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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 50, mars-avril 2007

Suicides au Technocentre Renault de Guyancourt : Comment stopper la vague infernale ?

Trois suicides en quatre mois, dont deux sur le lieu de travail au technocentre Renault à Guyancourt, dans les Yvelines. Mais déjà en septembre 2004, un prestataire s’était jeté du haut d’une coursive intérieure, suivi en juillet 2005 d’un salarié qui mettait fin à ses jours au même endroit. Une enquête a été ouverte par le Parquet de Versailles. Jusqu’à peu, la direction parlait de drames statistiquement explicables dans un site de 12 000 personnes. Il aura fallu deux rassemblements massifs, l’un en janvier 2007 suivi par plus de 700 salariés, l’autre en février par environ 2 000, et un battage médiatique pour que la direction change de ton et que le PDG Carlos Ghosn évoque un « plan d’action » : formations pour gérer son stress et incitations au dialogue entre managers et salariés.

Plus généralement, le suicide au travail – phénomène en augmentation – commence à prendre de la place dans les journaux. Le Parisien du mercredi 14 mars y consacrait deux pages, citant une étude du Conseil économique et social selon laquelle« une personne par jour se donne la mort à cause du stress au travail ». Renault, EDF… la liste noire est longue.

Les causes sont à chercher dans ce système économique qui accroît l’exploitation des uns pendant qu’une minorité s’enrichit effrontément. Il est urgent que les travailleurs reprennent confiance dans leurs capacités à combattre ce système et retrouvent un idéal et un espoir politique : celui d’une société débarrassée de l’exploitation.

Une entreprise déshumanisée

Le projet de « bureaux partagés » a été gelé. Son principe semble inspiré par celui des marchands de sommeil : si deux salariés n’occupent leur poste de travail qu’à 50 %, à cause de leurs déplacements professionnels par exemple, pourquoi ne pas leur donner un poste pour deux ? Économique, non ! Ce projet est symbolique de l’évolution des conditions de travail au Technocentre. Après avoir badgé pour pénétrer sur le site, le salarié est prié d’oublier son individualité et de sacrifier à la « culture d’entreprise ». D’où le succès du télétravail dans lequel certains voient le moyen illusoire d’échapper à l’atmosphère stressante du Technocentre, au risque de voir l’entreprise s’immiscer dans leur vie privée, via le réseau Internet et le téléphone.

Le coût du « cost killer »

Dans un environnement concurrentiel, pour faire face à la baisse de ses ventes et garantir de confortables revenus aux gros actionnaires, le maître mot de la direction de Renault est la « réduction des coûts ». Ghosn s’était déjà fait une réputation de « cost killer » au Japon chez Nissan. À peine arrivé à la tête de Renault, il a exigé des réductions de coûts drastiques : – 12 % sur la fabrication, – 9 % sur la logistique, – 14 % sur les achats, etc.

Ces engagements ont été formalisés dans un « contrat 2009 » qui devrait lier salariés et direction. Selon l’un des engagements principaux de ce contrat, la marge opérationnelle (c’est-à-dire en gros le ratio entre le chiffre d’affaires et les bénéfices) doit atteindre 6 % en 2009, soit plus du double qu’en 2006, année où Renault a déjà fait 3 milliards d’euros de bénéfices. Ghosn s’est engagé à augmenter le dividende par action de 250 %.

Management pernicieux

On n’en est plus au management omniprésent et directif. Au Technocentre, chaque salarié doit être de plus de plus autonome dans son travail, tandis que les chefs courent de réunions en visio-conférences. Paradoxalement, c’est encore pire. Les entretiens annuels sont le passage obligé de ce nouveau mode de management. Au moins une fois pas an, le salarié, guidé par son chef, est chargé de se fixer lui-même des objectifs, les moyens et le temps de les atteindre. Son supérieur s’en assurera par des suivis réguliers d’activité. Carlos Ghosn vient de perfectionner la formule : les objectifs sont devenus des engagements, liés au « contrat 2009 ». Le salarié qui refuse de signer son entretien reçoit une lettre avec accusé de réception pour lui notifier ses objectifs et l’avertir qu’il devra en rendre compte bientôt. Pressions sur le mauvais élève. En revanche, des engagements dépassés sont l’espoir d’une prime ou d’un échelon dans la grille des classifications.

S’attaquer aux causes

Au conseil d’administration de février, Carlos Ghosn s’est dit « très préoccupé » et souhaite « renforcer l’écoute des collaborateurs, aider les managers dans la gestion des équipes au quotidien et plus largement à renforcer le lien social de nos organisations ». Une expertise indépendante sur les conditions de travail devrait être enfin décidée, comme le demandaient depuis plusieurs mois la CGT et Sud et Ghosn devrait annoncer quelques mesures le 15 mars. Au menu, formation des Ressources humaines à la prévention et à l’aide aux personnes en difficulté, formation du management à la gestion du stress, cellule de soutien psychologique et de veille hebdomadaire composée de médecins et d’assistantes sociales…

Quand on sait qu’il y a une seule assistante sociale pour 12 000 salariés, que la moitié des infirmières a démissionné l’an dernier à cause de l’attitude de certains médecins et que les salariés se plaignent régulièrement de l’incompétence des Ressources humaines, on peut douter. D’autant que Ghosn n’entend pas changer de cap, rappelant début mars que : « Le plan Renault Contrat 2009 exige un investissement important de la part de tous les collaborateurs du Groupe… Les engagements que nous avons pris ne changeront pas, sinon, c’est tout l’avenir de l’entreprise que nous mettrions en péril ».

Pas question, donc, de s’attaquer aux causes : la charge de travail, le mode de management, les incessantes réorganisations…

Solidarité et action collective

Avec un certain culot, la direction de Guyancourt, qui refusait systématiquement de prendre en compte les revendications des délégués du personnel ou des membres des CHS-CT, a demandé aux syndicats du Technocentre de l’aider dans cette situation difficile. Cet appel risque de trouver un certain écho, tant le syndicalisme d’accompagnement est ancré dans l’entreprise, et pas seulement du côté de la CGC qui soutient fortement le plan Ghosn. Le syndicat Sud exige qu’un « volet social » complète le contrat 2009. La CGT oscille entre ces deux pôles. Sa récente signature de l’accord sur le télétravail montre sa volonté d’être un partenaire social responsable. Elle voit même dans les dernières déclarations de Ghosn une « dynamique de progrès ».

Les limites de cette « dynamique » ont pourtant été fixées par Ghosn : « Renault n’a pas le droit à l’échec, mais un salarié peut échouer ». Un suicide serait donc un échec individuel et le « contrat 2009 » un succès du groupe ?

Résister à l’offensive de la direction sur la charge de travail. Lutter contre sa politique de « responsabilisation » et d’isolement individuels en mettant en avant des revendications collectives, de salaires et d’embauche de tous au même statut, d’amélioration des conditions de travail... Tel pourrait être le cadre d’une autre dynamique.

Mis à part chez quelques sous-traitants, le Technocentre n’a pas connu de vraie grève depuis sa création en 1995. Cette absence de lutte collective est à la fois le symptôme et la cause du recul de la solidarité.

16 mars 2007

Marc DUCHAMP


Toujours plus, plus vite… ou plus loin

Sous prétexte que le constructeur qui ne sort pas de nouveauté dans l’année risque de voir ses ventes chuter au profit des concurrents, c’est le déluge de projets : 26 nouveaux véhicules en trois ans, du jamais vu chez Renault ! Les délais de conception d’un véhicule ont été réduits et les projets phare, comme les nouvelles Laguna ou Twingo sont sous le contrôle direct du PDG, qui fait faire et refaire des parties de véhicules jugées inadaptées, pour réagir aux évolutions du marché, mais sans changer forcément les délais. Résultat : surcharge de travail et pressions supplémentaires. Le collègue qui s’est suicidé en février travaillait sur le démarrage série de la nouvelle Laguna, un projet où la pression et les enjeux sont énormes. Il a laissé une lettre accusant ses conditions de travail et citant des responsables de Renault.

Externalisations

L’un des mots clés des constructeurs automobiles est l’« externalisation », pardon l’« outsourcing ». Tout y passe : les fonctions support comme la logistique, le courrier, l’entretien des bâtiments, la maintenance des équipements, la formation, l’informatique, aussi bien que les métiers de l’automobile, de la conception des véhicules à la fabrication des prototypes. D’où des restructurations permanentes.

Le salarié qui s’est suicidé à Renault-Guyancourt en janvier 2007 avait commencé comme électromécanicien à l’usine du Mans. Passé ensuite dans le service informatique. Puis déménagement imposé au Technocentre pour cause de restructuration. Arrivé là en pleine réorganisation de l’Informatique du groupe et menacé d’externalisation, il avait dû chercher un autre poste en interne… Car à chaque fois, c’est au salarié de se trouver un poste. Il doit déposer des candidatures, passer plusieurs entretiens, comme s’il s’agissait d’une embauche externe. Rien d’étonnant si certains perdent leurs repères et leurs liens, se retrouvent isolés, mis en concurrence avec les autres, hantés par la nécessité d’atteindre des objectifs…

Délocalisations

Une bonne partie des 2 000 prestataires qui travaillent sur le Technocentre devront vider tout simplement les lieux d’ici 2008. L’objectif est de mettre en place, avec les sociétés de prestation, des processus de travail à distance, pour mieux faire jouer la concurrence. Quitte à faire réaliser ces prestations demain dans des pays à bas coûts. Car la mode est au « faire faire ». Les salariés sont priés de ne plus faire de technique et de se consacrer au pilotage de projets. Avec la crainte d’en arriver au « ne plus rien faire du tout ». Et gare au « benchmarking » ! Il s’agit en clair de comparer les résultats financiers d’un secteur de l’entreprise aux plus rentables du monde, avec menace de se débarrasser du secteur en achetant ce qu’il produisait à des entreprises moins chères.

Des productions sont délocalisées : usines Renault en Russie, Roumanie, Iran, Inde, Brésil… Mais la conception aussi est touchée. Un Techno-Romania est en train de se monter du côté de Bucarest, et en Corée l’ingénierie de Samsung, rachetée en 2000 par Renault, prend de l’ampleur.

M. D.

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