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La révolte birmane et ses faux amis

4 octobre 2007

La répression des manifestations en Birmanie s’est amplifiée la semaine dernière. Des bilans officieux font état de dizaines de morts, voire 100 ou 200 et de milliers d’arrestations de manifestants et d’opposants. La colère avait explosé à la mi-août à la suite de la hausse brutale du prix des carburants décidée par la junte au pouvoir. Mais ce sont les brutalités policières contre des moines bouddhistes, qui depuis début septembre se sont joints aux manifestants, qui semblent avoir mis le feu aux poudres, les bonzes attitrant derrière eux des foules de manifestants de plus en plus nombreuses.

Alors, du côté des grandes puissances impérialistes, que la situation en Birmanie gênait jusque-là fort peu, même si elles avaient pris leurs distances avec la dictature birmane, les bonnes âmes se sont émues. Plus des dangers que la crise présente pour elles et pour leurs compagnies installées en Birmanie que du sort du peuple birman, évidemment.

Le Conseil de sécurité de l’ONU a « appelé à la retenue, en particulier (sic) de la part du gouvernement birman » !... Son secrétaire général a dépêché un émissaire spécial auprès des chefs de la junte. Pour lui prêcher donc la « retenue » et rendre une brève visite à la dirigeante de l’opposition (la Ligue Nationale pour la Démocratie), Aung San Suu Kyi, nommée en 1991 prix Nobel de la paix, en résidence surveillée à Rangoon. Et l’Union européenne a brandi la menace de sanctions aggravées en cas de « recours à la violence à l’encontre de manifestants pacifiques et non armés ».

Sarkozy ne pouvait donc être en reste. Il a reçu un représentant de l’opposition birmane, Sein Win, officiellement reconnu comme « Premier ministre du gouvernement en exil » et s’est offert le luxe de déclarer que « la France appelle l’ensemble de ses sociétés privées, Total par exemple, à faire preuve de la plus grande retenue s’agissant des investissements en Birmanie en demandant qu’il n’y en ait pas de nouveaux. ». Un geste à peu de frais. La direction de Total a répondu qu’elle ne réalise plus d’investissements en Birmanie depuis une dizaine d’années !

Et pour cause : ses investissements, Total les a faits il y a quinze ans. Le gaz birman du gisement off-shore de Yadana coule désormais dans ses pipelines. Il ne lui reste qu’à en tirer bénéfice. Comme la junte birmane, qui contrôle 15 % du consortium de Yadana. Au point qu’Aung San Suu Kyi présentait Total, dans un entretien au Monde en 1996, comme « le plus fort soutien du système militaire birman ».

C’est pour la construction du gazoduc exportant le gaz de Yadana à travers des zones alors en rébellion contre le pouvoir central, comme pour la sécurisation de ses infrastructures, que Total n’a pas hésité à collaborer tout au long des années 1990 avec l’armée birmane et à bénéficier du travail forcé que le régime impose à la population. Total en France, comme son partenaire américain dans cette affaire (Unocal, racheté depuis par Chevron), a jusqu’ici évité un procès en indemnisant une partie des plaignants et en s’offrant les services de Bernard Kouchner pour la rédaction en 2003 d’un rapport vantant les mérites de l’action sociale de Total en Birmanie. (La justice belge vient cependant de rouvrir une enquête sur le recours au travail forcé sur le chantier du gazoduc.)

On comprend donc que le même Kouchner ait tenu à préciser que le gouvernement français ne demandait nullement à Total de quitter la Birmanie. Ce serait pire, explique-t-il : la société française serait remplacée par des « capitaux venus de la junte elle-même ou des capitaux chinois ». Total déclarant de son côté : « Notre départ constituerait alors un risque d’aggravation de la situation pour les populations, risque que nous ne pouvons accepter ». Il est plus curieux d’entendre un porte-parole du PCF, Olivier Dartigolles, servir la même version : « Il ne faut pas que le peuple birman soit victime de la situation par un boycott ou le départ d’une entreprise de leur pays. La population birmane a besoin d’un développement économique et ne doit donc pas être frappée par le départ des entreprises étrangères, mais un groupe tel que Total, suspecté d’avoir soutenu la dictature birmane, doit engager une réflexion sur ses actions dans un pays non-démocratique. ».

Entre des « soutiens » à l’étranger qui ne parlent de démocratie que pour soutenir leur propre impérialisme et une « opposition démocratique » sur place qui recherche des compromis avec l’armée au nom de la réconciliation nationale, la lutte des opprimés en Birmanie a encore bien des obstacles à surmonter...

Gérard WEGAN

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