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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 66, novembre-décembre 2009 > DOSSIER : La grève des travailleurs sans papiers

Italie : « Il Cavaliere » ne fait pas cavalier seul

30 novembre 2009 Convergences Monde

Les Italiens qui approuvent la politique xénophobe de Berlusconi et autres, semblent avoir oublié qu’il n’y a pas si longtemps, ce sont bon nombre de leurs ancêtres qui quittaient leur pays pour trouver de meilleures conditions de vie.

Un pays d’émigration…

La déferlante migratoire italienne commence lorsque l’Italie achève son unification en 1870. Entre 1876 (date de la mise en place d’un Institut national de la statistique) et 1985, 27,5 millions d’Italiens ont quitté leur pays, avant tout des jeunes, des paysans appauvris ou journaliers (braccianti) du Sud, des ouvriers d’autres régions, pour les mines et les plantations du Nouveau monde après l’abolition de l’esclavage. À eux seuls, les États-Unis et la France ont absorbé 46 % des émigrants italiens ; viennent ensuite la Suisse, l’Allemagne, l’Argentine et le Brésil.

… devient pays d’immigration

Pays d’émigration jusqu’aux années 1960, l’Italie est devenue, progressivement et plus tardivement que d’autres pays européens, une terre d’immigration. À la fin des années 1970, des Tunisiens commencent à s’établir en Sicile. À la même époque, des domestiques capverdiennes et philippines sont déjà une présence familière à Rome et à Milan. Le phénomène migratoire n’est pas réglementé jusqu’au milieu des années 1980. L’immigration a tardé à devenir un enjeu politique.

À partir des années 1990, le mouvement d’immigration s’accélère et s’amplifie : le pays voit affluer de nombreux réfugiés en provenance de l’ex-Yougoslavie, du Kosovo et de la Somalie. De 1,3 million d’immigrés en 2000, on passe à 2,7 millions en 2004, et environ 4 millions aujourd’hui.

Romano Prodi I (1996 – 1998) introduit des quotas migratoires

Le 21 avril 1996, une coalition de centre-gauche dite de l’Olivier (l’Ulivo) dont fait partie l’ex-Parti communiste, rebaptisé Parti démocratique de la gauche (PDS), forme la composante principale, gagne les élections et obtient la majorité au Parlement. Par la loi Turco-Napoletano du 6 mars 1998, cette gauche innove en instaurant pour la première fois des quotas migratoires. Certes, elle entreprend une nouvelle vague de régularisations, mais de façon restrictive et au cas par cas. Pour obtenir un titre de séjour, il faut en avoir fait la demande avant le 15 décembre 1998, avoir un logement, une promesse d’embauche et un casier judiciaire vierge. Sur les 300 000 personnes qui font la demande, toutes n’obtiennent pas un titre de séjour, et cette année-là, l’Italie chasse 58 000 personnes de son territoire !

Sous ce gouvernement Prodi, il y a aussi l’épisode tragique de l’embarcation albanaise Kater I Rades, coulée avec 100 personnes à bord par la marine italienne dans le canal d’Otranto. Celle-ci avait reçu l’ordre de ne laisser passer personne : plus de 80 Albanais meurent noyés dont plus de la moitié étaient des femmes et des enfants. Cela n’empêche pas les partis de droite, surtout la Ligue du Nord (Lega Nord, formation régionaliste violemment xénophobe) et son chef Bossi de critiquer le laxisme de cette politique migratoire et d’exiger l’abrogation de l’actuelle loi sur l’immigration ; il déclare même que face à cette loi, il est normal de se dire raciste car dans peu de temps, l’Italie ne sera composée que d’étrangers…

Berlusconi II et III (2001-2006) : haro sur l’immigré !

Après une campagne xénophobe où la coalition de droite promet une guerre totale contre les clandestins et l’« immigration-zéro », Silvio Berlusconi, est élu pour un deuxième mandat le 11 juin 2001 à la tête d’une coalition électorale appelée « maison des libertés » (Casa delle Libertà), formée de son propre parti (Forza Italia) et deux autres (la Ligue du Nord et l’Alliance Nationale, nouvelle appellation de l’ancien parti fasciste MSI dirigée par Gianfranco Fini).

En 2002, la loi Bossi-Fini durcit la politique des quotas migratoires instaurés en 1998. Elle introduit le dénommé « contrat de séjour entre l’employeur et le salarié » qui conditionne le permis de séjour à l’obtention d’un contrat de travail préalable et livre donc l’immigré au bon vouloir de son employeur. Elle augmente ainsi la capacité de chantage des patrons sur les nouveaux arrivés, mais elle précarise aussi les résidents de longue date : si après une période de chômage de 6 mois, ceux-ci n’ont pas retrouvé de travail, ils perdent leur droit au séjour et sont acculés, soit à quitter l’Italie, soit à devenir clandestins et accepter les pires esclavages dans l’économie souterraine où sévissent toute sorte de patrons truands. Elle instaure aussi un fichier d’empreintes génétiques pour les demandeurs de visas, réduit de façon drastique le droit au regroupement familial et double les peines encourues par les clandestins.

Au cours de l’été 2002, le gouvernement Berlusconi décrète l’état d’urgence dans les régions du sud pour « arrêter l’invasion » qui autorise les autorités locales à prendre des mesures d’exception, comme la création de « centres de transit » pour les nouveaux arrivants qui sont ensuite envoyés vers les centres de rétention afin d’être expulsés. Mais ces centres fonctionnent comme des prisons. Sur l’île de Lampedusa, à l’intérieur de la zone militaire de l’aéroport, des centaines d’immigrés demandeurs d’asile ont été détenus dans des conditions d’indigence totale et parfois expulsés sans que leur demande d’asile ne soit examinée. Situation qui donna lieu à une révolte en février 2009 : 50 immigrés blessés par la police.

Prodi II (2006 – 2008) libéralise…

Romano Prodi annonce sa volonté de revenir sur la plupart des dispositions de la loi Fini-Bossi et de faciliter l’obtention de la citoyenneté italienne… En effet, de nombreux secteurs économiques, en particulier l’agriculture qui manque de main-d’oeuvre, se plaignent des quotas trop restrictifs de cette loi. D’où le revirement par rapport à Berlusconi : ouverture sans restriction du marché du travail aux nouveaux citoyens de l’Union européenne et accueil plus large d’immigrés « extra communautaires ». Le gouvernement décide de régulariser le demi million d’immigrés travaillant illégalement en Italie, soit 350 000 de plus que le quota fixé par le précédent gouvernement pour l’année en cours ; il supprime par décret toute restriction à l’entrée des travailleurs issus des pays de l’Est. Dans un pays vieillissant où le taux de natalité (1,25 enfant par femme) est l’un des plus faibles de l’Union Européenne, on enregistre aussi une hausse des besoins en aides à domicile. Bénéfices aussi pour les services sociaux italiens défaillants ! Autre mesure : « Il Professore » rétablit pour les familles immigrées la prime à la naissance de 1 000 euros, que Silvio Berlusconi avait réservée aux seuls Italiens.

Berlusconi IV (2008…) : une politique d’immigration xénophobe

En mai 2009, le gouvernement de Silvio Berlusconi fait adopter sa « loi sur la sécurité ». Elle concerne l’immigration clandestine. Désormais toute entrée ou séjour illégal devient un délit passible d’une amende allant jusqu’à 10 000 euros. La durée maximale de séjour en centre de rétention pour migrants (CPT – Centri di Permanenza Temporanea) passe de 2 à 6 mois et les personnes qui hébergent des sans papiers ou leur louent un logement risquent jusqu’à trois ans de prison. En outre, les parents n’ayant pas de statut légal ne peuvent plus déclarer leurs enfants aux autorités locales et n’ont donc plus accès aux services publics. Enfin, la nouvelle loi donne un statut légal aux « patrouilles citoyennes » mises en place par certaines municipalités pour signaler à la police les atteintes à l’ordre public. Déjà actives dans le Nord de l’Italie au milieu des années 1990, elles visent explicitement les immigrés et les Roms vivant en Italie. La Lega Nord, 3e force politique du pays, représentée au gouvernement par 4 ministres – dont celui de l’Intérieur Roberto Maroni – et 8 secrétaires d’État, est le fer de lance de cette politique sécuritaire et xénophobe. À la tête de 13 provinces et 261 municipalités (dont Bergame, Brescia, Vérone et Venise), elle a les mains libres pour lancer ses énergumènes racistes contre les immigrés. C’est ainsi que Flavio Tosi, élu maire de Vérone en mai 2007 avec 60,7 % des votants, a organisé en fanfare l’expulsion des Roms installés dans la banlieue et les bulldozers municipaux ont complété l’opération en rasant le campement (une « jungle de Calais » en somme, avec un Besson italien). En février dernier, le maire de Turate, une petite ville de 8 000 habitants, a ouvert un bureau de la délation pour permettre à ses administrés de dénoncer les clandestins.

Lors de sa campagne pour les élections européennes de juin 2009, Berlusconi a utilisé cette « loi sur la sécurité » pour exhorter ses partenaires de l’Union Européenne à « ne pas laisser l’Italie seule ». Comme si elle l’était ! Au sommet franco-espagnol d’avril 2009, les gouvernements Sarkozy et Zapatero s’étaient entendus sur la création d’un « comité stratégique de sécurité intérieure » qui devait lutter contre le terrorisme, la criminalité mais aussi… l’immigration clandestine. Et le 23 octobre dernier, Berlusconi et Sarkozy ont réclamé ensemble l’organisation de charters communautaires, financés par l’Agence pour la gestion des frontières extérieures (Frontex), pour expulser les étrangers en situation irrégulière. Ils ont été entendus.

Charles BOSCO

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