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Macron en Algérie

13 septembre 2022 Article Monde

Fin août Macron s’est rendu en Algérie, à la recherche d’un peu de gaz et la patronne d’Engie, Catherine MacGregor, était de l’escorte. La France, qui avait décidé de réduire de 50 % les visas accordés aux Algériens, sous prétexte que l’Algérie refuserait de rapatriement forcé de ses ressortissants condamnés en France pour divers délits, promettrait de faire un geste pour que ça gaze entre les deux pays : quelques visas plus faciles pour des étudiants ou pour aider des « projets de création d’incubateur de start-up ». Que voilà une « mobilité choisie »… en fonction des intérêts de la France : on était passé en trois ans de 420 000 visas accordés à 15 000. En accepter une pincée de plus ne mange pas de pain.

Alors comment la visite du président français a-t-elle été prise de l’autre côté de la Méditerranée ? Le point de vue de militants d’Algérie nous en donne un aperçu.


« Une visite d’amitié » pour parler fric, énergie… et opérations militaires

C’est à l’invitation d’Abdelmadjid Tebboune qu’Emmanuel Macron a effectué « une visite d’amitié » de trois jours en Algérie du 25 au 27 août. Une visite qui intervient après des mois de friction entre les deux pays, suite aux déclarations hasardeuses sur « l’inexistence de l’État algérien avant 1830 » et peu diplomatiques sur le « régime militaro-politique » qui « vit de la rente mémorielle », tenues par Macron en marge d’une rencontre à Paris avec la jeunesse franco-algérienne.

Accompagné d’une délégation de 90 personnes, venues du monde politique, économique et culturel, la visite dépassait largement le cadre amical, les questions liées à l’énergie, arrosées de couplets sur la mémoire, la coopération scientifique et culturelle, mais surtout sur la coopération sécuritaire au Sahel, ont pris la meilleure part des discussions.

Le gaz avant tout

Car bien qu’il ait minimisé face aux caméras son intérêt pour la question du gaz, Emmanuel Macron a bel et bien abordé ce sujet avec Abdelmadjid Tebboune. C’était même la première question dans ce contexte où la sécurité énergétique de la France et plus globalement de l’Europe occidentale est menacée, conséquence directe de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et des sanctions qui s’en sont suivies, décidées par l’UE, les USA, le Royaume-Uni et le Canada.

Cette ruée vers le gaz profite aux pays producteurs, dont l’Algérie, qui a vu ses réserves de change augmenter, et au-delà de ce gain financier, compte bien l’utiliser comme une carte politique afin de peser dans ses négociations et faire avancer ses positions diplomatiques au niveau régional. Mais l’Algérie ne peut, au regard de ses capacités de production, pallier la raréfaction du gaz russe en France ou en Europe. La seule promesse faite par Tebboune à Macron a été d’augmenter les quantités de gaz acheminées via le gazoduc Transmed reliant l’Algérie à l’Italie à l’horizon 2023. L’ex-Premier ministre italien, Draghi, avait précédé Macron en Algérie pour négocier sa part de gaz. Premier arrivé, mieux servi.

Macron ne s’est pas contenté de discuter du gaz, il a aussi comme nous l’a appris la presse, lorgné sur d’autres richesses du sous-sol comme les métaux rares indispensables dans la production industrielle. Ce qui explique la signature d’un partenariat dédié à la recherche scientifique qui englobera la prospection des métaux rares.

Pour le moment ce ne sont que des promesses qui peuvent être oubliées à la première querelle entre les deux pays, mais ça renseigne sur ce rapport inégal entre une France impérialiste qui veut sécuriser ses approvisionnements énergétiques et industriels et une Algérie qu’on veut maintenir dans son rôle de pourvoyeur, d’exportateur de matières premières, abandonnant par là même tout projet d’industrialisation y compris dans le cadre capitaliste comme c’était le cas durant les années 1970. C’est là où se situe l’un des nœuds de la crise systémique en Algérie, avec une économie sous-développée, faiblement industrialisée et fortement dépendante des puissances industrialisées. Rien dans ce qui sert de projet économique et industriel pour Tebboune ne vient remettre en cause ce rapport inégal et de domination des puissances impérialistes, toutes ses orientations ne feraient que développer la dépendance.

Coopération sécuritaire… pour protéger le monde des affaires

Signe de l’importance accordée à la question sécuritaire : la tenue d’une réunion inédite des hautes autorités militaires et des services de renseignement des deux pays. Une première du genre selon plusieurs observateurs. C’est que pour l’Algérie, l’instabilité au Sahel sur sa frontière Sud ajoutée à celle sur sa frontière Sud-Est partagée avec la Libye en proie à une guerre civile et aux interventions étrangères est un motif d’inquiétude l’obligeant à accroitre ses dépenses militaires pour sécuriser sa frontière. Pour la France, ce sont les affaires des Total, Bouygues ou Bolloré qu’il faut sécuriser. Or son intervention militaire dans la zone du Sahel s’est transformée en bourbier, ajoutant une impopularité croissante dans la région aux revers et aux échecs. Le sentiment anti-France gagne de plus en plus la jeunesse au Mali, au Niger, sentiment sur lequel surfent certains dirigeants pour ouvrir les bras aux Russes ou aux Chinois.

Si bien que c’est un président français conscient de sa situation fragile dans la région dont l’hégémonie en déclin est contestée par d’autres puissances, qui est venu, dans ce domaine, chercher l’appui de l’Algérie. La déclaration qui a filtré pour l’instant dans la presse sur cette réunion va dans le sens de l’engagement des deux parties à coopérer dans la région pour lutter contre le terrorisme. Rien de concret. Mais rappelons que les deux pays ne défendent pas les mêmes intérêts ni la même politique au Sahel, ni la même attitude vis-à-vis des rançons.

Pour le moment on ne sait pas comment cette volonté de coopération sécuritaire se traduirait sur le terrain, mais il est à rappeler qu’une intervention de l’ANP [armée algérienne] en dehors des frontières ne serait pas accueillie favorablement par la population algérienne. Et de surcroit quand celle-ci est décidée de concert avec la France.

Une France jalouse des concurrences dans son ancien pré-carré

Enfin, on a eu droit à une déclaration de Macron fustigeant « l’impérialisme russe » qui ne chercherait qu’à spolier les richesses du continent et mettant en garde la jeunesse africaine contre la propagande russe. La même déclaration déjà répétée lors de sa tournée récente au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau. Comme si la France ne s’adonnait pas au pillage, à la rapine et aux exactions en Afrique, allant jusqu’à fomenter parfois des coups d’État et que ces comportements seraient l’apanage des Russes ! Pour reprendre une formule populaire, Macron ressemble à ce chameau à deux bosses qui se moque de la bosse du dromadaire. Peut-être son arrogance l’aveugle-t-elle à ce point…

La montée en Afrique de l’hostilité de la population contre les interventions étrangères, et notamment françaises, pourrait déboucher sur un mouvement conscient anti-impérialiste si elle ne se laissait pas instrumentaliser par d’autres puissances non moins prédatrices.

Coopération culturelle à la recherche d’alliés parmi les cadres africains

Durant toute sa tournée africaine, Emmanuel Macron n’a cessé d’envoyer des messages à la jeunesse, multipliant déclarations et rencontres. Pour lui, le redéploiement de la France sur le continent ne doit pas passer uniquement par les armes mais aussi par la culture afin de gagner la jeunesse et de l’extraire de l’influence russe ou chinoise. Alors, en bon démagogue, il a tenu à rencontrer des jeunes à Oran issus du milieu artistique, culturel et du monde de l’entreprenariat et des start-ups. À cette jeunesse il a promis une coopération culturelle, des facilités d’octroi de visas. Pour bien s’adresser à elle, il peut compter sur les conseils et l’inconditionnel soutien de son ami romancier Kamel Daoud qui l’avait invité à souper à Oran.

C’est probablement sur son idée qu’il a fait escale dans cette ville pour rendre visite au label mythique de la musique raï, Disco Maghreb, auquel le très populaire Dj Snak a rendu un vibrant hommage dans un formidable clip sur des sonorités du terroir. Un lieu bien choisi : la chanson raï est transgressive, parle à la jeunesse, brise les tabous, aborde les thèmes de la sexualité, de l’amour, du vin, de l’ivresse… C’est pour surfer sur la popularité du genre musical et du label Disco Maghreb que Macron a tenu à partager des séquences vidéo prises à l’intérieur et à poster une « story » avec le propriétaire du label. Même si ça lui a valu un ratage à la sortie du local : en guise de bain de foule l’attendaient quelques insultes, suivies d’un ironique « one, two, three, viva l’Algérie » qui l’ont contraint à s’engouffrer dans sa voiture.

Quant au clip vidéo de sa visite au temple du raï, il a fait le bonheur des surfeurs du web et de l’ironie algérienne, ricanant de ce « Cheb Macron » dont on pastichait la photo ou le nom sur une jaquette de cassette audio à la mode années 80 : un cheb qui ne pense qu’à sa cassette, sans talent à côté des Cheb Khaled, Cheb Hasni, Cheb Mami, Chebba Zehouania, les géants du raï. Car personne en Algérie n’est dupe : la chanson de ce « Cheb Macron », c’est la harraga pour les pauvres : partir sur une embarcation de fortune pour tenter de devenir travailleurs sans papiers. Et peut-être quelques visas pour de futurs cadres ou startupeurs avec qui on pourrait demain faire de bonnes affaires.

Question mémorielle ou amnésie ?

Comme pour éviter tout propos qui risquerait de faire polémique ou de rendre mal à l’aise l’autre, les deux présidents ont opté pour la création d’une commission mixte d’historiens, censée travailler sur cette question en leur facilitant l’accès aux archives. Celles de l’armée française ? Sur la torture ? À voir. Le temps où Emmanuel Macron qualifiait la colonisation de « crime contre l’humanité » semble bien être loin derrière nous. Politiquement fragilisé sur le plan intérieur, réélu avec un taux d’abstention record, sans majorité parlementaire et avec une percée électorale de l’extrême droite et de ses nostalgiques de l’Algérie française, le président français est à la recherche d’une formule pour ne pas condamner le passé colonial tout en ménageant la susceptibilité, bien obligée, d’un Tebboune.

Une commission mixte pour réécrire l’histoire ? Curieuse méthode. Primo, il n’appartient pas aux États d’écrire ou réécrire l’histoire ou ce que fut un siècle et demi de colonisation. C’est aux historiens qu’il appartient de le faire, loin des injonctions des États et loin des enjeux politiques du moment. Heureusement que bien des chercheurs n’ont pas attendu la création de cette commission mixte (largement inspirée par Benjamin Stora qui a troqué sa casquette d’historien pour celle de conseiller de Macron) pour condamner la barbarie coloniale avec un travail rigoureux et critique.

Secundo, avancer l’idée d’une commission mixte décidée par les deux États signifie l’écriture d’une sorte d’histoire officielle, de surcroit consensuelle. Comment produire un récit qui contentera à la fois le colonisateur et le colonisé, quand on sait que les rapports entre eux sont faits de domination, d’extermination, de résistance et de soulèvements ? Pas de quoi enthousiasmer ni les historiens, ni la population algérienne qui n’a prêté à ladite commission aucune attention.

D’ailleurs, au niveau populaire, ne dit-on pas, à juste titre, que quand on veut noyer un problème on crée une commission ? La même méfiance est de mise à l’égard des discours de Tebboune, de ses prédécesseurs et leurs ministres portant sur la guerre de libération. Car si la population algérienne continue à vouer un respect immense pour les artisans de la décolonisation, elle n’est pas dupe de leur instrumentation par les tenants du pouvoir. Faudrait-il croire leur baratin pour « apaiser les mémoires » ? Tout le monde se souvient. Mais les populations des deux pays se croisent, tissent des liens, se marient… et comme l’ont écrit dans leur tribune sur la guerre d’Algérie et la question de la mémoire les écrivains Joseph Andras et Kaoutar Harchi : « Dans le dos des possédants les peuples se regardent droit dans les yeux. » La fraternité entre les peuples et les prolétaires algériens et français se fera nécessairement dans le dos des États et des possédants. L’internationalisme doit demeurer notre boussole.

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