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Accueil > Les articles du site > Réunion publique du 21 mars 2021 : La Commune n’est pas morte (...)

Seuls au monde ?

Mis en ligne le 25 mars 2021 Article Culture

Réunion publique du 21 mars 2021 sur la Commune de Paris — 6e partie (Accès au sommaire)


La Commune a beau être entrée dans l’histoire comme celle « de Paris », elle a, comme toute les révolutions, suscité une dynamique révolutionnaire bien au-delà des fortifications parisiennes. Selon de récents travaux d’historiens, plus de la moitié des dépêches internationales de la presse mondiale, entre mars et mai 1871, traitaient de ce qui se passait à Paris.

Partout, les travailleurs veulent La Commune

Un petit retour en arrière s’impose. Car contrairement à ce que suggère l’image ci-contre, à Marseille et à Lyon, on n’a pas attendu Paris et le 18 mars 1871 pour entrer en révolte. Dès août 1870, des républicains proclament une première fois une Commune dans ces deux villes. Cela n’a certes pas duré plus de quelques heures. Mais, le 4 septembre, rebelote ! Cette fois, c’est carrément la République qui est proclamée à Lyon, et ce avant même qu’un Gambetta hésitant se résolve à en faire autant à Paris sous la pression des masses. À Marseille, toujours le 4 septembre, le préfet représentant encore le Second Empire prend la fuite si vite que sa femme oublie d’emmener ses bijoux : 20 000 Marseillais envahissent peu après la préfecture.

À peine installé, le gouvernement de Défense nationale de Gambetta dépêche des représentants dans les principales villes du pays et partout où l’agitation menace. À Marseille, la mobilisation des travailleurs est telle que les syndicats constituent alors ouvertement une Fédération légale. Une Garde civique de 20 000 membres est créée. Ses buts politiques restent flous, mais elle est largement influencée par les dirigeants ouvriers et fait peur à Gambetta. Au-delà de Marseille, des délégués de villes du sud-est, de la Provence au Languedoc, constituent une Ligue du Midi d’une nuance républicaine plus radicale que son gouvernement. Cette ligue lui impose, sous la menace de retourner ses armes contre lui, rien de moins qu’une autonomie militaire au nom de la lutte contre l’invasion prussienne.

À Lyon...

Le mot d’ordre de l’autonomie communale pouvait-il alors constituer un moyen de renverser le pouvoir bourgeois et lancer la révolution sociale ? C’est en tout cas la carte que jouent, à la fin du mois de septembre 1870, l’anarchiste russe en exil Bakounine et quelques autres membres de l’AIT, la Ie Internationale. Ils rédigent avec des républicains radicaux lyonnais une affiche proclamant l’abolition de l’État, son remplacement par une fédération de communes autonomes, et appelant à une convention, c’est-à-dire une réunion de ces communes fédérées dans le but d’établir un nouveau pouvoir, révolutionnaire celui-là, à Lyon. Le 28 septembre, ils prennent d’assaut avec quelques centaines de manifestants l’Hôtel de ville de Lyon, pour en faire le quartier général de la future convention… et en sont presque aussitôt chassés, faute de soutien des faubourgs ouvriers lyonnais. Il semble que ceux-ci aient hésité à renverser une municipalité qui vient tout juste de supprimer les taxes municipales dites « d’octroi » frappant jusque-là toute marchandise entrant sur le territoire communal. Par la suite, les adversaires de Bakounine au sein de l’AIT lui reprocheront d’avoir lancé la section lyonnaise dans un soulèvement aventuriste et coupé l’AIT des masses ouvrières.

À Marseille, Toulouse, Saint-Étienne, Le Creusot, Narbonne, Nîmes...

Cela n’empêche pas Lyon de connaître deux soulèvements en novembre et en janvier. En fait, jusqu’à la répression de la Commune de Paris en mai 1871, le gouvernement n’est pas sûr de ses forces. Par exemple, Gent, nommé préfet fin octobre 1870 à Marseille pour dissoudre la Ligue du Midi et rétablir l’autorité du gouvernement, et qui remplace lui-même un premier préfet trop proche des ouvriers au goût de Gambetta, annonce au ministre Jules Favre après la signature de la paix à Versailles fin janvier 1871 qu’il « n’obéi[t] pas au capitulé de Bismarck ». Dans son ouvrage Communes de province, commune de Paris, Jeanne Gaillard souligne au demeurant que les négociants lyonnais et marseillais se gardent bien, jusqu’au mois de mars suivant, de mettre des bâtons dans les roues des agitateurs fédéralistes, car leurs intérêts de capitalistes coïncident partiellement avec l’opposition à la centralisation parisienne. La clarification politique a lieu lorsque le gouvernement fuit la capitale – suivi des bourgeois parisiens – et la laisse aux mains des classes laborieuses. Il devient alors clair pour tous que les Communes sont le drapeau d’un pouvoir ouvrier.

Dans la semaine suivant le 18 mars, des communes sont proclamées à Toulouse, Lyon, Marseille, Saint-Étienne, au Creusot, à Narbonne et à Nîmes. En avril, des mouvements insurrectionnels ont lieu à Limoges, La Charité-sur-Loire, à Cosne et Saint-Amand dans le Cher, ou encore à Voiron, Saint-Marcellin et Tullins dans le département de l’Isère. Dans une foule d’autres villes, voire dans des villages, on hisse le drapeau rouge, on défile, on tient des réunions, on tente l’impossible pour entraver la montée de troupes promises au sale boulot de la répression. Mais aucun de ces mouvements ne dure plus de quelques jours. Ici, les insurgés se dispersent constatant leur faiblesse alors que la menace de la répression se précise ; là, ils sont écrasés, comme à Narbonne le 31 mars.

Les communes de Paris et d’ailleurs sont-elles mortes de leur isolement ?

Oui et non. Indéniablement, le manque de coordination entre les insurgés des différentes localités aide le gouvernement de Thiers, quoique faible encore, à les vaincre séparément, précisément parce qu’il est centralisé. Mais l’isolement de Paris est tout relatif. Certes, les communications sont gênées. Mais, au prix de quelques mesures de discrétion au moment de franchir les lignes prussiennes ou versaillaises, il est possible de faire circuler les informations et de se déplacer. En avril, Paul Lafargue n’a aucun mal à faire le trajet de Bordeaux à Paris pour venir voir la Commune de ses yeux. Des émissaires des grandes villes accourent à Paris après le 18 mars : ils rentrent chez eux sans encombre.

Mais cette circulation ne signifie pas pour autant que les insurgés sont organisés. Jean-Baptiste Dumay, leader ouvrier aux usines Schneider et dans la ville du Creusot, raconte ainsi que c’est la nouvelle de la commune de Toulouse qui, donnant l’impression trompeuse d’un élargissement au Midi, convainc le comité socialiste du Creusot d’emboîter le pas à Paris. L’illusion est vite dissipée et la débâcle de la commune du Creusot tout aussi rapide.

On peut donc se demander ce qui serait advenu si Thiers n’avait pu reconstituer une armée après l’effondrement de ses troupes dans Paris. Car plusieurs témoins le rapportent : nombre des soldats de l’armée régulière rallient Versailles le 18 mars entre deux haies de gendarmes, chantant des chants révolutionnaires et menaçant de faire un sort à leurs officiers. Au 20 mars, le gouvernement est complètement vulnérable à une offensive de la Garde nationale parisienne. Pas à une offensive strictement militaire, car cette Garde n’a jamais rivalisé avec des troupes menées par des professionnels de la guerre, mais à une offensive politique dont c’est la détermination qui aurait été marquée par une telle offensive armée, détermination essentielle pour convaincre les soldats hésitants de refuser d’obéir à leurs officiers et au gouvernement de Versailles et de rejoindre la révolution.

Thiers l’avoue plus tard : « Sans le concours que me prêtèrent les maires et quelques députés de Paris, lesquels amusèrent dix jours durant les gens de l’Hôtel de Ville nous étions perdus ». Jean Allemane, futur leader socialiste, et alors jeune ouvrier typographe de 28 ans, dont quasiment déjà dix de militantisme syndical clandestin, se donne le 20 ou le 21 mars pour mission d’aller à Versailles préparer un assaut de la Garde nationale. Il se procure un laissez-passer auprès d’un des maires d’arrondissement parisien encore fidèles à Thiers. Dans le train, il constate, catastrophé : « Beaucoup de soldats regagnaient également Versailles, les uns porteurs de leurs armes et de leur équipement ; les autres, tout penauds, ne possédant ni sac, ni fusil, craignaient d’être punis sévèrement. Pourquoi le Comité central laissait-il partir des hommes qu’il aurait été facile de retenir à Paris ? ».

À l’arrivée, certains de ces soldats sans armes sont frappés, menacés et disparaissent aux mains des gendarmes. Néanmoins, Allemane parvient à se faire recruter comme typographe du gouvernement, et à organiser en trois jours parmi ses collègues de travail et les marins qui gardent l’imprimerie un groupe de conspirateurs. Ceux-ci commencent par saboter quelques canons d’un parc d’artillerie proche, et se préparent à faciliter l’entrée des Communards dans Versailles. Mais rien ne vient de Paris, pourtant dûment averti. Le 29 mars, Allemane est reconnu par un flic et doit s’enfuir précipitamment. Le 3 avril, répondant une provocation versaillaise, la Garde nationale lance un assaut. Mais il est déjà trop tard : les officiers versaillais ont repris leurs troupes en mains…


Suite : « La forme politique enfin trouvée » (Karl Marx, La guerre civile en France)

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