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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 61, janvier-février 2009

Grèce : Une auto-organisation du mouvement limitée, sa grande faiblesse

10 janvier 2009 Convergences Monde

On lira ci-dessous l’interview d’un camarade du groupe trotskyste grec OKDE (Organisation des communistes internationalistes de Grèce, qui publie le journal Lutte ouvrière ) qui, en répondant à nos questions, nous livre son opinion sur les faiblesses mais aussi les potentialités du mouvement.

C.R. : La mort du jeune lycéen a déclenché une réaction immédiate de la jeunesse dans tout le pays. Comment expliquer l’ampleur de cette réaction ?

Le meurtre du lycéen Alexis Grigoropoulos, âgé de 16 ans, fut la cause directe et a mis en lumière des problèmes accumulés dans la société grecque et en particulier dans sa jeunesse. D’une manière générale, ce mouvement a pour racines le chômage généralisé (qui touche en particulier les jeunes), la pauvreté et la cherté de la vie, la flexibilité du travail, la répression policière et les attaques aux droits démocratiques, au droit syndical et aux libertés individuelles. Tous ces problèmes ont créé chez les jeunes le sentiment qu’« il n’y a plus d’avenir ».

Ce sentiment est renforcé par la récente crise économique. Tout le monde comprend qu’elle aura des conséquences désastreuses. De plus, nous observons depuis cinq ans une montée des luttes : manifestations contre la globalisation et la guerre, mouvement des étudiants grecs contre la privatisation de l’enseignement supérieur (en mai-juin 2006 et en janvier-mars 2007), mouvement contre la réforme de l’assurance-maladie en 2008, mobilisation des travailleurs contre la réforme de la Sécurité sociale (trois grèves générales entre décembre 2007 et mars 2008) et, enfin, vague d’occupations de lycées qui a été un phénomène assez fréquent ces cinq dernières années mais n’a jamais abouti à un mouvement national.

C.R. : Le mouvement touche-t-il d’autres personnes que les lycéens et les étudiants ?

Participent à ce mouvement les lycéens, en second lieu les étudiants, et de jeunes travailleurs (en particulier ceux qui travaillent dans le cadre des nouvelles relations de travail et ne sont pas syndiqués) ainsi que de jeunes immigrants qui sont nés ou ont grandi en Grèce. Les travailleurs plus âgés n’ont pas été impliqués dans ce mouvement, excepté peut-être une petite partie des enseignants et ceux qui sont liés, même indirectement, à l’extrême gauche.

Cela pour de nombreuses raisons : le rythme explosif et le caractère de ce mouvement (auquel les travailleurs ne sont pas habitués), la propagande faite depuis des années par le Pasok (le PS grec), le Syriza (un front électoral composé d’organisations de gauche) et le KKE (le PC grec), en faveur d’une séparation absolue entre revendications syndicales et politiques, ainsi que l’attitude de trahison des grands syndicats et des partis, etc. Toutefois, nous avons observé un large soutien à ce mouvement et même l’acceptation de ses plus « extrêmes » formes de lutte.

C.R. : Quelles sont les revendications de la jeunesse et comment cette dernière s’organise-t-elle ?

Ce mouvement a été une explosion de la jeunesse et ne ressemble pas aux mouvements habituels des étudiants ou des travailleurs. Ainsi son unique revendication a-elle été la « punition des coupables », même si évidemment le mouvement a également dénoncé tous les problèmes de la société grecque (éducation, salaires, relations de travail, répression, etc.).

Sa plus importante caractéristique a été son ouverture vers l’extérieur. À la différence du passé, cette fois, l’absentéisme aux cours a été préféré à l’occupation des établissements scolaires. Dans toutes les villes et les villages de Grèce, les jeunes se sont réunis pendant une semaine devant leurs écoles, bloquant les routes principales, paralysant ainsi la vie de la ville et attaquant les postes de police (leur jetant des pierres, des ordures et des cocktails Molotov). Une petite partie des élèves a participé également aux manifestations quotidiennes organisées dans toutes les villes. Mais ce sont les jeunes travailleurs ou scolarisés qui ont participé principalement à ces manifestations et aux sérieux affrontements avec les forces de la police dans les centres-villes. Tandis que les étudiants occupaient presque toutes les grandes universités.

Quant aux formes d’auto-organisation, elles furent limitées et n’ont pas permis de dépasser la spontanéité. Les lycéens se sont organisés par école et la création d’une coordination de leur lutte n’a été possible que vers la fin de la première semaine, et uniquement à Athènes. Parallèlement, à Athènes, Thessalonique et d’autres villes de Grèce, les organisations d’extrême gauche ont pris l’initiative d’assemblées générales, ouvertes à tous, ayant comme objectif la coordination des lycéens, des jeunes travailleurs et des étudiants. Toutefois, ces assemblées, en raison de faiblesses politiques, n’ont pas été en mesure de remplir cet objectif.

C.R. : Le 10 décembre, les travailleurs grecs étaient appelés à une journée de grève générale : quelles en étaient les revendications ? Quel rôle jouent les organisations syndicales ?

L’appel à la grève générale du 10 décembre a été lancé un mois plus tôt par la GSEE et l’ADEDY (les confédérations syndicales, respectivement du privé et du public) contre le budget de l’État, la cherté de la vie et le délabrement extrême de la Sécurité sociale. Bien que la GSEE et l’ADEDY (contrôlées toutes deux par le Pasok) n’aient pas osé annuler la grève, elles ont limité son importance et remplacé les manifestations programmées par de simples rassemblements. Le résultat a été de créer la confusion parmi les travailleurs et, malgré une bonne participation à la grève, les manifestations (qui ont eu lieu grâce à l’initiative de l’extrême gauche) n’ont pas dépassé les 4 000 participants à Athènes et les 3 000 à Thessalonique, alors que dans les rues se trouvaient plusieurs milliers de travailleurs qui ne savaient pas où aller. Le syndicat lié au Parti communiste grec a appelé à son propre rassemblement qui a donné lieu à une excursion touristique autour de l’Acropole, puisqu’il n’a pas osé se diriger vers l’Assemblée nationale. Le syndicat lié à Syriza a appelé à un simple rassemblement, en se rangeant derrière le syndicat du Pasok.

C.R. : Les organisations politiques proposent-elles des perspectives à la jeunesse révoltée ?

Le Pasok craignait une démission probable du gouvernement et était donc hostile au mouvement, même si, pour des raisons politiques (il représente l’opposition parlementaire), il a fait semblant d’être à l’écoute de la jeunesse. Le KKE a été très hostile au mouvement (il n’a même pas demandé la démission du gouvernement), a dénoncé tous les affrontements avec la police et les attaques contre les commissariats comme étant l’œuvre de provocateurs et agents de services secrets étrangers. Il a essayé d’empêcher l’occupation des universités et la rencontre entre lycéens et étudiants. Enfin, il a transformé en promenades les deux manifestations qu’il a organisées. Le Syriza, lui, n’a pas dénoncé le mouvement, il s’y est impliqué, tout en dénonçant la « violence » en général. En raison de sa politique réformiste, il n’a cependant pas tenté de donner une perspective politique au mouvement ou de lutter pour la chute du gouvernement.

Les organisations de l’extrême gauche se sont dès le début impliquées dans le mouvement et ont essayé de lui offrir une issue politique, en précisant le mot d’ordre général de « punition des coupables », par des revendications : sanction des deux assassins, désarmement de la police, dissolution des CRS et chute de ce gouvernement d’assassins. De plus, elles ont essayé d’organiser les manifestations. Toutefois, leur grande faiblesse a concerné l’auto-organisation du mouvement : aucun effort important n’a été fait pour la création d’une assemblée ouverte de travailleurs, d’étudiants et de lycéens, ni pour la création d’assemblées de quartier, qui auraient pu attirer des travailleurs plus âgés.

Il n’est pas certain que le mouvement puisse reprendre immédiatement après les vacances de Noël, bien que les étudiants, au sein desquels l’extrême gauche est dominante, aient prévu une journée de manifestations le 9 janvier. Toutefois, il est certain que les raisons qui ont fait descendre les gens dans la rue – à savoir les conséquences désastreuses de la crise économique ainsi que les réformes et mesures néolibérales que le gouvernement actuel de la Nouvelle Démocratie (droite), ou le prochain gouvernement, compte promulguer – ne peuvent manquer de provoquer de nouvelles mobilisations. Ce mouvement ouvre certainement une période de luttes, de révoltes voire de révolution, similaires, voire plus importantes, que celles de Mai 68.

30 décembre 2008

Propos recueillis par Nicolas TERUEL

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