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Le gouvernement, sur l’air des « classes dangereuses »

6 décembre 2005

Même depuis le sommet France-Afrique de Bamako, entre un bain de foule et une initiation aux mystères dogons, Chirac a été amené à parler des banlieues françaises. Ministres et députés y reviennent tous les jours. Trois semaines après la fin des émeutes, le gouvernement n’en finit pas de développer sa riposte à la révolte des jeunes des cités.

Justice d’abattage

La première réaction gouvernementale a été une répression brutale. Au 30 novembre, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, il y avait eu 4770 interpellations, dont près de la moitié après la fin des émeutes, qui se sont traduites par 4402 gardes à vue et 763 personnes emprisonnées, dont une centaine de mineurs. Une bonne partie n’avait visiblement rien fait d’autre que se trouver à portée des flics au moment de leur arrestation. Beaucoup se sont vus reprocher des faits extrêmement vagues, ou ridicules - comme cet incendie de fauteuil abandonné dans une rue de Bayonne, qui a valu deux mois de prison ferme à ses trois auteurs.

Le gourdin de la justice s’abat sur des jeunes qui refusent obstinément d’avoir le profil que Sarkozy leur prête. Alors que le premier flic de France prétendait que les émeutes étaient la preuve que sa politique contre le crime organisé portait ses fruits (puisqu’elle provoquait une telle réaction !), les enquêtes de journalistes et les rapports de la police elle-même ont montré que, dans leur grande majorité, les jeunes inculpés n’avaient rien de délinquants. Les cités qui ont été touchées auraient d’ailleurs été, au contraire, les moins suspectes d’abriter des réseaux de trafiquants. Et alors que le ministre de l’Intérieur inventait que 80 % des jeunes interpellés étaient « bien connus des services de police  », il s’est avéré que la plupart n’avaient pas de casier judiciaire. Pas plus qu’ils n’étaient des étrangers manipulés par l’islamisme, contrairement à d’autres allégations du pyromane au karcher. Ni barbus, ni mafieux : les portraits des condamnés qu’on a pu lire dans la presse étaient ceux de jeunes travailleurs, ou en formation, souvent à la marge du monde du travail... comme une très grosse partie des jeunes des classes populaires de leur âge.

Les vannes ouvertes de la démagogie anti-immigrés

Le gouvernement veut criminaliser ces jeunes puisqu’il dénonce la « racaille », et les stigmatiser comme « étrangers », puisqu’il ne peut pas ouvertement les accuser d’être fils d’immigrés. Car il s’agit pour lui de justifier les autres aspects de sa réponse aux émeutes, consistant en un train de mesures censées renforcer la lutte contre l’immigration. Villepin veut ainsi doubler (d’un an à deux) le délai de séjour à l’issue duquel un étranger vivant en France peut demander le regroupement familial. Doublement aussi (de deux à quatre ans) de la période imposée aux conjoints étrangers avant de pouvoir demander la nationalité française. Diminution de moitié (à quinze jours !) du délai de formulation d’un recours pour les réfugiés déboutés, ce qui « transforme la procédure de détermination du statut du réfugié en véritable loterie  », d’après la Coordination française pour le droit d’asile. Dans un autre registre et pour faire bonne mesure, le Premier ministre veut encore supprimer les allocations familiales des parents dont les enfants auraient « un comportement incivique ». Et Sarkozy, pour ne pas être en reste, annonce qu’il va relever à 25 000 le nombre d’étrangers à expulser en 2006.

Toutes ces mesures, si elles se traduiront par une aggravation réelle de la situation des immigrés et des familles les plus pauvres, sont pourtant avant tout destinées à flatter les préjugés de l’électorat le plus réactionnaire.

La violence des jeunes était certes stérile en soi, et sur le seul terrain de l’affrontement avec la police, l’ordre social n’a pas eu grand-chose à craindre. Evidemment, un mouvement de la classe ouvrière aurait bien d’autres moyens d’ébranler sérieusement cet ordre et d’opposer à un système social écrasant les plus pauvres, une force encore plus grande. Les évènements récents ont cependant montré que la violence qu’impose cette société d’oppression peut un jour lui exploser à la figure. Et pendant quelques semaines, les dirigeants de l’Etat, qui se permettent depuis des mois d’insulter les classes populaires, sont apparus sous un jour nettement moins glorieux. Même si Sarkozy comme Villepin ou Chirac, un temps bousculés, peuvent dorénavant jouer au maximum la carte sécuritaire et répressive, pour tenter de convaincre qu’ils ont repris la main.

Reste qu’envoyer pour des mois des jeunes derrière les barreaux au moyen d’une « Justice » expéditive, démolissant un peu plus leur vie, est insupportable. Face à cette odieuse revanche sociale, les organisations qui se réclament du monde ouvrier ne doivent pas maintenant garder le silence. Tout ce qui est possible doit être fait pour sortir de prison au plus vite les victimes de cette répression, plus sauvage que la révolte elle-même.

Benoît MARCHAND

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