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GAAAARDE-À-VOUS !

12 octobre 2001

Tony Blair en chef baroudeur, Chirac en treillis, Jospin rectifiant la position... tous nos jésuites et néanmoins moines soldats de l’Occident brandissent la bannière de la croisade du « bien contre le mal » et se rallient sinon au panache, du moins à la cravate rouge de Bush. Les opérations se mèneront sur une longue période Nos forces participeront Nous assumerons notre part... (Chirac). La France est engagée d’une façon qui peut s’accroître dans les prochains jours (Védrine, ministre des affaires étrangères).

Pour l’heure, le porte-avion Charle-de-Gaulle étant en rade, la France se contente d’ouvrir ses couloirs aériens aux avions américains et envoie sur place ses espions et barbouzes de la DGSE (qui sévissaient déjà aux côtés de la CIA auprès des « combattants de la liberté » du type Oussama Ben Laden en Afghanistan, en 1979, contre les Russes). Mais on fera mieux, très vite, on vous l’assure, dès qu’on nous le demandera, a déclaré en substance Alain Richard, ministre de la défense.

La semaine dernière, donc, Washington convoque l’Elysée, qui s’exécute. Conseil d’urgence à Paris en présence de Jospin et ministres concernés. Décision : oui aux requêtes américaines, dès qu’elles seront formulées officiellement. Et dimanche soir, c’est parti. Enfin, c’est reparti : comme en 91, contre le grand Satan Saddam Hussein, lui aussi ex intime de la CIA ; comme en 99, contre le grand Satan Milosevic (ex enfant chéri de l’Amérique...)

En 2001, il s’agit de Ben Laden, autre créature de la CIA, en attendant le prochain. Car pas d’inquiétude. Dans la galaxie de l’enfer soigneusement pavé par l’Occident impérialiste, Ben Laden aura lui-même moult successeurs. C’est qu’en un siècle, il y a eu du progrès. Les grandes puissances n’ont plus besoin d’ennemis héréditaires, elles ont trouvé le moyen de les cloner.

Soyons justes. Il y a tout de même une sorte d’exception française. Culturelle, cela va de soi. Avant de battre le rappel, serrer les rangs, boucler les médias et envoyer « nos p’tits gars » et nos avions de chasse sur l’Irak, le Kosovo ou l’Afghanistan, tout l’arc-en-ciel gouvernemental, para- gouvernemental et présidentiel ne s’est pas privé d’afficher ses cas de conscience. Et que la France ne va pas s’engager sur la voie d’un « alignement aveugle », et qu’elle ne va pas renoncer à sa « libre appréciation »

A chaque fois, même scénario, mêmes subtiles réserves verbales, mêmes préoccupations humanitaires, même volonté d’afficher son « libre arbitre »... avant le libre alignement sacré, donc, pour la « guerre chirurgicale », « les bombardements ciblés » ou « le devoir d’intervention humanitaire ». A chaque fois, histoire de prendre le temps de s’échauffer, mêmes questionnements shakespeariens : en être ou ne pas en être ? Le suspens dure quelques jours ou quelques semaines, puis on se lâche : on en sera !

En 1991, il y avait tout de même eu un héros du cas de conscience : Chevènement avait démissionné de son poste de ministre de la défense à l’annonce de la participation française. Cette fois, petit progrès. Chevènement n’est plus ministre, mais il participe à la mobilisation générale ! L’ordre républicain est sauf.

Quant aux ministres de la gauche plurielle qui affichent par ailleurs leurs sentiments pacifistes ou « s’inquiètent » du sort des populations civiles, pas question de chipoter sur les choses sérieuses : aucune démission annoncée, ni chez les Verts (même si le député Noël Mamère dénonce « un acte de guerre contre le peuple afghan »), ni chez les communistes. L’Humanité parle bien de « busheries », mais Robert Hue veut que « la France (soit) solidaire et active dans cette action » sans « négliger... le recours à la force ». La ministre Marie-George Buffet, donc, s’aligne, tout en réclamant, courage suprême, un débat parlementaire ! Et Robert Hue en appelle à l’ONU. Vive « la lutte contre le terrorisme », en l’occurrence la guerre contre les Afghans, pourvu qu’elle « soit menée dans le respect du droit international et non sous l’égide des Etats-Unis » ! (déclaration de Robert Hue).

Le débat parlementaire, la « saisie » des Nations Unies, parlons-en : le 16 janvier 1991, quelques heures avant les premières frappes des « forces alliées », le premier ministre de l’époque, le socialiste Michel Rocard, avait engagé la responsabilité de son gouvernement devant le parlement et obtenu la confiance par 523 voix pour contre 43. Par ailleurs l’ONU avait donné son feu vert. Pour le Kosovo, Jospin avait peaufiné la procédure : il n’y avait pas eu de vote de confiance, mais trois interventions du premier ministre, suivies d’un débat. Débattez toujours, exprimez-vous, le gouvernement enverra de toute façons ses bombardiers.

Les sales guerres des grandes puissances ont toujours eu la bénédiction de leurs parlements respectifs et des Nations Unies. Mais à gauche, il faut bien faire semblant. Alors courage, alignons-nous. Dans cette veine, le retournement de Chevènement fera peut-être école. En 1991 les députés communistes faisaient partie des 23 qui avaient voté contre l’intervention (avec les gaullistes et les chevènementistes). En 2001, vu les déclarations de Hue, les députés communistes ont toutes les raisons de voter pour... avec toutes les réserves voulues. En somme, Robert Hue participera sans doute du pied gauche aux manifestations contre la guerre, tout en acquiesçant du pied droit à l’intervention militaire, une posture devenue en tous les domaines une seconde nature à la direction du parti communiste.

En fait, c’est des Etats-Unis que nous vient une bouffée d’air respirable : dimanche, à l’heure même où Bush annonçait le début des attaques militaires sur l’Afghanistan, les manifestants anti-guerre se rassemblaient à New York, avec pour slogan Not in our Name (« Pas en notre nom »), pour défiler de la place qui tient également lieu de mémorial aux victimes des attentats du 11 septembre, jusqu’au Times Square, où s’est installé un bureau de recrutement de l’armée. Lundi, d’autres rassemblements ont eu lieu à New York, Boston, Chicago, Los Angeles, Seattle, Philadelphie, San Francisco et Washington. Visiblement, toute une partie de la jeunesse américaine ne se laisse pas enrôler, et c’est bon signe. Espérons qu’ici les manifestations prévues contre l’intervention militaire réussiront à faire écho aux protestations venues d’Amérique.

Huguette Chevireau

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