Voile à l’école et confusions à gauche et à l’extrême gauche
Mis en ligne le 8 novembre 2003 Convergences Politique
Depuis l’exclusion de deux jeunes lycéennes du lycée Henri Wallon à Aubervilliers la division à ce propos des forces politiques, syndicales ou associatives de gauche semble s’être encore accentuée. Certes, du côté de la LCR, les prises de position restent diverses, voire contradictoires. Mais alors que la FCPE, le MRAP, la Ligue des droits de l’homme et le PCF persistent dans leur défense des jeunes filles voilées, du côté du PS et de SOS racisme, la fermeté semble être désormais à l’honneur.
Le milieu enseignant, lui-même, qui forme une partie de la base de cette gauche, reste divisé. Or depuis dix ans, le voile a fortement progressé. Ceux qui prétendent le contraire en s’appuyant sur les chiffres fournis par l’Education nationale se font les porte-parole d’un mensonge sans doute rassurant et oublient que dans bien des établissements, le « foulard » a désormais droit de cité, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il faut que le « voile » recouvre les épaules (quand ce n’est pas jusqu’aux pieds !) pour que certains acceptent de considérer qu’il y a peut-être un problème. Ce que l’on observe à l’école n’est pas en décalage avec ce que l’on peut observer dans les quartiers populaires, et c’est bien d’une régression qu’il s’agit.
Notre combat - une opposition résolue au voile à l’école, allant jusqu’à l’exclusion de celles qui refusent d’obtempérer - n’est évidemment pas celui de la « gauche républicaine », encore moins celui de la droite, ni même celui de la laïcité. La défense de celle-ci recouvre souvent une belle hypocrisie lorsqu’on sait la place que l’Etat laïque a laissé à l’Eglise catholique et fait à l’école privée dans ce pays. C’est également une véritable duperie : la laïcité est censée protéger la prétendue « neutralité » de l’école républicaine, qui n’est rien d’autre que l’école de la bourgeoisie. Contre cette école qui se prétend aseptisée mais qui est très idéologiquement orientée (il suffit de lire les programmes et les manuels d’éducation civique ou d’économie et de gestion !), nous sommes pour une école de la confrontation des idées, même ostentatoires, et surtout l’exposition de celles porteuses d’émancipation et de contestation !
Notre prise de position contre le voile à l’école est donc un combat politique : un combat pour le droit des femmes, et contre le repli communautaire que voudraient favoriser des forces d’extrême droite, aujourd’hui bien présentes à l’ombre des mosquées. C’est ce combat contre l’extrême droite islamiste qu’il nous semble important de mener, sans l’opposer - bien au contraire - à celui contre l’extrême droite lepéniste.
Ce qui est tolérable et ce qui l’est beaucoup moins
Un certain milieu de gauche et d’extrême gauche s’était déjà mobilisé pour la défense des jeunes filles voilées, au moment où Raffarin évoquait vaguement une loi interdisant le voile à l’école au printemps dernier. A l’adresse des enseignants, une pétition a ensuite circulé sur le Net, au moment de l’affaire d’Aubervilliers (« Ne nous trompons pas d’ennemis ») [1].
Le discours - la défense des « droits », et notamment le droit à la différence et le droit aux études - fait semblant de croire que le foulard serait équivalent à la croix ou à l’étoile de David. Or les hommes musulmans que l’on sache ne portent pas le foulard ! En oubliant ce détail, on confond manifestement une étoile de David avec une étoile jaune, on oublie que le foulard stigmatise les femmes, leur infériorité et leur impureté et trace une frontière et délimite la place qui leur est réservée dans un système de droits séparés, d’apartheid.
Le droit d’étudier est sans doute à long terme la solution pour se débarrasser de tous les obscurantismes. Mais ce n’est pas dire que tout serait tolérable dès à présent. Partout, dans tous les établissements où le dialogue a conduit à une large tolérance, des milieux militants, dans ou hors de l’école, se sont renforcés pour que les voiles soient de plus en plus stricts, pour que les pressions soient de plus en plus fortes sur les filles qui ne veulent pas le porter, et sur les enseignants pour qu’ils se taisent sur cette question et sur d’autres comme le darwinisme. C’est ce recul-là qui est « la pire des solutions », pas l’exclusion. Face à quelques jeunes filles militantes et bien imperméables à l’enseignement laïque et féministe de nos doctes professeurs, nous nous devons de protéger les milliers d’autres qui ont besoin de tout, même de la loi, pour résister dans leur milieu à cette pression.
C’est donc une vraie bataille politique où il peut être nécessaire, dans un premier temps tout au moins, de déplaire même à ceux qu’on voudrait gagner à nos idées, voire les combattre. D’ailleurs ceux qui militent pour le droit des filles voilées choisissent également leur camp, même s’ils prétendent le contraire : dans cette bataille, ils affaiblissent qu’ils le veuillent ou non - quelle que soit leur profession de foi féministe ou laïque - celui des filles qui refusent le voile.
Ne pas s’arrêter non plus à des exclusions
A Aubervilliers, même les enseignants qui se voulaient les plus « tolérants » ont dû se rendre à l’évidence : la plupart des filles ont enlevé leur voile après discussion, mais avec les filles Lévy, ce n’était pas possible. Ne pas les exclure aurait été une défaite. La loi est donc nécessaire à un moment donné, comme elle peut être un point d’appui indispensable pour les filles qui veulent résister dans leur milieu : je ne porte pas le voile parce que je ne veux pas être exclue de l’école.
Mais une loi peut être aussi un piège. Et à une profession qui ne voudrait surtout pas se mouiller, ce serait donner l’occasion de se réfugier d’autant mieux derrière le « règlement » qu’elle ne veut surtout pas assumer un combat politique.
Le combat contre le voile est inséparable du combat pour les droits et l’égalité des femmes. Mais quels sont les lycées de banlieue aujourd’hui où les filles se sentent libres de venir en jupe ou en robe et braver la peur de se faire traiter de tous les noms pour cette seule raison ? Or dans ces établissements une loi qui couvrirait un combat qui se résumerait à quelques exclusions systématiquement dirigées de fait contre des filles de milieu immigré serait, qu’on le veuille ou non, comprise, même assez spontanément par beaucoup d’élèves, comme une nouvelle discrimination contre ce milieu (d’autant plus qu’on peut compter sur l’extrême droite islamiste pour insister là-dessus).
C’est dire que, plus encore qu’une loi, la lutte contre le voile nécessite de réintroduire (ou d’introduire) le débat militant dans les lycées - et non l’exclure au nom de la prétendue « neutralité de l’école » - de discuter de féminisme, d’homophobie et de la gangrène que sont tous les racismes, sans exclusive, de lutter enfin contre les replis communautaires et contre tous les nationalismes qui divisent les opprimés entre eux, qu’ils soient propagés par les partisans de l’Islam ou les partisans souvent plus hypocrites de « l’identité française ».
Un combat communiste et internationaliste
Le voile est un étendard dont se sert l’extrême droite islamiste. C’est aussi un révélateur.
Le recul est d’abord nourri par la dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière et la marginalisation croissante des quartiers populaires, notamment des « cités », qui se traduisent par une abstention politique ou la montée du vote Le Pen pour les uns et le repli communautaire pour d’autres, l’identification à l’Islam étant par ailleurs encouragée par les autorités publiques.
Ce recul n’a pas dépendu du corps enseignant. Mais on peut tout de même reprocher à bien de ses membres dont la majorité se veut de gauche, d’avoir trop souvent mis leurs idées dans la poche et abandonné le combat pour celles-ci devant leurs élèves, avec ou pas le prétexte de la laïcité.
Ce recul n’a pas dépendu non plus de l’extrême gauche. Mais la confusion qu’une partie d’entre elle a entretenu parfois n’a pas contribué à y faire barrage, en particulier en pensant que le combat pour les droits des femmes devait désormais être mené à géométrie variable, en fonction de la « culture » des uns et des autres, adoptant à l’égard des milieux immigrés une attitude paternaliste et finalement complaisante, en prenant comme prétexte le racisme comme si cela devait reléguer toutes les autres questions au second plan.
Il est temps de rompre avec une certaine confusion : l’internationalisme, ce n’est pas se solidariser avec les coutumes et les traditions les plus rétrogrades sous prétexte qu’il faille rompre avec un passé colonial jamais complètement passé. L’internationalisme, c’est mener un combat solidaire de toutes les femmes en France et dans le monde qui se battent pour le droit de vivre sans le voile et qui tentent de résister courageusement à cette dictature. C’est aussi aider et participer au combat de la classe ouvrière, tant il est vrai que ces formes d’oppression prospèrent d’autant mieux que l’exploitation est plus dure. C’est enfin mener un combat pour une réelle alternative politique à tous ces gouvernements qui enferment les milieux populaires - et pas seulement immigrés - dans une marginalisation croissante, sociale et économique. C’est les combattre sans concession même lorsqu’ils se prétendent de gauche, afin d’offrir une réelle alternative à la démagogie de l’extrême droite, qu’elle soit islamiste ou lepéniste, tant les deux se renforcent mutuellement aujourd’hui.
Le 25 octobre 2003
Raoul GLABER
[1] L’ennemi, ce serait « la psychose islamophobe attisée par les médias ». C’est évidemment un élément de la situation, mais cela devient faux si on s’en sert comme prétexte pour écarter d’un revers de la main ou purement et simplement ignorer tous les autres aspects de la question. Ainsi, le caractère discriminatoire du voile ne serait qu’une illusion de notre esprit, sans doute mal intentionné : « Nous comprenons que la vue du foulard islamique puisse provoquer un malaise, et nous savons que ce foulard peut véhiculer une vision inégalitaire du rapport hommes/femmes. Mais nous vous demandons de ne pas préjuger de sa signification avant de connaître les élèves qui le portent, et le sens qu’elles-mêmes donnent à leur vêtement ». Il est difficile de savoir si la naïveté l’emporte sur la malhonnêteté ou le contraire.
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