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DOSSIER : Elargissement à 25, nouvelle constitution : l’Union européenne, une menace pour les travailleurs ?

L’Europe comme « contrepoids » aux USA ?

Mis en ligne le 14 mai 2004 Convergences Monde

Le refus de la France et de l’Allemagne de participer à la guerre états-unienne en Irak, en ravivant l’anti-américanisme, semble avoir relancé l’idée de la nécessité de la « multipolarité » [1]. De la droite chauvine jusqu’à la gauche altermondialiste, nombreux sont ceux qui défendent l’idée que l’Europe devrait faire barrage à l’« hyperpuissance » américaine, sans rivale depuis la fin de l’Urss.

Un projet américain

L’Union européenne, loin d’émerger en concurrente des USA, a d’abord été largement encouragée, sinon suscitée par eux. Au sortir de la Seconde guerre mondiale en effet, dans le but de contenir l’influence de l’Urss, les Etats-Unis proposent avec le plan Marshall un gigantesque système d’aides et de crédits aux pays européens. Pour répartir la manne financière, Washington exige que les bénéficiaires du plan mettent en place l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) en 1948.

La Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1951, puis la Communauté économique européenne (CEE) en 1957, sont d’initiative européenne. Mais elles s’accordent tout à fait aux vues des Etats-Unis. Ce sont eux qui ont fait notamment pression sur la RFA pour qu’elle accepte la CECA.

Cette politique américaine ne s’explique pas seulement par le souci, en pleine guerre froide, de s’arrimer l’Europe de l’Ouest. Loin de signifier la naissance d’un pôle concurrent, la création d’un marché commun facilite au contraire une meilleure intégration des économies européennes à la sphère d’influence américaine. Ainsi, entre 1958 et 1966, le volume des capitaux américains investis dans l’Europe des six est multiplié par quatre. Dans le même temps le nombre de filiales américaines y passe de 1200 à plus de 4000. Et en 1968, la production de produits manufacturés par ces filiales implantées dans la CEE est quatre fois plus importante que les exportations américaines vers la Communauté.

Cela suscite certes quelques débats au sein des classes dirigeantes européennes. Ainsi en France, Jean Monnet (l’un des « pères de l’Europe ») est très vite favorable à l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE : il défend l’idée que cela donnera plus de poids à la Communauté européenne, y compris face aux USA (qui soutiennent pourtant cette intégration...). Pour De Gaulle au contraire, la « relation spéciale » américano-britannique, qui se manifeste concrètement par la présence de très nombreuses entreprises américaines au Royaume-Uni, est une raison de refuser pendant de longues années l’entrée de celui-ci dans la Communauté.

Sur le plan militaire, les USA soutiennent en 1952 la création de la Communauté européenne de défense (CED), et cherchent à y faire rentrer la RFA, poste avancé du bloc occidental, afin de faciliter son réarmement. Mais la France fait échouer le projet en 1954. Les Etats-Unis contournent alors le problème en intégrant la RFA à l’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique nord, créée en 1949), dont ils assurent directement le commandement. Dès lors, l’existence de l’Otan - à laquelle adhèrent la plupart des pays européens [2] - biffe la question de l’Europe militaire de l’ordre du jour.

Après la chute du Mur

La chute du Mur de Berlin puis la fin de l’Urss modifient la donne.

Les premières conséquences sont bien sûr diplomatiques et militaires. Le « parapluie » de l’Otan perd sa raison d’être initiale. Dans les années 1990, la France et l’Allemagne font une timide tentative pour reposer la question d’un système de défense européen. En juin 1996, un accord signé à Berlin propose la constitution de Groupements de forces d’intervention multinationaux, dans le cadre de l’Otan, mais placées sous commandement européen, et pouvant agir sans participation américaine. Les Etats signataires demandent ensuite que le commandement de la zone sud de l’Otan soit attribué à un Européen. Washington s’y oppose catégoriquement. Les institutions militaires européennes doivent se résigner à rester essentiellement symboliques.

Difficile d’ailleurs d’avoir une seule armée quand les différents Etats nationaux conservent des politiques diplomatiques distinctes, voire opposées. Les guerres en Yougoslavie de la décennie 1990 illustrent de façon dramatique ces divergences. En 1991, l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie est encouragée par l’Allemagne. La France réagit en appuyant la Serbie. L’éclatement de la Yougoslavie et la guerre civile qui s’ensuit sont ainsi accélérées par les rivalités intra-européennes. En 1999, l’Europe n’est pas plus capable de régler l’affaire du Kosovo, au point que les Etats-Unis se décident à intervenir eux-mêmes, aux portes des mêmes pays qui revendiquaient plus de poids dans l’Otan quelques mois auparavant.

Les volets sur la Politique étrangère de sécurité commune (PESC) ou la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) du traité de Nice (2000) sont encore essentiellement décoratifs. Et les derniers événements irakiens ont montré ce que valait l’article de la PESC stipulant que « les membres du Conseils de sécurité de l’ONU [France et Grande-Bretagne] s’engagent à défendre les positions et les intérêts de l’Union [européenne] ». Encore aurait-il fallu que l’Union ait une position...

La guerre en Irak, un tournant ?

Si l’Europe a une certaine existence économique les bourgeoisies européennes dans leur ensemble sont donc très loin de se retrouver de façon durable autour d’intérêts politiques, diplomatiques ou stratégiques semblables. Le poids des vieilles relations historiques, l’importance des zones d’influences respectives, l’existence ou non de prés carrés coloniaux, tout cela reste déterminant et fait que l’instrument de domination politique des différentes bourgeoisies européennes reste leur vieil Etat national.

Pourtant la seconde guerre du Golfe a montré que certaines convergences pouvaient émerger tout de même. La France et l’Allemagne ont persisté dans leur refus de participer à la guerre menée par Bush en Irak. Certes, le tandem Chirac-Schröder s’est retrouvé relativement isolé [3]. Et l’administration Bush a réussi à s’adjoindre le soutien de la majorité des autres diplomaties européennes, notamment de la « nouvelle Europe » [4]. Mais l’axe Paris-Berlin a tenu.

Ainsi, quinze ans après la chute du Mur, on ne peut pas ne pas remarquer la différence d’avec le scénario de la première guerre du Golfe, où le ralliement aux Etats-Unis avait été général. Après tout, avec la disparition du bloc soviétique, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que certains camps impérialistes rivaux se forment ou se reforment.

L’avenir dira si les espoirs des tenants d’une Europe puissante et unie sont infondés ou simplement prématurés. Du point de vue du prolétariat, le problème n’est de toute façon pas là. Même réduits à un rang secondaire les puissances européennes, en particulier la France, ont montré ces cinquante dernières années, de l’Indochine au Rwanda, qu’elles sont capables d’une barbarie qui n’a rien à envier à l’hyperpuissance qui les dominait. Et auparavant deux guerres mondiales avait montré quelle sorte de stabilité et de paix garantissait au monde l’existence d’une « multipolarité » impérialiste.

Benoît MARCHAND


[1Ainsi E. Balibar, dans la présentation de son livre « L’Europe, l’Amérique, la Guerre » : « [L’Europe] devrait exercer une médiation, fournir un contrepoids, pour retenir les Etats-Unis sur la pente de la militarisation et d’une remise en question des droits démocratiques, et préserver le monde entier d’une polarisation irrémédiable entre « civilisation » hostiles. » Ou bien l’intellectuel américain d’origine palestinienne E. Saïd, dans un article intitulé « Europe vs America » : « J’aimerais bien savoir cependant quand l’Europe prendra conscience d’elle-même et se décidera à assumer le rôle de contrepoids que lui dictent sa taille et son histoire. » Et l’écrivain indienne Arundhati Roy : « L’Europe devrait cesser de se comporter comme le caniche des américains » ...

[2La France prend ses distances en 1966.

[3A la veille du déclenchement de la guerre, Bush aurait déclaré à un ministre turc : « Y a-t-il encore une Union européenne ? Je l’ai cassée en trois ! »

[4Comme l’a appelée Donald Rumsfeld, le secrétaire américain à la défense, en janvier 2003. Il est certain que, pour l’heure, l’entrée des dix nouveaux membres dans l’Union ne va pas faciliter l’émergence d’une politique étrangère européenne... Mais l’alignement de ces ex-membres du bloc soviétique sur les positions diplomatiques de Washington va-t-il perdurer ? Pour les grandes puissances européennes, la mise sous influence des nouveaux venus peut être justement l’un des enjeux de l’intégration.

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