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Sauf-conduits... et sauve-qui-peut !

2 mars 2001

Les 900 Kurdes irakiens échoués sur la côte varoise ont finalement obtenu un sursis. De justesse. Suite à une volte-face de Jospin dont il y a tout lieu de penser qu’elle n’a rien à voir avec le droit ou l’humanité. Pour fuir la misère et l’oppression, ce millier d’hommes, femmes et enfants a pris la route de l’exil, abandonnant maisons et biens pour se livrer à une mafia de passeurs. Le 17 février, quand ils ont échoué près d’une plage de Saint-Raphaël, le gouvernement a mobilisé les grands moyens, non pas pour les secourir, les soigner, les nourrir, comme le dira plus tard Jospin, mais avant tout pour les arrêter et les parquer, avec l’intention de les renvoyer.

Le gouvernement a fait installer, en toute illégalité et au pas de charge, un « centre d’attente » et réquisitionné des dizaines de fonctionnaires pour faire remplir des dossiers avant expulsion. François Hollande, ténor socialiste, déclarait sans fioritures : « Il ne faut pas inciter à un trafic de main-d’oeuvre » et ne pas donner aux réfugiés « l’illusion et l’espoir d’une intégration dans notre pays, car ce serait une formidable incitation à tous les trafics ».

Dur dilemme de politicien, en campagne électorale, que de choisir entre la démagogie xénophobe, réputée payer, ou les apparences généreuses, tenant compte des sondages donnant une forte majorité de la population favorable à l’accueil des victimes !

Coup de théâtre le 21 février : le gouvernement fait volte-face, renonce au maintien des réfugiés dans leur prison de Fréjus et leur délivre des sauf-conduits les autorisant à déposer une demande d’asile. De fait, il était difficile d’expulser sur le champ un millier de réfugiés et de les renvoyer dans un pays connu pour être bien dur à vivre. Et sur le plan juridique, le gouvernement risquait un camouflet tant sa « procédure de masse » contenait d’illégalités et vices de forme. Le préfet expulseur s’est donc subitement déguisé en préfet libérateur, pour annoncer aux Kurdes (devant les caméras à une heure de grande écoute) : « Vous êtes les bienvenus ! »

Malheureusement pas.

En 2000, il y a eu 40 000 demandes d’asile traitées par l’OFPRA (le bien mal nommé Office français de protection des réfugiés et des apatrides), dont le cinquième environ est agréé. Les demandeurs sont soumis à une procédure tracassière, qui exige de multiples preuves que leur vie est bien en danger, des exigences aberrantes car les témoignages et les articles de presse ne suffisent pas. Le demandeur d’asile doté d’un permis de séjour de 3 mois renouvelable, qui lui interdit de travailler, est souvent condamné à la misère. Dernière mesquinerie, mais pas la moindre : l’Etat français n’accorde l’asile politique qu’aux individus menacés « par leur propre Etat ». C’est ainsi que les Algériens sont quasiment sûrs d’être déboutés. Dans la logique du gouvernement français, les gens menacés par les intégristes n’ont pas droit à l’asile. Quant à ceux qui le sont par la dictature et l’armée, pas vraiment non plus puisque l’Etat algérien est un Etat ami ! La preuve : la bourgeoisie française lui vend beaucoup d’armes et lui achète beaucoup de pétrole.

En ce qui concerne les Kurdes de l’East Sea, le gouvernement a prétendu ne pouvoir leur accorder l’asile qu’au « cas par cas », et pas collectivement, de même qu’il a toujours refusé les régularisations de tous les sans-papiers. Chacun en est donc réduit maintenant à fuir de son côté et séparément. Certains tentent de passer illégalement en Allemagne ou en Suisse où ils ont des proches. D’autres tentent d’échapper aux « centres d’hébergement » précaires.

S’ils sont déboutés du droit d’asile, ils recevront un arrêté de reconduite à la frontière, synonyme de lourde sanction dans leur pays. S’ils échappent à l’expulsion, ils partageront la vie des immigrés sans-papiers : la peur d’être arrêtés et expulsés, la précarité, la privation totale de droits, la nécessité pour survivre d’aller se faire embaucher, dans des conditions de travail et pour des salaires lamentables, par des patrons négriers.

Si les trafics clandestins et leurs drames font la une - si des trafiquants passent en procès comme aujourd’hui quelques responsables de la mort odieuse de 58 jeunes chinois trouvés dans un camion à Douvres, voilà qui fournit au patronat de la main-d’oeuvre clandestine, taillable et corvéable à merci, qui va suer des profits dans la restauration, le nettoyage, le bâtiment ou tous les métiers les plus durs de l’industrie. Le gouvernement qui ne cesse, comme ses prédécesseurs, de radoter qu’« on ne peut accueillir toute la misère du monde », a parfaitement intégré les exigences du patronat : police et justice sous ses ordres contribuent à fabriquer cette partie surexploitée de la classe ouvrière, en l’acculant à la « clandestinité ». Ce qui pèse sur toute la classe ouvrière. Dans l’intérêt des patrons. Des petits patrons turcs du Sentier, des petits patrons chinois de Belleville, mais aussi et surtout des grands noms du bâtiment ou de l’industrie français !

D’origine immigrée ou pas, il n’y a qu’une seule classe ouvrière. C’est tous ensemble contre les patrons que nous défendrons nos intérêts communs.

Bernard RUDELLI

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