Editorial
Algérie : « Non au mandat 4++ », « À bas le régime des gangs »
29 mars 2019 Convergences Monde
La dernière manœuvre du pouvoir algérien – le retrait de la candidature de Bouteflika pour un cinquième mandat et le report sine die de l’élection présidentielle – n’a trompé personne. Ce vendredi 15 mars, ils étaient encore plus nombreux que les trois vendredis précédents à descendre dans la rue dans toutes les grandes villes du pays. Plus d’un million de personnes dans les rues d’Alger, selon la presse. « Non au mandat 4++ », ironisaient les slogans des manifestants. Ou « Assez, assez… », « Barakat ! Barakat ! À bas le régime des gangs ». Même Macron en a pris pour son grade, lui qui, après un silence complice de Bouteflika, s’est félicité du retrait de sa candidature qui « signe une nouvelle page dans le développement de la démocratie ». « Macron, occupe toi de Benalla ! », ironisaient les Algériens.
Une nouvelle manifestation est d’ores et déjà prévue pour le vendredi 22 mars. Pas question d’attendre la « transition pacifique » vers on ne sait trop où, que tous les politiciens d’Algérie proposent pour sauver l’essentiel face à la contestation sociale.
Des grèves contre la prolongation du mandat se sont multipliées, moins médiatisées que les manifestations par une presse algérienne qui veut bien en finir avec Bouteflika mais pas avec le régime. Y compris dans les sites pétroliers du sud algérien, dont les patrons se sont empressés de déclarer que la grève était un droit pour exprimer une opinion, mais à condition « que le mouvement ne touche pas la production ».
Les plus fidèles soutiens à Bouteflika commencent à quitter le navire
Y compris le secrétaire général de la grande centrale syndicale UGTA lequel, il y a peu encore, menaçait de sanction tout syndicaliste qui ne soutiendrait pas la candidature de Bouteflika. Il a beau avoir tourné casaque en disant que son syndicat avait « acté le cri du cœur des manifestations et, en particulier, de notre formidable jeunesse », c’est lui qui est à deux pas de se faire dégager – de nombreuses sections syndicales, comme celle de l’usine automobile du Rouiba ou celle du métro d’Alger, plusieurs unions locales ou départementales l’ayant publiquement désavoué.
Même la police sur place a tenté quelques sourires aux manifestants. Sourires d’hommes de troupe qui en ont eux aussi marre du rôle qu’on leur fait jouer et de leurs faibles salaires. Ou sourires commandés par ceux qui tiennent à sauver l’appareil d’État de la débâcle du régime et s’efforcent de faire reprendre par les manifestants des slogans sur « notre armée, notre police » toujours « avec le peuple »... Il est bien difficile de faire le tri. Les sourires des politiciens hier proches du régime, qui ont pointé leur nez dans les cortèges, ont en tout cas été reçus avec des quolibets. Comme a été reçu avec grimaces le slogan « daoula islamiya » (État islamique) d’Abdellah Saad Djaballah, dirigeant du Front pour la justice et le développement (un des partis islamistes).
Les pièges
Mais d’ores et déjà, non seulement les tenants du régime mais aussi tout ce que l’Algérie comprend de politiciens commencent à avancer les « solutions », ou plutôt les pièges, qui permettraient de rénover en douceur le système. Et d’avancer la nécessité de cette période de transition à durée indéfinie, afin de laisser le temps aux clans au pouvoir de s’entendre sur une succession. De quoi permettre aux nouveaux venus de la classe politique de marchander leurs postes : gouvernement provisoire, réforme de la Constitution, et même, pour les plus téméraires, Assemblée constituante…
C’est ainsi qu’une « Plateforme pour le changement en Algérie » vient de sortir, signée par neuf « personnalités de l’opposition et de la société civile », allant de dirigeants des partis dits démocrates, RCD et FFS, à des dirigeants islamistes, dont un des membres fondateurs du Front islamique du salut (FIS), en passant par la porte-parole de ce nouveau mouvement intitulé Mouwatana (Citoyenneté). Elle prône, pour la transition, une « présidence collégiale » et un « gouvernement de salut national », fait appel à l’armée et à ses services de sécurité pour « assurer leurs missions constitutionnelles ».
Il est déplorable de voir Louisa Hanoune, du petit Parti des travailleurs, qui malgré son ralliement depuis le début au gouvernement de Bouteflika semble avoir gardé une certaine réputation de militante d’extrême gauche, proposer elle aussi ses solutions : « le retrait du président de la République à la fin du quatrième mandat, la démission du gouvernement, la dissolution des deux chambres du parlement et la constitution d’un gouvernement technocrate et transitoire composé de compétences intègres ». Même si, passé trotskyste oblige, elle propose que la future assemblée constituante qu’elle appelle de ses vœux soit préparée par la mise en place de « comités populaires ».
Gouvernement de technocrates prétendument neutres et intègres, cinéma d’une assemblée constituante destinée à lanterner les masses populaires en rejetant aux calendes grecques toutes leurs revendications sociales, ce sont les pièges avec lesquels on a déjà trahi les révolutions égyptienne et tunisienne de 2011.
Pour un véritable contre-pouvoir populaire
Pourtant, c’est bien aux travailleurs, à la jeunesse révoltée, à toutes celles et ceux qu’on a vus ces dernières années dans les révoltes contre la vie chère, dans les luttes pour obtenir embauches et logements, de faire entendre leur propres revendications, leurs propres exigences de changement social, au-delà de leur rejet de ce régime de prédateurs corrompus. Et, pour déjouer les promesses fallacieuses de simples changements constitutionnels, à elles et eux de s’organiser en se constituant en comités de quartiers, ou d’usines, à différents niveaux, pour se donner la force de peser toutes et tous ensemble pour faire entendre leurs voix et leurs revendications. Et pourquoi pas devenir un contre-pouvoir qui pourrait demain renverser le pouvoir des riches ?
18 mars 2019
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Mots-clés : Algérie