26 mars, l’élection de la Commune : Le premier gouvernement des travailleurs
Réunion publique du 21 mars 2021 sur la Commune de Paris — 4e partie (Accès au sommaire)
Le Paris bourgeois entrave l’élection de la Commune
Pendant une semaine, les délégués du Comité central de la Garde nationale (élus parmi les soldats des 215 bataillons) ont discuté avec les maires des arrondissements parisiens et des députés, souvent socialistes, pour organiser des élections à Paris.
Les délégués voulaient que cela se fasse dans la légalité, c’est-à-dire avec l’accord des maires. Alors qu’ils auraient pu le leur imposer puisqu’ils étaient à la tête de 200 000 hommes en armes.
La réaction, elle, a entravé autant qu’elle a pu ce vaste mouvement populaire.
Au sein même de la Garde nationale, une vingtaine de bataillons bonapartistes se tiennent prêts. À la tête des 2e et 3e arrondissements, les maires et députés invoquent la prétendue légalité de l’Assemblée afin de refuser la tenue d’élections. Un des délégués du Comité leur répond :
« L’Assemblée n’a pas cessé un jour de mettre la République en question. Elle a placé à notre tête un général déshonoré, décapitalisé Paris, essayé de ruiner son commerce. Elle s’est moquée de nos douleurs ; elle a nié le dévouement, le courage, l’abnégation que Paris a montrés pendant le siège, hué nos délégués les plus chers : Garibaldi, Hugo. Le complot contre la République est évident. »
Mais le Comité central continue, quant à lui, d’attendre l’aval des maires : les élections sont reportées au 23. Seulement, les maires jouent le rôle d’intermédiaire de Versailles pour qui il n’est pas question d’accord. D’ailleurs, l’Assemblée ne s’en cache pas et appelle les ruraux à marcher sur Paris. Les maires ont beau promettre la conciliation, qu’ils y croient ou non, la situation ne le permet pas. En effet, le 22 mars, 2 000 bourgeois défilent rue de la Paix avec des armes cachés sous leurs vêtements. Ils les dégainent face aux gardes nationaux Place Vendôme. Après plusieurs sommations les coups partent, deux gardes nationaux sont tués et dix blessés, deux ou trois morts de l’autre côté. Des compagnies réactionnaires s’établissent à la mairie du 9e et du 6e, la réaction sème le trouble un peu partout.
La réponse du Comité central ne se fait pas attendre, d’autant que cette polarisation accrue lui a rallié des groupes révolutionnaires en retrait jusque-là. Des barricades sont dressées Place Vendôme, les mairies occupés sont reprises et un certain nombre de maires remplacés par des délégués du Comité central.
La défense contre les Versaillais, c’est la défense de la République sociale par le peuple en armes. Par son succès, le Comité Central a prouvé qu’il détient le pouvoir et s’en rend responsable devant les masses, ce qui aurait pu aboutir en une prise de pouvoir effective. Mais le Comité choisit d’imposer les élections qui auront finalement lieu le 26.
La manifestation réactionnaire des « Amis de l’Ordre » du 22 mars
Une assemblée d’ouvriers et de militants
Dans l’esprit de nombreux militants, la force morale des élections (cela ne fait pas si longtemps que le vote est acquis) compte plus que la force des baïonnettes. À ce moment précis, beaucoup pensent encore qu’un compromis avec Versailles est possible et que, dans le cas contraire, l’extension du mouvement en faveur d’élection de communes partout en France achèvera de rabattre leur caquet aux Versaillais. Leur espoir est que, partout, les troupes fraterniseraient avec la Garde nationale comme cela s’est produit à Paris le 18 mars.
Voici ce que le Comité central de la Garde nationale a déclaré dans des affiches placardées partout dans la ville pour annoncer les élections à la Commune et appeler à voter :
Citoyens, ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre propre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme les autres ne consultent que leur propre intérêt et finissent toujours par se considérer comme indispensables. Défiez-vous également des parleurs, incapables de passer à l’action ; ils sacrifieront tout à un discours, à un effet oratoire ou à un mot spirituel. Enfin, cherchez des hommes aux convictions sincères, des hommes du peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue. Evitez également ceux que la fortune a trop favorisés, car trop rarement celui qui possède la fortune est disposé à regarder le travailleur comme un frère. Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste, et c’est aux électeurs à choisir leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter. Nous sommes convaincus que, si vous tenez compte de ces observations, vous aurez enfin inauguré la véritable représentation populaire, vous aurez trouvé des mandataires qui ne se considéreront jamais comme vos maîtres.
Le résultat a été une participation importante des hommes électeurs (car il n’est pas question de laisser les femmes voter bien qu’une partie d’entre elles le demandent !), comparable à celle des élections municipales de novembre 1870. Les quartiers riches ont élu des représentants bourgeois, pendant que les quartiers populaires ont voté en majorité pour des militants socialistes et républicains, anciens opposants sous l’Empire et pendant le siège de Paris, contrairement aux inconnus qui composent en majorité le Comité central.
Le 28 mars, une manifestation de 200 000 personnes se presse sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris où la Commune est proclamée dans la liesse, aux cris de « Vive la commune ! », « Vive la République ! » et au son des canons. Le Comité central lui a confié le pouvoir, mais sans disparaître pour autant. Il a constitué de fait un pouvoir parallèle.
Parmi les 90 élus, on compte entre 25 et 30 ouvriers (pas au sens d’ouvriers d’industrie mais ouvriers de l’artisanat, de petites entreprises) dont 13 faisant partie de la Première Internationale. Un hongrois, Léo Frankel, membre de la Ire Internationale lui aussi, a été élu… Cela a provoqué des discussions mais a finalement été entériné, preuve d’un internationalisme de classe. 13 membres du Comité central ont été élus à la Commune (comme l’ouvrier relieur Varlin par exemple). Blanqui a été élu alors qu’il est incarcéré en province depuis le 17 mars. La Commune n’a cessé de demander à Versailles d’échanger Blanqui contre l’archevêque Darboy et d’autres otages, ce que Thiers bien sûr a refusé, arguant que « Rendre Blanqui à l’insurrection serait lui envoyer une force égale à un corps d’armée ».
La proclamation de la Commune le 28 mars, place de l’Hôtel-de-Ville
Le premier État ouvrier
Les membres de la Commune sont responsables et révocables à tout moment, tout comme tous les membres des services publics, de la justice, de la police. Tous, des élus de la commune aux fonctionnaires, perçoivent un salaire d’ouvrier.
Le premier décret de la Commune a été la suppression de l’armée permanente et son remplacement par le peuple en armes (la Garde nationale donc).
L’appareil d’État de la bourgeoisie n’a donc pas été simplement pris tel quel par les travailleurs qui le feraient fonctionner pour leur compte. Il a été entièrement refondé par ces principes d’élection, responsabilité et révocabilité. La Commune, ce n’est pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, à la fois législatif (pouvoir de faire les lois) et exécutif (celui de les faire appliquer). Dix commissions ont pris en charge tous les domaines possibles.
La principale action de la Commune tient à son existence même, à l’adhésion de la population, à l’énergie et l’imagination qu’elle a déployée pour construire une nouvelle société. Une large place est laissée à l’initiative populaire. La Commune, affranchie des rouages de l’État bourgeois – c’est-à-dire de sa police, de sa justice, de ses fonctionnaires – doit faire appel aux travailleurs, aux ménagères pour mettre en œuvre l’application des mesures qui les concernent. Ce fonctionnement est résumé par Engels qui écrit dans son introduction de 1891 à La guerre civile en France écrite par Marx le 30 mai 1871 : « C’était la dictature du prolétariat ».
Le caractère de liberté et de démocratie a été un élément important du pouvoir de la Commune, à l’excès même sûrement car nombre de contre-révolutionnaires, d’espions ont été arrêtés et relâchés dans la nature. Le climat d’effervescence politique décrit précédemment a bien sûr continué de prévaloir : discussions dans tous les sens dans les clubs sur de nombreux sujets, comme l’instruction pour tous ou comment continuer la révolution.
Ainsi le programme du club Nicolas déclarait :
La souveraineté du peuple qui ne doit jamais abandonner son droit de surveillance sur les actes des mandataires. Peuple gouverne-toi toi-même par tes réunions publiques, par ta presse, pèse sur ceux qui te représentent, ils n’iront jamais trop loin dans la voie révolutionnaire. Si tes mandataires hésitent ou s’arrêtent, pousse-les afin d’atteindre le but vers lequel nous tendons, c’est à dire la conquête de nos droits, l’affermissement de la République et le triomphe de la Justice.
Les élus de la Commune
Suite : Comment les Communards ont cherché à changer le monde
Mots-clés : Commune de 1871 | Histoire