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Iran : un ayatollah peut en cacher un autre

10 mars 2000

Le 18 février dernier, le premier tour des élections législatives en Iran a assuré une majorité écrasante au courant « réformateur » qui a gagné d’emblée 132 sièges contre 40 pour le courant dit « conservateur ». La campagne électorale courte mais intense a été très suivie par la population, qui s’est mobilisée pour aller voter avec un taux de participation de 80 %, comme elle s’était mobilisée en avril 1997 pour porter au pouvoir avec 70 % des voix l’actuel président « réformateur » Khatami, dont la presse occidentale ne cesse de faire l’éloge. Malgré toutes leurs limites ces élections mesurent les contradictions profondes de la société iranienne. Les désirs de modernisation d’un secteur de la bourgeoisie et les tensions sociales croissantes ne peuvent plus être contenus dans un cadre aussi archaïque.

Certes, l’Etat islamique a permis de faire disparaître des milliers d’opposants et de militants ouvriers et d’assurer la paix sociale dans le sang. Mais la répression ne permet pas à elle seule à transformer un imam fût-il guidé par Dieu en un entrepreneur moderne. La bourgeoisie iranienne, en tout cas son secteur moderniste, aspire à rester compétitive et à certaines réformes. L’Iran a changé. 61 % de population est désormais citadine avec deux millions d’étudiants (à majorité féminine). Pour ouvrir le capitalisme iranien, Khatami a construit une coalition hétéroclite, le Front de la Participation, qui regroupe à la fois les entrepreneurs partisans du démantèlement du secteur nationalisé (d’où les soupirs compréhensifs des gouvernements occidentaux) et des partisans de son maintien, tout en s’appuyant sur les religieux qui veulent éviter à l’islam de souffrir de l’impopularité du régime. C’est en exploitant en partie des aspirations sociales et démocratiques de la population que ce bloc politique tire son dynamisme. Le thème favori de sa campagne est la « modernisation » des institutions, le « renouvellement du Parlement » avec du personnel compétent et professionnel, prétendent-ils, ce qui permettra de faire face aux exigences du monde moderne. Et s’ils se présentent comme les défenseurs des libertés individuelles ou comme les artisans de la démocratisation, c’est bien sûr et toujours dans le cadre des institutions islamistes. Quant aux revendications populaires il n’en est pas question. Tout autant que le poids de la dette extérieure, la corruption de la classe dirigeante et possédante est responsable du délabrement économique. La plupart des entreprises du pays tournent à moins de 40 % des capacités et licencient leur personnel à tour de bras. Pour s’en sortir, il faut pouvoir assurer deux ou trois petits boulots à la fois. Le taux de chômage est de 25 % à 30 % et la proportion des laissés-pour-compte en dessous du seuil de pauvreté avoisine les 50 %.

Dès lors ces élections, plus qu’un engouement pour les « réformateurs », ont été l’occasion pour une grande majorité de la population d’exprimer son dégoût du régime au pouvoir. Comme le résumait un de leurs électeurs : « même avec une liste de chèvres, ils auraient gagné. Personne ne veut plus des conservateurs ». Et cette opinion générale a été plus particulièrement relayée par les femmes et les jeunes (65 % des Iraniens ont moins de 24 ans).

Depuis quelques temps en Iran, la contestation sociale et politique ne craint plus de s’affronter au pouvoir ni de braver les forces spéciales de répression. En décembre 1998, l’anniversaire d’une victoire de l’équipe iranienne de football contre l’Australie avait été l’occasion pour la jeunesse de manifester violemment contre le régime, sa police et ses milices Basij dans plusieurs villes importantes avec les slogans « canons, tanks, et Basij n’ont plus d’effet ! ». En juillet 1999 c’est l’interdiction du quotidien contestataire Salaam qui a suscité les manifestations étudiantes à Téhéran. Face à la répression policière, le mouvement s’est élargi à des dizaines de milliers d’étudiants à travers le pays. Outre les revendications concernant la liberté de la presse, les manifestants ont mis en cause la responsabilité du régime dans la répression et dans la vague d’assassinats d’intellectuels de l’automne 1998. Et pendant que le mouvement se radicalisait jusqu’à exiger la démission du « Guide Suprême » Khamenei, il commençait à attirer à lui d’autres couches de la population petite-bourgeoise ou même ouvrière qui venaient grossir les rangs des manifestants.

Depuis 1992, le mouvement ouvrier jusqu’alors étouffé a réussi à renouer avec la lutte gréviste, alors même que les grèves sont interdites. Au début de l’année 1998, suite au non-paiement des primes traditionnelles de fin d’année, l’agitation ouvrière a touché les principaux centres industriels, depuis l’industrie textile et alimentaire de la région Caspienne jusqu’aux usines d’assemblages de voitures et les fonderies du Centre et du Sud Ouest, en passant par les usines de chaussures de Téhéran, et l’industrie pétrolière. Les ouvriers ont fait grève contre les bas salaires ou non payés, contre les licenciements, contre l’inflation, ou bien encore contre la hausse de prix de biens de consommation décrétée par le gouvernement (atteignant 25 à 100 %).

Pour canaliser les aspirations d’une jeunesse explosive, les « réformateurs » tentent de redonner un coup de jeune à ce régime discrédité. Mais dès que la pression populaire se précise, « conservateurs » et « réformistes » sont unis. En juillet dernier, le « réformateur » Khatami n’a pas tardé à dénoncer les manifestations étudiantes, à réprimer, à procéder à des milliers d’arrestations.

Reste à la jeunesse contestataire à lier son combat démocratique aux luttes sociales, au combat de la classe ouvrière.

Simone CANETTI

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