Plongée dans l’hôpital d’après
19 juillet 2022 Article Entreprises
Entretien avec deux salariés travaillant à Gustave Roussy (94) [1]
Au royaume de la sous-traitance
Sabine travaille depuis des années à l’hôpital, d’abord pour la société ISS, qui s’occupait de la propreté des lieux, puis depuis 5 ans pour la société Atalian qui a repris le contrat, et avec lui, une partie des anciens salariés d’ISS. Atalian est en effet relié à Gustave Roussy par un contrat de sous-traitance pour la gestion du nettoyage de l’entièreté des bâtiments. Les raisons de ce changement ? D’après Sabine, rien de très compliqué : « Atalian a tiré les prix vers le bas, en proposant un contrat alléchant à Gustave Roussy, c’est comme ça qu’ils ont obtenu le marché. Et nous, les salariés, on le paye par l’augmentation des cadences, des tâches à effectuer… sans augmentation des salaires depuis des années. Nos arrêts maladies ne sont pas indemnisés à temps, le salaire tombe irrégulièrement. » Ce n’est pas tout, les primes promises à plusieurs reprises par le gouvernement, comme la prime pouvoir d’achat ou la prime covid, n’ont pas été versées par Atalian : « en fait, ce sont des primes au bon vouloir du patron, et nous on a de cesse d’entendre qu’Atalian n’a pas d’argent ! » nous explique Sabine. Pourtant, les salariés n’ont pas été épargnés par les protocoles covid particulièrement lourds en matière de nettoyage, que ce soit pour les patients à risque ou les patients contagieux.
Les « tablettes » mouchards
Pas d’argent ? Pourtant, cette année Atalian a fait un investissement de taille dans un nouveau matériel : les tablettes tactiles. Chaque chariot est désormais équipé d’une tablette tactile reliée à un système central qui permet un contrôle en temps réel de ce que fait le salarié qui doit l’allumer à sa prise de poste et cocher au fur et à mesure les tâches qu’il a effectuées sur ladite tablette. « Ces tablettes permettent à nos patrons de regarder exactement ce qu’on fait, et nous envoyer boucher les trous dans l’hôpital dès qu’on a fini, ne nous laissant que des micro-pauses. »
Atalian n’est pas le seul sous-traitant, Elis est en charge du linge et Medirest de la restauration. « À part pour le soin et la recherche, il n’y a que des sous-traitants à Gustave Roussy ! ». Comme Atalian, Medirest a récupéré le contrat en abaissant les coûts au maximum, au détriment des patients et des salariés. La société a notamment supprimé les postes des hôtesses de commandes qui passaient dans les chambres recenser les repas des patients en les remplaçant par des tablettes de mauvaise qualité, inutilisable par certaines personnes âgées ou dépendantes. « Résultat des courses, ce sont les soignants qui font les commandes de repas pour une partie des patients ! » nous explique Fabien, paramédical à Gustave Roussy depuis quelques années.
Look Back in Anger
Côté soignant, la question des salaires et des conditions de travail est également brûlante. Pour Gustave Roussy, les augmentations de salaire sont négociées à Unicancer, le regroupement des hôpitaux et centres de lutte contre le cancer. Les NAO (Négociations annuelles obligatoires) de 2022 n’ont pas été un grand avancement avec 0,5% d’augmentation des salaires. « Évidemment, les établissements préfèrent les primes locales ! » ajoute Fabien, « Sous-traitants, soignants, on a tous les mêmes problèmes, il faudrait qu’on se batte, qu’on réagisse tous ensemble ».
Il est vrai que les effets d’annonce du gouvernement n’ont pas été suivis de grandes améliorations. La fameuse « prime COVID », a uniquement été donnée aux hôpitaux qui ont réussi à prouver qu’ils avaient une utilité pendant le Covid, c’est-à-dire, ceux qui remplissaient des critères subjectifs, comme faire partie des départements les plus touchés pendant l’épidémie ou encore ceux qui ont participé au désengorgement d’autres régions… « Et au sein même de ces hôpitaux, il fallait pour les salariés remplir des critères ! » explique Fabien. Parmi ces critères : avoir fait un certain nombre d’heures, ne pas avoir été en arrêt plus de la moitié du temps pendant les 2 mois de la première vague. « C’est vraiment hypocrite car tout le monde a bossé comme des fous pendant cette période, même ceux qui ne remplissent pas la liste des critères. Ce qu’ils cherchent, c’est diviser pour mieux régner ! ». Et Sabine d’ajouter « c’est une hyper individualisation de la prime, au lieu de la filer à tout le monde, on sélectionne soigneusement. »
Les 183€ dus au « Ségur de la santé » ont bien été obtenus, mais outre son insuffisance, la deuxième partie du Ségur s’est déroulée différemment. Les hôpitaux d’Unicancer ont obtenu 8 millions d’euros à se répartir comme bon leur semblait, sans aucune garantie que ça irait dans les salaires. Finalement, les payes ont augmenté de manière insignifiante et différemment selon les corps de métier : 57 euros aux infirmiers, kinés, manips, et 27 aux aides-soignants et diététiciens. Des cacahuètes, mais qui témoignent d’un véritable mépris, comme si tout le monde n’avait pas galéré de la même manière.
Tant qu’il y a la certif, tout va bien
Peu avant notre entretien, l’évaluation de Gustave Roussy pour la certification avait eu lieu. « Cette arnaque ? » plaisante Sabine. Il s’agit d’une évaluation de l’hôpital effectuée par la Haute Autorité de santé. Le but est de mettre une note en fonction de critères établis à l’avance. L’institut Curie situé en Île-de-France, rival principal de Gustave Roussy en matière de recherche, de recrutement, de secteur d’activité et de prestige, a eu une très bonne mention début 2022. La direction de Gustave Roussy a alors mis tout le monde sur le pied de guerre fin juin pour concurrencer son rival : formations accélérées, mise en place de protocoles à la va-vite pour bien faire, et ce jusqu’au refus des congés à ceux qui voulaient partir pendant les quelques jours de l’évaluation. Tout cela pour une bonne note ? Pas seulement pour Fabien : « Ceux qui ont la meilleure notation parmi les établissements se partagent une enveloppe d’aide de l’État nommée « incitation à la haute qualité des soins ». Tout le monde est sur le pont pour ça, mais nous les salariés on ne sait pas où va ce fric... en plus ils l’auront probablement. »
Les prénoms ont été modifiés, propos recueillis par Emma Martin.
[1] Gustave Roussy est un centre international de pointe dans le traitement du cancer. Situé à Villejuif (94), il relève des ESPIC - Établissements de santé privés d’intérêt collectif.