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Yougoslavie : la fin d’un dictateur mais pas de la dictature anti-ouvrière

13 octobre 2000

Le dictateur yougoslave Milosevic, dont le dernier acte a été de tenter d’annuler l’élection présidentielle qu’il venait de perdre, est déchu. Après le scrutin, son rival, Vojislav Kostunica avait appelé à la « désobéissance civile » : une façon fort modérée d’en appeler à la mobilisation populaire en évitant tout débordement. Les manifestations et les grèves se sont alors succédé. Et jeudi 5 octobre, les manifestants venus de tout le pays déferlaient devant le parlement qu’ils envahissaient, sans que la police n’exerce grande résistance.

Pour toute la population de la république fédérale de Yougoslavie, réduite aujourd’hui à la Serbie et au Monténégro, le départ de Milosevic est de toute évidence ressenti comme un immense soulagement.

Mais il suffit d’entendre le concert de félicitations des représentants des grandes puissances, de Clinton au général Clark, le commandant des forces de l’OTAN dans la guerre du Kosovo, de Chirac à Jospin, pour mesurer à quel point le changement de régime pourrait bien se résumer à un tour de passe-passe sur le dos du peuple yougoslave.

Car ce sont ces mêmes grandes puissances qui pendant des années ont soutenu Milosevic ou négocié avec lui des accords entérinant les massacres, les transferts de population et le dépeçage de la Yougoslavie. Ceux qui aujourd’hui clament, comme Clinton, qu’ils « se tiennent partout aux côtés des peuples qui luttent pour leur liberté » sont les mêmes qui, il y a un an et demi, ont fait cette guerre du Kosovo, bombardant les peuples de Serbie et du Kosovo, accélérant l’exode massif des Kosovars puis leur retour dans un pays en ruine et moins que jamais indépendant puisqu’occupé militairement.

Il n’était alors pas question avec cette sale guerre de contraindre Milosevic à partir. Il s’agissait seulement de le rappeler à l’ordre, en même temps qu’il s’agissait de se prémunir contre les dangers de révolte en terrorisant la population.

Quant à Kostunica, l’homme qui avec la bénédiction des « grands » accède au pouvoir, c’est un politicien nationaliste serbe peu différent de son prédécesseur. En même temps qu’il appelait à des meetings ou manifestations pacifiques pour faire reconnaître son élection, c’était avec les chefs de l’armée et de la police de Milosevic qu’il négociait le départ de celui-ci.

Les forces spéciales de l’ancien régime, ces troupes dites d’élite qui ont été de toutes les répressions, se sont ralliées au nouveau pouvoir et s’apprêtent à le servir. Au parlement, les notables du régime ont fait volte-face en intronisant le vainqueur.

Nombre de maires, militaires, chefs de polices locales ou bureaucrates du syndicat unique, sentant le vent, s’étaient déjà ralliés au camp de Kostunica au cours des semaines précédentes. On apprend ainsi, quelques jours après la prétendue « révolution » du 5 octobre, que le maire de Cacak, ville réputée fief des partisans de Kostunica, est monté ce jour-là sur la capitale à la tête de manifestants encadrés par des parachutistes et des policiers en civils. Il se présente lui-même comme le héros de la journée qui aurait donné l’assaut au Parlement à l’heure convenue avec certains responsables de la police avec qui il était en contact.

Alors, si le 5 octobre a été le jour où des centaines de milliers de Yougoslaves sont descendus dans la rue pour exiger le départ de Milosevic, il a été aussi un jour de dupes : celui d’une vaste opération de recyclage de l’appareil d’Etat de la dictature, son armée, sa police, son administration, et ses hommes politiques. Tout ce beau monde reste en place, pour protéger les privilégiés de la révolte des classes populaires.

C’est cela avant tout que les Jospin, Chirac, Clinton, Blair ou Schröder apprécient tant en Kostunica. Et à peine le régime changé, l’embargo économique sur la Yougoslavie a été levé et la course au trésor lancée pour les trusts occidentaux.

Dès lundi 9 octobre, le journal économique Les Echos titrait sur les alléchants marchés de la reconstruction. L’Union européenne se disait prête à les financer en partie, notamment, précisait-elle, ceux de « la reconstruction des ponts sur le Danube détruits par les bombardements de l’OTAN ». Renault annonçait qu’il était temps de remettre en vigueur le marché de camions signé du temps de Milosevic. Quant aux industriels allemands, ils lorgneraient notamment sur le renouvellement des équipements industriels. La population yougoslave n’aura plus qu’à payer pour les marchands de béton, les compagnies des eaux ou compagnies électriques qui arracheront les marchés.

Et il n’y a pas que cela qui allèche les industriels occidentaux. Il y a aussi la main-d’oeuvre du pays, une main-d’oeuvre qualifiée qu’ils aimeraient bien pourvoir exploiter : les salaires des ouvriers yougoslaves sont aujourd’hui de l’ordre d’à peine 300 F par mois !

Mais la classe ouvrière yougoslave qui au cours des dix dernières années a subi l’effondrement économique du pays et son éclatement, la dictature de Milosevic et les bombes de l’OTAN, peut se sentir renforcée par l’effondrement du régime.

Elle pourrait ne pas se contenter d’une épuration de façade limitée au seul Milosevic ou à quelques-uns de ses proches. Elle pourrait ne pas se laisser endormir par les prétendus démocrates qui voudraient la renvoyer chez elle après l’avoir appelée hier à descendre dans la rue.

Olivier BELIN

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