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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 100, juin-juillet-août 2015 > Espagne

Vive la grève des sous-traitants de Telefónica !

27 juin 2015 Convergences

Le 17 mars dernier, 1 600 techniciens sous-traitants et indépendants de Telefónica-Movistar abandonnaient leurs échelles, leurs câbles de cuivre et leurs bobines de fibre optique et se réunissaient en assemblée générale à Madrid pour voter la grève illimitée à partir du 28 mars contre la grande multinationale. La semaine suivante, plus de 20 000 techniciens répondaient à l’appel. Une première, dans un secteur où les travailleurs sont fortement isolés les uns par rapport aux autres.

Ce n’était pas la première tentative : les centrales syndicales majoritaires avaient déjà essayé de déclencher à trois reprises une grève, mais n’arrivaient pas à se mettre d’accord du fait de la concurrence entre les différentes entreprises sous-traitantes. Cette fois-ci, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui ont lancé la grève, communiquant d’abord entre eux par les réseaux sociaux. Cette grève, ils la mènent depuis plus de deux mois à la barbe des syndicats majoritaires dans le secteur (les Commissions ouvrières – CCOO et l’Union générale des travailleurs – UGT), mais avec le soutien de différents syndicats minoritaires (notamment l’AST [1], la CGT [2] et CoBas [3]).

La goutte d’eau dans un océan de colère

Depuis plusieurs années, Telefónica n’a cessé de faire pression sur les conditions de travail de ses travailleurs précaires et isolés. La sortie d’un nouveau contrat-cadre avec de nouveaux barèmes et de nouveaux prix pour les sous-traitants a été le détonateur de la grève, dans une boîte qui ressemblait déjà à une poudrière. Jusqu’à présent, les techniciens gagnaient douze euros pour installer une nouvelle ligne Movistar, et on leur annonçait que dorénavant ils ne gagneraient plus que quatre euros par intervention, eux qui gagnent déjà des clopinettes !

Leurs conditions de travail diffèrent un peu selon les entreprises sous-traitantes, mais la logique est la même : exploiter le plus possible les travailleurs, en payant le moins possible. Dans la plupart des cas, les entreprises passent des contrats de deux ou quatre heures par jour avec leurs employés… alors que le temps effectif de la journée de travail tourne autour de dix ou douze heures, et sans forcément avoir de créneau pour manger. Les salaires nets atteignent à peine 800 euros (parfois moins), sans primes ni congés payés et l’entreprise ne cotise évidemment qu’à hauteur de deux ou quatre heures pour la retraite, les prestations chômage ou maladie. Avec tout cela, les travailleurs sous-traitants et indépendants doivent encore payer de leur poche leur uniforme, leurs outils, les frais de déplacement et de parking, les visites médicales, voire certaines formations payantes. Et s’il y a des pannes après l’installation, Telefónica demande des amendes de neuf euros par panne aux sous-traitants… qui pénalisent leurs techniciens en les retenant sur leurs salaires.

« La révolution des échelles »

Ces conditions inhumaines, les travailleurs des boîtes sous-traitantes de Telefónica en ont eu marre. Ils racontent que leur mouvement est parti d’un simple SMS, envoyé à quelques collègues… relayé par quelques messages sur facebook. Il n’en fallait pas plus pour déclencher la plus grosse grève qu’on ait connue dans ce milieu de techniciens isolés. En quelques semaines, la grève s’étendait à l’ensemble des provinces espagnoles comme une traînée de poudre. Réunis en assemblées générales, les grévistes ont immédiatement mis en place un « comité de grève », qui n’est pas vraiment une direction élue, mais plutôt un organe d’organisation de la grève à l’échelle nationale, ainsi qu’une caisse de subsistance. Ils n’ont cessé de se faire voir depuis le début de la grève, repérables à leurs t-shirts bleus pétants et aux échelles qui les accompagnent dans tous leurs déplacements : manifestations, collectes, interpellation des élus. Les images de leur occupation du World mobile center de Barcelone pendant une semaine ont ainsi fait le tour de tous les journaux télévisés. Au cours de cette semaine, ils ont aussi reçu la visite d’Ada Colau (tête de liste de Barcelona en comú), tandis que d’autres personnalités politiques, comme Cayo Lara (IU) et Pablo Iglesias (Podemos) sont apparues lors des mobilisations madrilènes.

La liste des revendications qu’ils ont établie est simple : (1) retrait de ce nouveau contrat qui tire les salaires vers le bas, (2) création d’une convention collective qui fixe un salaire digne qui inclue les congés et les primes et qui oblige l’entreprise à payer le matériel de travail et les frais de déplacement, (3) pas de représailles ou de sanctions pour les grévistes.

La tentative de CCOO et UGT de négocier une convention au rabais début mai avec un certain nombre d’entreprises sous-traitantes de Telefónica (Abentel, Cobra, Comfica, Cotronic, Dominion, Elecnor, Itete, Liteyca, Montelnor et Teleco) n’a pas démotivé les grévistes. À l’heure qu’il est, ils semblent toujours aussi déterminés.

Pour pouvoir gagner, la solution serait sans doute que les sous-traitants en grève arrivent à étendre leur mobilisation, en particulier aux travailleurs de la maison mère Telefónica. Ceux-ci ne sont d’ailleurs pas restés insensibles à la grève de leurs collègues sous-traitants, refusant par exemple de réparer les nombreuses pannes qui se sont inévitablement déclenchées partout dans le pays. Le 2 juin, les travailleurs embauchés de Telefónica-Movistar à Grenade se sont mis en grève et se sont rassemblés devant le siège de la boîte, en soutien à leurs collègues indépendants ou sous-traitants, aux cris de « À travail égal, salaire égal. Un emploi digne pour tous ! ». La multiplication de ce genre d’actions dans les prochains jours pourrait permettre aux travailleurs sous-traitants de gagner.

10 juin 2015, Amaya MARTĺN


Un combat contre un géant

Avec ses différentes marques commerciales (Movistar en Espagne et en Amérique latine, O2 en Europe, et Vivo au Brésil) et ses 300 millions de clients, Telefónica est la plus grosse entreprise européenne de télécommunications, cinquième au niveau mondial. Entreprise publique jusqu’en 1999, elle fut alors privatisée par le gouvernement Aznar (droite), qui avait mis à sa tête un ami de la famille, Juan Villalonga. L’entreprise, largement bénéficiaire, comptait plus de 70 000 travailleurs. Après plusieurs plans sociaux, ils ne sont plus aujourd’hui que 21 000 à être employés directement par la multinationale Telefónica, qui recourt de plus en plus à des sous-traitants. Environ 100 000 employés travaillent ainsi pour le compte de Telefónica, mais dépendent d’une centaine d’entreprises sous-traitantes différentes (voire sous-sous-traitantes) ou ont un statut de travailleurs indépendants (un peu différent de celui d’auto-entrepreneur). Ceux-ci sont souvent d’anciens travailleurs de la boîte mère, qu’on a licenciés en leur promettant des contrats s’ils devenaient indépendants, la multinationale n’ayant plus à payer pour eux la sécurité sociale et autres cotisations.


[1AST : l’Alternative syndicale des travailleurs fut créée en 1993 par des travailleurs de Teléfonica, anciens militants de l’UGT et des CCOO pour la plupart, qui dénonçaient la complicité des grandes centrales syndicales dans le démantèlement de l’entreprise de service public et dans les attaques contre les conditions de travail. Lors des élections professionnelles de mai 2015 à Telefónica, l’AST est arrivée en tête à Madrid et Barcelone (sur des listes communes avec CoBas), en troisième position à l’échelle du pays. Ils ont une position non négligeable dans certaines entreprises sous-traitantes de Telefónica. Des militants du PCPE (Parti communiste des peuples d’Espagne), scission du Parti communiste espagnol y interviennent notamment.

[2CGT : Confédération générale du travail, qui se réclame de l’anarcho-syndicalisme.

[3CoBas : les Commissions de base furent créées en 2006 par des militants du secteur critique des CCOO. Elles sont implantées chez Telefónica, notamment à Barcelone, où elles collaborent avec l’AST. Le groupe trotskyste Corriente roja y intervient en priorité.

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