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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 114, septembre-octobre 2017 > USA

La progression des Socialistes démocrates d’Amérique

5 octobre 2017 Convergences Monde

Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, on a pu observer une certaine politisation parmi une couche de la population états-unienne. Des centaines de milliers de personnes ont manifesté contre le président : juste après son élection, lors de la marche des femmes le 21 janvier ou encore devant les aéroports après le décret du 27 janvier de Trump suspendant la possibilité de vol vers les États-Unis pour les ressortissants de sept pays dits musulmans. Nombre de jeunes cherchent comment militer et des organisations pouvant leur fournir un cadre pour leur activité. Cette énergie a été en grande partie captée par des ONG et des satellites du Parti démocrate, comme l’organisation « Indivisible ». Comme c’est habituel aux États-Unis, les démocrates tentent de capter cette énergie pour la canaliser vers les élections au Congrès de 2018. Mais parallèlement aux organisations liées aux démocrates, d’autres organisations ont connu une progression impressionnante, comme les Socialistes démocrates d’Amérique (Democratic Socialists of America, DSA), la section de l’Internationale socialiste aux États-Unis, passée de 6 000 membres en novembre 2016 à plus de 25 000 aujourd’hui.

Renouveau des idées socialistes… et du vieux réformisme

Des comités DSA ont surgi sur tout le territoire national regroupant des centaines voire des milliers de personnes dans les plus grandes villes comme New York, Chicago et San Francisco, mais aussi disséminés dans de plus petites villes un peu partout aux États-Unis. La plupart de ces nouvelles recrues, mais pas toutes, ont trente ans ou moins, sont des Blancs et sont issues de la petite bourgeoisie. Un petit nombre, néanmoins significatif, de ces membres sont des militants de syndicats et d’ONG. Dans certaines villes comme San Francisco, cette vague d’adhésions est vue comme l’éveil politique des programmeurs et mordus d’informatique ainsi que d’étudiants, d’enseignants et de jeunes diplômés.

Ces nouveaux militants cherchent des moyens de changer la société et sont attirés par l’idée du socialisme. Ils se posent beaucoup de questions : quelle est le rapport entre réforme et révolution ? Que signifie pour des socialistes la participation aux élections ? Quel est le rôle des socialistes dans la classe ouvrière ? Quel est le rôle des syndicats et quelle relation les socialistes doivent-ils avoir avec eux ? Les réponses des DSA à ces questions sont très éloignées de celles des révolutionnaires.

Les DSA ont été fondés en 1973 à partir d’une scission du Parti socialiste des États-Unis, le parti d’Eugene Debs, militant ouvrier (cheminot), candidat à l’élection présidentielle au début du XXe siècle. En 1912, le Parti socialiste avait récolté 6 % des voix. Il regroupait autrefois la partie la plus politisée et militante de la classe ouvrière. Alors que son influence fut éclipsée par le Parti communiste dans les années 1930 et même dans les années 1960 et 1970, le Parti socialiste regroupa des militants de premier plan comme Bayard Rustin, le conseiller politique de Martin Luther King, et un certain nombre de responsables syndicaux pour qui le parti était un réseau au sein de l’appareil. Ces responsables étaient anticommunistes et leurs positions sur la guerre du Vietnam étaient ambigües. Ils insistaient sur le fait que les États-Unis devaient rester fermes face à « l’agression communiste » tout en négociant un cessez-le-feu sans pour autant appeler au retrait des troupes américaines. Le Parti socialiste comprenait à cette époque un groupe de militants organisés autour de Max Shachtman, un ex-trotskiste qui avait mené une scission de la section américaine de la quatrième Internationale en 1940. Si Shachtman était anticommuniste durant la guerre froide, son influence importante sur l’organisation de jeunesse du Parti socialiste avait conduit cette dernière à donner une sorte de formation socialiste à ses membres, qui comprenait l’étude des travaux de Lénine, de Trotsky et de Rosa Luxemburg.

La scission du PS en 1973 et la fondation des DSA

Un groupe de jeunes militants conduit par Michael Harrington, un proche de Max Shachtman, scissionna du Parti socialiste en 1973 pour former ce qui deviendra plus tard les Socialistes démocrates d’Amérique, après fusion avec d’autres organisations de la Nouvelle gauche. L’orientation des DSA depuis leur début a été de plaider pour une stratégie de « réalignement » depuis l’intérieur du Parti démocrate afin que ce dernier devienne un parti social-démocrate selon le modèle européen. Depuis sa création, DSA a été un des groupes de pression qui a contribué aux campagnes électorales des politiciens du Parti démocrate, organisant le soutien aux candidats du parti qui prenaient des positions progressistes sur les droits des femmes, les droits civiques, l’écologie et les libertés syndicales.

2016 : la campagne de Bernie Sanders

Comment une pareille organisation est-elle devenue le pôle d’attraction d’une nouvelle génération de militants en voie de radicalisation ? La cause la plus évidente est la campagne de Bernie Sanders. Sanders décrivait sa politique comme du « socialisme démocratique ». Sa campagne a reçu un large appui dans la jeunesse. Ces jeunes gens ont vu avec consternation Sanders concéder la victoire à Clinton pour la nomination du Parti démocrate, puis Clinton perdre contre Trump. C’est cette couche de la population qui est descendue dans la rue lors de l’investiture de Trump. Et beaucoup de ces jeunes faisaient partie de ceux qui cherchaient à rejoindre une organisation. Plus d’un jeune militant disait « J’ai bien aimé Bernie Sanders et ce qu’il racontait donc j’ai cherché sur Google ‘socialiste démocrate’ et j’ai trouvé DSA ! »

Le magazine Jacobin

Un autre facteur important dans la croissance de DSA a été le rôle joué par le magazine Jacobin, fondé en 2010 par de jeunes membres de DSA, avec pour but de créer une publication socialiste populaire. Le magazine publie des articles émanant d’universitaires de gauche et d’extrême gauche. Le contenu de Jacobin exprime une curiosité qui dépasse la politique sociale-démocrate de Bernie Sanders. Les membres de DSA cherchent à avoir une compréhension de Marx, d’Engels, de Lénine et de Luxembourg, et le site web de DSA publie des articles sur l’héritage historique de Trotsky et la chute des trois premières internationales. Ces socialistes nouvellement actifs cherchent à trouver leur place dans les traditions historiques du socialisme, des sociaux-démocrates aux révolutionnaires.

Une nouvelle génération de militants

La conséquence la plus marquante de la progression de DSA a été le cadre d’activité qu’elle représente. Les militants de DSA tiennent des meetings, des pique-niques et des fêtes avec une atmosphère sociale attirante, tout en organisant des manifestations à travers tout le pays. En outre, ils deviennent les troupes de base de projets syndicalistes comme la campagne Single Payer Health Care en Californie (une campagne au niveau de l’État pour fournir une forme de couverture maladie universelle). Les militants de DSA se sont aussi mobilisés pour soutenir la campagne Fight For $15, pour un salaire minimum à 15 dollars. Ils ont mené avec succès des campagnes pour obtenir des élus dans les villes de Chicago et de South Fulton (Géorgie). Tout cela reflète le volontarisme et l’énergie de nouveaux militants. Les adhérents de DSA se lancent eux-mêmes volontiers dans toutes sortes d’activités, s’affichant avec des drapeaux rouges, prêts à participer pleinement à tout ce qui leur semble être juste.

Congrès d’août 2017 à Chicago

En août dernier, DSA a tenu un congrès qui a rassemblé 700 délégués de 117 comités sur 49 États. Il y avait des messages de soutien du Bloc de gauche portugais, Podemos pour l’Espagne, l’organisation Momentum de Jeremy Corbyn au sein du Parti travailliste britannique et de la France insoumise. Beaucoup à DSA voient l’organisation comme l’expression américaine de ce renouveau de la gauche européenne. Une façon d’ignorer les désillusions produites par des créatures politiques similaires comme Syriza en Grèce.

Mais les nouveaux membres tentent déjà de se démarquer de la vieille garde. À la convention d’août, les délégués ont voté en masse pour sortir de l’Internationale socialiste et pour soutenir l’appel international des militants palestiniens pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions (campagne BDS) contre Israël. Autant de positionnements qui ont soulevé des protestations et même des démissions chez les membres historiques de DSA qui soutiennent l’Internationale socialiste et s’opposent au boycott d’Israël sur une base pro-sioniste.

Une des questions principales débattues au sein de l’organisation est de savoir quel rapport entretenir avec les élections et s’il faut fournir un soutien actif à divers candidats allant des démocrates progressistes à des candidats indépendants et aux candidats des Verts, ou bien seulement soutenir les candidats qui se réclament de l’étiquette socialiste. À la convention, une motion pour abandonner progressivement la stratégie de soutien aux démocrates de gauche au profit des indépendants ou des candidats socialistes a été repoussée par une majorité des trois cinquièmes de l’organisation. Le système de cotisation, auparavant une contribution minimale annuelle, a été revu en une cotisation mensuelle pour refléter l’afflux des adhésions actives.

Les petits groupes révolutionnaires ont à juste titre suivi la progression de DSA. Les groupes trotskystes Socialist Alternative (section du Comité pour une Internationale ouvrière) et International Socialist Organisation (auparavant de la Tendance socialiste internationale) ont tenu des forums communs et des débats, proposé des activités communes et critiqué la politique de la vieille garde de DSA orientée vers les démocrates. D’autres organisations du mouvement trotskyste comme Solidarity, un regroupement de plusieurs tendances, se sont constituées en tant que courant au sein de DSA. En outre, beaucoup de gauchistes isolés, de trotskystes, de maoïstes et d’ex-membres du Parti communiste sont entrés à DSA avec des attitudes variées.

Nous préférons la croissance d’une organisation socialiste rassemblant des milliers de personnes aux États-Unis à la longue histoire d’anticommunisme et à la puissante attraction du Parti démocrate. Des milliers de jeunes gens cherchent des réponses tout en étant actifs dans les mouvements sociaux, fiers de se nommer eux-mêmes socialistes, partisans d’un avenir socialiste. Reste à convaincre une partie de ces nouveaux partisans du socialisme de reprendre à leur compte les méthodes de Lénine, de Trotsky du Parti bolchevique et de contribuer à la construction d’un parti communiste révolutionnaire aux États-Unis.

10 septembre 2017, San Francisco, Victor KELLY

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