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Allemagne : mobilisations contre un système de santé soumis aux profits

1er septembre 2021 Article Monde

Dans le cadre d’un « mouvement de lutte des hôpitaux de Berlin », plusieurs centaines d’hospitaliers travaillant à l’hôpital universitaire de la Charité, comme au groupe des hôpitaux Vivantes et filiales [1], se sont mobilisés ces derniers mois et semaines. Des manifestations ont eu lieu les 23, 24 et 25 août, de 1 300 personnes au plus fort, la participation ayant été restreinte par des interdictions évoquées plus loin. Les revendications : davantage de personnel et une seule et même convention collective de la fonction publique (TVÖD) [2] pour toutes et tous ! Le mouvement a connu son moment fort entre les 23 et 25 août quand tous les collègues, hommes et femmes – secteur des soins, réanimation, sages-femmes, stagiaires, thérapeutes ou personnel de services – ont été appelés à une grève d’avertissement de trois jours.

Quoi de nouveau ?

La question de la nécessaire réduction de la charge de travail est à l’agenda des revendications depuis 2012. À la différence de l’année 20153, le syndicat ver.di se dit prêt cette fois-ci à poser sur la table, ensemble, les problèmes de l’hôpital de la Charité et du groupe Vivantes et filiales. Chose également nouvelle : la forte participation des stagiaires et des sages-femmes – malgré une importante répression (avec menace d’éventuel licenciement en cas d’absence non excusée).

Avec la pandémie de coronavirus, le caractère catastrophique des conditions de travail du personnel hospitalier est apparu au grand jour. Situation qui existait pourtant déjà depuis bien longtemps (les soignants quittant le milieu hospitalier en moyenne au bout de sept ans) : impossibilité d’avoir des pauses pendant le travail, nécessité pour des collègues de prendre un deuxième emploi par manque d’argent, plannings de travail systématiquement alourdis par les heures supplémentaires. Et tandis que les politiciens subventionnaient la Lufthansa et d’autres, à coups de milliards d’euros, le personnel soignant a dû se contenter de timides applaudissements.

Pour les collègues des filiales, la situation s’est également révélée catastrophique. Dans les années 2000, alors que la ville-État de Berlin était gouvernée par une coalition entre la social-démocratie et le parti de droite CDU, des secteurs n’appartenant pas directement au domaine des soins ont été externalisés, afin qu’ils ne relèvent plus de la convention collective, ce qui a permis de réduire les coûts. Résultat : pour un même travail, des collègues ont pu toucher jusqu’à 800 euros de moins par rapport à la convention collective ! À quoi se sont ajoutés des vols de vacances, des durées de travail plus longues et plus de stress ! Dans le secteur du nettoyage du groupe Vivantes (Viva Clean), la surface à nettoyer a augmenté jusqu’à 40 % par salarié.

La direction du groupe Vivantes prétend qu’une convention collective commune de l’ensemble du secteur n’est pas possible : qu’elle entraînerait – selon ses calculs – 35 millions d’euros de frais supplémentaires… Si cela veut dire quelque chose, c’est qu’elle a fait des millions d’euros d’économies sur le dos des salariés ces dernières années. Les patrons du plus grand laboratoire médical d’Europe (Berlin Vivantes Charité), prétendent que le rattachement à la convention collective du secteur public coûterait près de 8 millions d’euros par an, ce qui serait impossible à financer. Il faudrait, selon eux, licencier des employés ou envisager la fermeture du laboratoire. Mais quid d’un labo aussi important qui ne pourrait exister qu’en imposant des salaires dérisoires, si ce n’est le fermer ? Ses responsables disent tout crûment qu’ils ne veulent pas payer pour notre santé !

Le système de financement des hôpitaux est l’une des principales causes de cette situation précaire, un système où la santé a un coût, ne fonctionne que pour des profits – et sur le dos des salariés. Il est à transformer radicalement. C’est ce qu’ont compris bien des collègues : lors de la grève d’avertissement, des slogans se sont fait entendre : « Capitalisme, hors des cliniques ! » ou « Changez le système – sinon on s’en va ».

Quand notre solidarité leur fait peur

Ce mouvement de solidarité n’a pas plu à la direction du groupe Vivantes : par ordonnance de référé, elle a fait interdire la grève aux collègues du groupe Vivantes et ses filiales (le tribunal a justifié l’ordonnance de référé anti-grève, dans un communiqué de presse, par le fait que les soins d’urgence ne seraient plus assurés aux patients – un genre de non-assistance à personne en danger). De telle sorte que la grève d’avertissement est devenue aussi une lutte pour le droit de grève dans les cliniques.

C’est le système de réquisition d’urgence du personnel qui était en cause. Des grèves dans des cliniques berlinoises ne sont pas choses nouvelles. Il y en a eu en 2019, avec pour enjeu la convention collective ; en 2020, une grève de cinquante jours dans la filiale CFM de la Charité (Charité Facility Management, entreprise gérant les services qui ne sont pas directement de soins médicaux). Un ultimatum de cent jours avait aussi été adressé aux directions du groupe Vivantes pour discuter de la réquisition d’urgence en cas de grève – ce à quoi elles se sont refusées. La proposition des responsables du groupe a ressemblé à une provocation : en temps de grève, le personnel des secteurs des services comme des secteurs de soin devait être davantage présent encore qu’en période d’activité normale ! Une manière de multiplier les tracasseries pour rendre la tâche des grévistes la plus difficile possible.

Chose surprenante, la Charité n’a pas déposé plainte pour fait de grève, voulant peut-être jouer les « good cops » dans cette affaire. À Vivantes, le rôle des « bad cops ». À moins que les directions du groupe se soient entendues avec le Sénat (gouvernement) de Berlin « afin que chacun puisse éventuellement faire grève, mais surtout pas tous en même temps » ?

À la Charité, des négociations pour l’établissement d’un protocole de réquisition d’urgence en cas de grève ont également été interrompues sous la menace de la direction de déposer plainte. Les chefs de la Charité souhaitaient que l’allègement de la charge de travail soit règlementée par des accords au niveau des services. La convention collective se limiterait à être un cadre, laissant le soin aux différents services de gérer la flexibilité du travail en temps de grève. Avec possibilité de déplacer des collègues d’un service à l’autre, comme si cela pouvait régler le problème du manque de personnel. Finalement l’hôpital n’a pas déposé plainte, mais n’a rien concédé, ni accepté une convention collective. Cette lutte commune des collègues de tous les groupes hospitaliers est néanmoins un important pas en avant et inspire une belle frousse aux managers.

Quand la politique s’en mêle

Comme La Charité et Vivantes sont deux entreprises d’État, des politiciens siègent à leurs conseils d’administration. Il est peu probable qu’ils n’aient rien su des ordonnances de référé. En tant qu’associés, ne pouvaient-ils pas les faire annuler ? Bien sûr que si. Mais on voit dans quel camp ils sont, par exemple le social-démocrate Michael Müller le 24 août, lors d’une conférence de presse. Selon lui, bien sûr, les travailleurs avaient le droit de faire grève, mais l’essentiel n’était-il pas que des négociations aient lieu ? Que conciliation et arbitrage se fassent entre les deux parties ? Les collègues qui depuis des années souffrent cruellement du manque de personnel, devraient-ils travailler en silence et « faire confiance » aux politiques ? Nous en voyons le résultat : des applaudissements, un point c’est tout.

Nous ne sommes pas seuls

Les collègues de Berlin ne sont pas les seuls à lutter. Depuis des années, un peu partout, les cliniques sont le lieu de mouvements de protestation pour davantage de personnel et une convention collective étendue aux filiales de services. À la clinique universitaire d’Iéna, en Thuringe, une convention collective a été imposée pour réduire la charge de travail. À la clinique Nürnberg Service GmbH, en Bavière, la convention collective devrait atteindre d’ici 2024 le niveau de la convention collective des services publics. Tant que la santé sera assujettie à la recherche de profits, les mobilisations ne cesseront pas.

Correspondants locaux


[1Par exemple des entreprises de restauration ou de logistique, de blanchisserie ou fournitures vestimentaires.

[2TVÖD (Tarifvertrag des Öffentlichen Dienstes) ou convention collective du service public. Régissant les conditions de salaire et travail du personnel soignant, dont est exclu le personnel des filiales et services annexes : des milliers de salariés, en fait.

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