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Le chœur des vierges

26 janvier 2007

Ce qu’il y avait de bien, chez l’abbé Pierre, ce n’était pas sa foi ni l’eau bénite, mais sa révolte et ses coups de gueule. Aujourd’hui, à sa mort, voilà que ceux qu’il accusait et bousculait, noient ses diables de colères sous un fleuve d’encens et d’hypocrisie.

« Chaque nuit, ils sont plus de 2000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain... » s’écriait -il à la radio le 1er février 1954, il y a 53 ans. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Les morts de froid se comptent par dizaines chaque hiver. Le nombre de SDF à Paris n’est plus de 2000 mais avoisine les 10 000. Et on estime qu’un million de personnes, en France, n’ont pas de logement personnel -situation qui touche de plus en plus de travailleurs pauvres.

Villepin salue « une force d’indignation capable de faire bouger les cœurs et les consciences » ; Sarkozy déclame, trémolos dans la voix, que « le cœur de la France est en berne » et que « sa foi et son immense charisme nous ont entraînés sur les chemins de la bonté et de l’action ». La bonté et l’action de Sarkozy ! Le cœur et la conscience de Villepin ! De toutes ces belles âmes qui sévissent depuis cinq ans au gouvernement ! Chirac n’est pas en reste de sanglots. Il est « bouleversé d’apprendre le décès de l’abbé Pierre...c’est toute la France qui est touchée au cœur. Elle perd une immense figure, une conscience, une incarnation de la bonté ». Amen.

Côté parti socialiste, autre rhétorique, mais même amnésie : « Le combat de sa vie au service des plus démunis reste hélas d’actualité en cet hiver 2007. Son esprit de révolte doit se poursuivre pour apporter à tous la sécurité et la dignité du logement » a déclaré Ségolène Royal, oubliant -sans doute sous le coup de l’émotion !- que ce combat n’était pas moins d’actualité lorsque la gauche était au pouvoir. Pas question alors de réquisitionner les logements vides des spéculateurs fonciers, ou de s’en prendre aux patrons licencieurs plongeant à coup de « plan sociaux » toujours plus de travailleurs dans la misère. L’« esprit de révolte » cédait le pas à « l’incarnation de la bonté » chère à Chirac, au chevet du grand patronat.

Difficile de départager la déclaration la plus écœurante parmi ce déluge d’hommages posthumes proférés par des hommes et des femmes qui, la semaine dernière, faisaient étalage de leurs riches patrimoines. Pour tout ce monde politique, la promotion de la charité permet de faire oublier qu’ils participent activement au maintien et à l’extension de la misère. Et s’ils applaudissent à « l’insurrection de la bonté » d’il y 53 ans, c’est pour mieux faire retomber le poids de leur politique sur la béquille de la générosité publique.

À l’instar de l’abbé Pierre, ou encore des enfants de Don Quichotte, on ne peut qu’être révolté par cette société qui plonge toujours plus de travailleurs dans la pauvreté absolue et les met à la rue. Mais point de salut à attendre ni du bon Dieu, ni des âmes charitables, ni d’une quelconque « insurrection de la bonté ». Mais de l’insurrection tout court. D’un vent de révolte débouchant sur une tempête sociale qui fasse trembler de trouille les bénéficiaires et les défenseurs de l’ordre établi.

Yves LEFORT

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