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Qui va « barrer la route à Le Pen » ?

28 mai 2002

Serge Lepeltier, dirigeant en titre du parti de Chirac, avait clairement déclaré ne pas vouloir soutenir un candidat de gauche se retrouvant face à l’extrême-droite. Et d’autres à droite lui ont aussitôt emboîté le pas. Voter Chirac pour barrer la route à Le Pen, c’est pourtant ce que nous avait raconté cette gauche, préoccupée qu’elle était avant tout de faire oublier la claque reçue au premier tour pour prix de sa politique au gouvernement.

Face au malaise créé par cette prise de position d’un représentant du principal parti de la droite, Raffarin et Juppé se sont sentis obligés de promettre qu’il n’y aurait pas d’alliance directe ou indirecte avec le Front National dans les prochaines législatives. On peut cependant parier qu’en définitive, chaque candidat de droite se déterminera localement en fonction de la combinaison la plus susceptible de le faire élire. L’ambition de s’asseoir sur un siège de député ne peut faire barrage à l’envie d’un certain nombre de candidats de droite de s’asseoir sur les prétendus principes de « défense de la République », utiles seulement à faire reluire la candidature Chirac, elle aussi bien amochée au premier tour.

Face à cette évidence, les partis de gauche ont soudain retrouvé la mémoire. Ils ont rappelé que les passerelles entre droite et extrême-droite n’étaient pas nouvelles, que dans plusieurs régions des alliances avaient été nouées dans un passé récent, et pour certaines se poursuivaient encore. Car maintenant, après avoir conforté la droite, il leur faut bien eux aussi défendre leurs sièges face à elle.

Si l’on voulait mesurer en quoi Le Pen, en dépit de sa « défaite » électorale devant Chirac, pouvait peser sur la politique dans ce pays, le battage sécuritaire du nouveau gouvernement nous en a également donné une idée. Chirac voudrait qu’on n’y voie que du bleu… marine. Après avoir joué au voleur il joue au gendarme et court ainsi après Le Pen.

Après les scores élevés dans plusieurs pays, c’est aussi au niveau de la politique européenne que l’influence de l’extrême-droite se fait sentir. Pour l’Espagne, Aznar en vue du prochain sommet de Séville, a tenu à tirer le premier, suivi de peu par Chirac et Schröder. Ils clament sur tous tons que l’immigration est « un sujet qu’il ne faut pas laisser à l’extrême-droite ».

Le Pen n’est donc pas qu’un danger potentiel. Il fait déjà des ravages. Pour cela il n’y a même pas besoin que l’extrême-droite soit au pouvoir, ou partie prenante d’un gouvernement dans une coalition avec la droite, ce qui est le cas au Danemark ou en Autriche, puisque ce sont les gouvernements de droite… et de gauche – rappelez-vous la politique de Chevènement vis-à-vis des sans papiers ou la campagne de Jospin sur la « sécurité » – qui se sentent tenus de reprendre ses thèmes et une partie de sa politique.

Oui bien sûr, il faut « barrer la route à Le Pen ». Mais ces seules dernières péripéties ont largement démontré que ce ne sera ni en votant Chirac, ni quelques semaines plus tard en votant pour la gauche.

Il faut aussi barrer la route à cette escroquerie !

Car le véritable danger c’est l’influence que Le Pen a acquise sur les couches populaires.

Le Front National empoisonne d’ores et déjà la conscience de trop de travailleurs, notamment parmi les plus démunis, dans des cités devenues des îlots de misère du fait du chômage, où une fraction des laissés-pour-compte de la politique des gouvernements de gauche et de droite de ces 20 dernières années se retourne – même si ce n’est jusque-là qu’en parole – contre les immigrés. Voire contre « les Cocos » comme un reportage télé s’en faisait récemment l’écho. Et la crainte du chômage taraude aussi un certain nombre de salariés qui, bien que n’étant pas parmi les plus démunis, craignent la concurrence des plus malchanceux. La presse récente fourmille de reportages sur des travailleurs, déjà sans emploi ou chômeurs en puissance, qui par hargne de ces partis de gouvernement incapables de les rassurer sur leur sort, disent avoir voté Le Pen ou annoncent qu’ils le feront.

Si l’extrême-gauche veut arracher les couches populaires à l’influence des Le Pen, il est donc tout d’abord indispensable qu’elle se démarque clairement de tous ceux qui, à droite comme à gauche ont, au pouvoir ces dernières années, été les artisans de la paupérisation du monde du travail. Il faut donner aux travailleurs d’autres perspectives que celle d’une alternance de gouvernements menant tous une même politique, contre les travailleurs et les plus démunis. Et il faut enfin et surtout que l’extrême-gauche se donne les moyens de prendre la tête des combats qui se mènent et se mèneront ailleurs que dans l’arène électorale, sur le terrain de la lutte des classes. De façon à les étendre, les généraliser, et leur donner ainsi les meilleures chances d’aboutir à des succès. Car ce sont ces succès qui renforceront le plus sûrement le moral et la combativité des travailleurs, donneront les meilleures chances de faire reculer l’extrême-droite et accessoirement leurs autres ennemis de droite comme de gauche.

Louis GUILBERT

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