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« 209 rue Saint Maur, Paris Xe », autobiographie d’un immeuble

Ruth Zylberman

26 mars 2020 Article Culture


Livre/Documentaire

« 209 rue Saint Maur, Paris Xe », autobiographie d’un immeuble

de Ruth Zylberman

Éd. du Seuil-Arte éditions


L’an dernier Arte diffusait un documentaire de Ruth Zylberman intitulé « 209, rue Saint Maur, Paris Xe ». Le film racontait la vie des habitants d’un immeuble d’un quartier populaire de l’Est parisien. Immeuble de taille imposante qui abritait plusieurs centaines d’habitants dans quatre bâtiments différents disposés autour d’une cour intérieure.

L’essentiel de ce documentaire était constitué d’interviews d’anciens habitants que Ruth Zylberman avait retrouvés non seulement à Paris mais aussi à Nantes ou dans le centre de la France, et parfois beaucoup plus loin, à Tel-Aviv ou à New York. À travers leurs récits revivait tout un petit monde où les immigrés (Juifs d’Europe orientale surtout, mais aussi Italiens, Portugais et autres) étaient nombreux.

Le point commun entre tous les habitants de ce 209 était la pauvreté. On vivait couramment à cinq ou six dans deux pièces minuscules, l’eau et les toilettes étaient sur le palier et les chambres, une fois les lits repliés, servaient souvent d’ateliers, notamment de couture.

Sous l’Occupation, plus d’une cinquantaine de Juifs – hommes, femmes et enfants – disparurent de l’immeuble et partirent vers les camps de la mort.

Le livre reprend bien entendu l’essentiel du documentaire. Mais Ruth Zylberman a eu l’idée d’en enrichir le contenu en partant à la recherche des origines de cet immeuble au XIXe siècle, des transformations qu’il avait pu subir, des épreuves qu’il avait pu traverser.

On revit ainsi la révolution de juin 1848 et la Commune de 1871 à travers des ouvriers et des artisans qui participèrent activement à la vie sociale et politique de l’époque et dont certains connurent la prison, les bagnes et parfois la mort. Ces traditions anarchiste, socialiste et communiste – qui imprégnaient tant le prolétariat parisien – n’avaient pas disparu entre les deux guerres et sous l’Occupation. De vieilles photos jaunies montrent des familles à la fête de l’Huma, les poings levés, ayant été plus tard cachées par des gribouillis à l’encre par précaution à l’égard de la police et des autorités vichystes.

Mais tant dans le livre que dans le film, Ruth Zylberman interroge les témoins, les fait parler tout en se tenant toujours en retrait, se gardant de tout jugement lapidaire. Ainsi s’entretient-elle avec une vieille dame dont la famille joua un rôle central dans l’immeuble. Alors que ses parents cachaient chez eux des familles juives au moment des rafles, son frère d’extrême droite – engagé dans la Légion des volontaires français contre le bolchévisme – paradait en uniforme allemand dans la cour. Elle raconte comment son père – petit homme chétif et discret – avait un jour poussé son grand gaillard de fils collabo contre un mur et, lui montrant un couteau qu’il tenait à la main, lui avait déclaré : « Si un seul Juif est pris par ta faute, je te tue de mes propres mains. » La menace se révéla efficace.

Un livre à la fois émouvant et très instructif sur l’atmosphère d’une époque. Et, en ces périodes de confinement, s’il peut être difficile de se procurer cet ouvrage, on peut simplement regarder le documentaire disponible sur Arte-replay jusqu’en février 2022.

26 mars 2020, Jean Lievin

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