puisqu’ils ne font qu’aller de CDD en chômage ? Comment diable deviendraient-ils une avant-garde éclairée de la classe ouvrière ? Où est-il, surtout, le mouvement ouvrier, la lutte d’ensemble qui pourrait les toucher, les enthousiasmer, les entraîner et donner de l’efficacité à leur rage ? En attendant que l’on puisse s’adresser à eux, non par des paroles et des sermons mais par des faits, ils sont, malheureusement, dans leur rôle eux aussi, en allumant des feux au pied de chez eux pour défier la police et nuire à qui ils peuvent.

Le seul qui n’est pas dans son rôle, justement, c’est notre cher syndicat. Et tu n’es pas en colère contre lui ?

Car ce sont les organisations ouvrières qui, normalement, devraient apporter la seule solution... réaliste : tout faire pour parvenir à mobiliser des millions de travailleurs pour imposer, de force, une augmentation des salaires de 300 € pour tous, l’interdiction des licenciements et des contrats de précarité, le remboursement des milliards de subventions reçus par les patrons pour créer des centaines de milliers d’emplois dans les services publics, la réquisition des logements vacants des riches.

Je te vois déjà m’écrire : « Sacré gauchiste ! » Mais j’ai comme toi des yeux pour voir, je sais comme toi que dans la plupart des entreprises les travailleurs ne sont certes pas aussi chauds et bouillants... que nos jeunes incendiaires de banlieue. Mais justement, que font nos syndicats quand des travailleurs se mobilisent ? Tu le sais comme moi. La journée du 10 mars est un succès ? La suite arrive... le 4 octobre. Le 4 octobre est un succès ? Le 17 les confédérations décident... de ne rien décider. La SNCM, les dockers de Marseille, la RTM se battent ? Dans le meilleur des cas, les syndicats applaudissent, soutiennent, mais les laissent se battre seuls, et donc se faire battre. Dénoncer, menacer, soutenir verbalement telle ou telle grève isolée, nos syndicats savent le faire. Mais unifier leurs luttes, leur donner une chance de réussir en entraînant d’autres, pas question. Qu’ils se battent seuls. Tout comme, finalement, les jeunes enragés des cités, depuis 15 jours, sont laissés seuls, y compris avec leurs méthodes imbéciles.

Mais je m’aperçois que c’est maintenant à mon tour de me lamenter inutilement ! Et de ressasser ma rancœur contre nos dirigeants syndicaux, comme s’il fallait attendre d’eux la solution... Dès la semaine prochaine, nous aurons tous deux l’occasion de faire notre possible pour défendre le mouvement d’ensemble. Avis de grève reconductible à la SNCF à partir du 21 novembre. Grève de l’Education nationale le 24. Semaine d’action à la Poste. Encore des actions isolées. Volontairement. A nous de tout faire pour les réunir.

On est réellement dans un état d’urgence : il faut donner raison... au journaliste du Parisien (eh oui, il n’y a pas que dans Lutte Ouvrière...) qui a écrit lundi : « Et si les jeunes des banlieues, qui ont certes tort sur la méthode, n’étaient que les premiers à dénoncer dans la rue ce que ressentent beaucoup de Français, l’incapacité des pouvoirs publics à résoudre les problèmes de la société ? »

Bernard RUDELLI

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