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Allons z’enfants...

13 décembre 2005

« Allons jeunes et moins jeunes de la patrie, le jour de s’inscrire sur les listes électorales est arrivé », chante le premier couplet de l’appel aux jeunes entonné par plusieurs personnalités, dont le chanteur Joey Starr, l’acteur Jamel Debbouze ou le footballeur Lilian Thuram. S’inscrire sur les listes, dit cet appel, est une « des solutions concrètes après les révoltes sociales », un « message d’avenir ». Et de conclure : « Nous ne voulons pas un nouveau 21 avril 2002 ».

Le défenseur de l’équipe de France avait vivement réagi aux propos de Sarkozy, lors de la révolte des jeunes de banlieues : « Quand j’étais plus jeune, [...] on me disait : tu es une racaille parce que j’habitais aux Fougères ». Ajoutant qu’« avant de parler d’insécurité, il faut peut-être parler de justice sociale », il espérait modestement que les jeunes puissent trouver « d’autres idoles » que les seuls footballeurs. Mais s’il vise à leur donner comme idoles celles qu’on trouve au fond des urnes, fussent-elles parmi les ailiers gauches du terrain électoral, Thuram tire à côté des buts.

Car, il y a un mois, il était difficile de voir une différence entre le Parti socialiste et le gouvernement face à la révolte de la jeunesse des quartiers populaires. Jean-Marc Ayrault félicitait l’action de Sarkozy pour « l’arrestation et la condamnation des fauteurs de trouble comme principal facteur de retour au calme ». Le PS n’a pas trouvé à redire contre la répression judiciaire massive contre des jeunes, avec des centaines de condamnations à la prison ferme. Il a commencé par soutenir la mise en place de l’état d’urgence, n’émettant ensuite que de douces critiques à sa prolongation.

A moins de 18 mois de l’élection présidentielle, la situation calmée, l’unité provisoirement retrouvée à son congrès au Mans, le PS se doit de prendre quelque posture d’opposant. La jeunesse des banlieues, pour beaucoup immigrée de deuxième ou troisième génération possédant la nationalité française, comme la communauté immigrée en général, est un enjeu. Et le PS d’espérer qu’il lui suffira, pour glaner des voix, de se présenter comme anti-raciste et de se démarquer d’une droite qui use et abuse d’une démagogie empruntée à Le Pen.

Et parce que cela ne coûte rien, pas un seul engagement concret, pas un liard aux patrons, le Parti socialiste remet soudain sur le tapis des questions oubliées par lui (amnésie volontaire !), mais sensibles pour tous ceux qui en ont été victimes : méfaits du colonialisme et refus du droit de vote des immigrés.

Voilà donc le PS qui relance le débat sur la loi prônant d’enseigner les bienfaits de la colonisation. Elle légitime le discours le plus réactionnaire et nauséabond des nostalgiques des colonies et soulève, heureusement, bien des indignations. Mais ladite loi ne vient pas d’être votée : elle a été débattue à l’Assemblée en 2004, a été promulguée le 23 février 2005. Et cela fait plus d’un an, dès la mise à l’étude du projet, que des historiens l’ont dénoncée. Le PS se réveille bien tard. Certains députés socialistes l’avaient même votée. Par « inadvertance », nous dit Hollande ! Ou par habitude, peut-être ? Car cette gauche est bien l’héritière de celle (du Parti socialiste d’alors à un Mitterrand pas encore socialiste) qui a mené la même politique coloniale que la droite. Entre autres crimes, la répression sanglante de la révolte de Sétif en 1945 par un gouvernement gauche-droite à participation socialiste et communiste, la répression sauvage de l’insurrection malgache en 1947 par la même coalition gouvernementale, ou la guerre d’Algérie entamée par la gauche en 1954. Quant au PS d’aujourd’hui, il est co-responsable, avec la droite, de la politique impérialiste de l’Etat français, des massacres du Rwanda à la guerre civile en Côte d’Ivoire.

Et c’est le même calcul politicien qui explique la relance du débat sur le droit de vote des immigrés et le soutien apporté par le PS à la « Votation citoyenne ». Dans cette opération promue par des associations et des partis de gauche, on demandait aux habitants de déposer un bulletin dans une urne pour se prononcer symboliquement pour le droit de vote des immigrés aux élections locales.

Accorder le droit de vote aux immigrés qui vivent, travaillent, paient des impôts en France, serait bien la moindre des choses, et pas seulement aux élections locales. Mais que la gauche ne l’a-t-elle fait plus tôt, pendant les 15 ans où elle a été au pouvoir ? La promesse faisait déjà partie du programme de Mitterrand en 1981. Mais selon les socialistes, « l’opinion » n’était pas mûre ! En 2000, une loi en ce sens proposée par les Verts a été votée... Mais le processus législatif a été arrêté par... Jospin. Et il faudrait croire le PS aujourd’hui ? Il est presque doublé sur ce terrain par Sarkozy lui-même, qui se prononce pour ce droit de vote des immigrés, protégé par Chirac qui n’en veut pas, comme le PS l’avait été par « l’opinion »... pour ne pas le faire.

Aux urnes, citoyens, pour remettre en selle les mêmes ci-devants ? Le jour de gloire va arriver... en 2007 ?

Si l’explosion de colère de la jeunesse des banlieues montre quelque chose, ce n’est pas l’urgence de la « votation citoyenne ». C’est l’urgence de la riposte sociale. Du moins déjà de sa préparation, que partis de gauche et directions syndicales, tout en cherchant à redorer leur blason par des pétitions, des « forums pour construire une alternative anti-libérale à gauche » ou des journées d’action volontairement sans lendemain, cherchent à nous faire oublier.

Michel CHARVET

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