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Pour qui roule le juge Bruguière ?

29 novembre 2006

Le journal Le Monde publiait le 10 mars 2004 des « Révélations sur l’attentat qui a déclenché le génocide rwandais » dix ans plus tôt. Le quotidien affirmait avoir pris connaissance du « rapport final » du juge d’instruction Bruguière, qui concluait à l’implication de Paul Kagamé, président en exercice du Rwanda, dans la mort de son prédécesseur Habyarimana à bord d’un avion abattu par un missile le 6avril1994.

Le soir même de cet assassinat avait débuté le massacre méthodique, planifié, organisé à l’échelle du pays par les milices extrémistes hutues, des hommes, femmes et enfants de la minorité tutsie, mais aussi de Hutus modérés hostiles au pouvoir en place. Le gouvernement provisoire hutu avait orchestré et encouragé ces tueries pendant des semaines, jusqu’à son renversement par l’armée du Front patriotique rwandais (FPR), majoritairement tutsi et dirigé par Paul Kagamé.

C’est le même Kagamé que, par presse interposée, le juge Bruguière désignait voici déjà deux ans comme instigateur de l’événement qui servit de signal au déclenchement de massacres qui firent quelque 800000 victimes. Fort opportunément, ces « révélations » survenaient durant un voyage officiel de Kagamé en Belgique, peu avant les commémorations prévues dans la capitale rwandaise pour le dixième anniversaire du génocide. À point nommé pour faire oublier les responsabilités de l’État français dans le génocide des Tutsis, que les exactions avérées des troupes du FPR contre les populations hutues, lors de leur conquête militaire, n’atténuent en rien.

L’implication de l’impérialisme français au Rwanda date de bien avant fin 1990. Lorsque le FPR engage depuis l’Ouganda voisin une lutte armée contre le régime hutu d’Habyarimana. L’État français va jouer sur tous les tableaux : celui de l’engagement armé pour empêcher une défaite militaire des Forces armées rwandaises (FAR) ; comme celui des négociations pour tenter, avec les accords de paix d’Arusha d’août 1993, de préserver les intérêts français derrière un partage du pouvoir entre majorité hutue et minorité tutsie. Mais surtout l’impérialisme français va aussi jouer la carte du pire, celle du soutien aux extrémistes hutus, avec la formation, l’entraînement et l’équipement de milices ; elles deviendront en avril 1994 le bras armé du parti génocidaire quand l’élimination d’Habyarimana -quel qu’en soit le responsable et même si c’est Kagamé- portera au pouvoir cette aile extrémiste. Et lorsque le régime s’effondre devant l’avancée militaire du FPR, la France trouve encore à jouer dans le registre humanitaire avec l’aval des Nations Unies : si l’opération Turquoise arrive après les massacres, elle permet aux troupes françaises sur place de protéger la retraite des FAR et de bien des génocidaires !

Bis repetita !

Le juge Bruguière nous rejoue aujourd’hui le même coup de la culpabilité de Kagamé et du FPR. Avec cette fois-ci à la clé un mandat d’arrêt international contre neuf dirigeants rwandais et une démarche auprès des Nations Unies pour que l’actuel chef de l’État soit poursuivi devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Résultat pour l’heure : le gouvernement rwandais a rompu ses relations diplomatiques avec la France et dénoncé à nouveau le rôle de celle-ci « avant, pendant et après le génocide » de 1994. Pourtant, voyez-vous, la décision du juge Bruguière n’aurait « rien à voir avec une décision politique », déplore hypocritement le ministre des Affaires étrangères ! Et Douste-Blazy d’ajouter, rappelant les travaux parlementaires de 1998 sur l’intervention de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, « nous n’avons pas eu peur de faire une commission d’enquête ».

En fait il n’y a pas eu de « commission d’enquête parlementaire », juste une « mission d’information », sans possibilités d’investigation réelles ni en France ni au Rwanda. C’est dire que l’État français tenait à éviter toute réelle enquête, même menée par des parlementaires qui, de gauche comme de droite, étaient sans doute disposés a priori à couvrir bien des agissements des gouvernements Rocard, Cresson, Bérégovoy puis Balladur, tous sous la présidence de Mitterrand ! « Au total, notre pays peut et doit être fier de l’action qu’il a conduite dans ce malheureux pays » concluront d’ailleurs les députés de droite membres de la « mission d’information » !

La nouvelle sortie, forcément calculée du juge Bruguière, cherche à allumer un contre-feu face aux conclusions de la commission d’enquête en cours au Rwanda sur l’implication de la France et permettre « pour des raisons de sécurité » l’ajournement du témoignage devant le TPIR d’un officier supérieur français qui, en poste à Kigali en 1994, participait à la formation de membres des FAR. En bref, de tenter de masquer que les parrains des assassins de 800000 Rwandais étaient à Paris.

Gérard WEGAN

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