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Le transport maritime et ses problèmes

28 septembre 2021 Article Économie

(Photo : le canal de Suez bloqué par l’Ever Given en mars 2021, photo satellite, source : https://commons.wikimedia.org/wiki/...)

Aujourd’hui, 90 % des échanges mondiaux de marchandises en volume et 80 % en valeur se font par voie maritime, majoritairement entre ce qu’on appelle les trois pôles de la Triade, à savoir l’Amérique du Nord, l’Asie orientale et l’Europe occidentale [1]. Pour ses défenseurs, ce type de trafic est à la fois le plus économique et le plus sûr. Il n’y a pas lieu de contester le premier point. Selon les experts, son coût ne représente en moyenne que 1,5 % du prix final des produits acheminés par ce biais. Mais la seconde affirmation est plus contestable. Comme l’explique Arabelle Bentley [2], secrétaire exécutive de Kimo International, une ONG de protection des mers [3] : « Les grands navires sont construits sous la pression des transporteurs internationaux qui cherchent, plus que jamais, à expédier davantage de marchandises plus rapidement et moins cher. Or ces navires immenses sont une menace pour l’environnement. »

Cette menace se décline sous plusieurs aspects. Le premier, et le plus préoccupant, est celui de la pollution de la mer par les hydrocarbures. Les marées noires, lorsqu’elles se produisent, font couler beaucoup d’encre et les images montrant des plages souillées sur des centaines de kilomètres et des oiseaux mazoutés font le tour du monde. En France, chacun a en mémoire celles provoquées par les naufrages, au large de la Bretagne, de L’Amoco Cadiz en 1978 et de L’Erika en 1999. Mais lorsque de telles marées noires touchent des pays pauvres, on en parle beaucoup moins.

Les déballastages

Les marées noires ne sont que la partie la plus spectaculaire de la pollution dont les conséquences sont immédiatement visibles et choquantes, mais ponctuelles. Lorsque l’on regarde d’un peu plus près les quantités de pétrole relâchées dans les mers et les océans, on observe que la source principale de pollution vient des déballastages volontaires. Il s’agit d’une opération qui consiste à déverser clandestinement des eaux souillées d’hydrocarbures, issues généralement du nettoyage des cuves. Cette opération est censée s’effectuer dans les ports mais, là, elle a un coût. Pour éviter de payer des frais, des capitaines peu scrupuleux – de mèche avec les armateurs – l’effectuent clandestinement en haute mer. À l’échelle d’une année ou d’une décennie, cette pollution est mise en évidence quotidiennement par les satellites d’observation et représente des volumes de pétrole dix à cent fois plus importants que ceux représentés par les marées noires. Ce qui vient s’ajouter aux autres pollutions marines produites par les engrais, les pesticides, les métaux lourds, les plastiques, etc. C’est moins médiatisé, mais le pétrole des déballastages arrive sur les côtes de la même façon. Et le coût de la dépollution n’est pas payé par les armateurs mais par les communes – et les habitants ! – du littoral voire, dans les cas les plus rares, les États.

La chute des conteneurs

Autre cause de pollution : la chute en mer de conteneurs. Sur les millions qui sont transportés chaque année, quelques milliers disparaissent dans les flots. En cause : un mauvais arrimage de la cargaison, des collisions voire, plus rarement, des naufrages. Il est difficile d’en déterminer le nombre exact dans la mesure où les armateurs préfèrent généralement passer sous silence ces pertes pour échapper à toute responsabilité pénale au cas où l’un de ces conteneurs provoquerait un accident en mer ou une pollution. Mais certaines compagnies d’assurance l’estiment entre 10 000 et 15 000 par an. Pour donner une idée de l’ampleur du phénomène, l’ONG Kimo International a estimé que trois mille d’entre eux ont été perdus rien qu’entre novembre 2020 et mars 2021, au cours de trois accidents distincts. Et, jusqu’à présent, la bataille pour obliger les armateurs à équiper chaque conteneur d’une balise permettant de l’identifier et de le localiser n’a rien donné.

« Le bateau ivre de la mondialisation »

Certaines routes maritimes sont particulièrement encombrées et bouchonnent à la façon d’un périphérique d’une grande ville aux heures de pointe. Le blocage du canal de Suez par l’Ever Given, en mars dernier, a rappelé la fragilité d’un système qui fonctionne à flux tendu sans véritable « plan B » en cas de pépin, dans une voie d’eau qui voit passer 19 000 bateaux chaque année et 12 % du commerce maritime mondial. Dans une « libre opinion » publiée dans un quotidien économique [4], Léonid Berkovitch, directeur de marketing chez Orange, appelait L’Ever Given, « le bateau ivre de la mondialisation » et poursuivait : « L’image du cargo géant coincé entre les deux rives du canal de Suez est devenue un symbole de l’économie mondiale qui ne sait plus prévoir, ni faire bonne mesure. » On ne saurait mieux dire. Surtout que la mésaventure de l’Ever Given, bloquant derrière lui 420 bateaux pendant une semaine, a coûté cher. Chaque heure du blocage du canal a engendré une perte de 400 millions de dollars au commerce mondial, c’est-à-dire entre 6 et 10 milliards de dollars par jour. À cela s’ajoutent les frais de dédommagement de 900 millions de dollars réclamés par les autorités égyptiennes du canal de Suez.

Routes engorgées

D’autres voies maritimes sont tout aussi fragiles. À commencer par le canal de Panama, qui relie l’Atlantique au Pacifique et par lequel transitent annuellement 14 000 navires, soit 10 % du trafic mondial. En 1934, la capacité maximale du canal avait été estimée à 80 millions de tonnes par an. Aujourd’hui, on atteint 300 millions de tonnes. Mais l’augmentation de la taille des bateaux fait qu’ils ont de plus en plus de mal à se croiser et, en novembre dernier, le temps d’attente pour entrer dans la voie d’eau atteignait une semaine.

La construction du canal de Panama a entraîné, à la fin du xixe siècle et au début du xxe, une catastrophe écologique majeure, en coupant la possibilité pour nombre d’espèces (à l’exception des oiseaux) de continuer de passer librement du nord au sud de l’Amérique et vice-versa. Mais, aujourd’hui, la nature se venge. La déforestation massive liée à sa construction puis à son agrandissement, aggravée par le réchauffement climatique, fait qu’actuellement le lac Gatún, principal réservoir naturel qui alimente les écluses et leur permet de fonctionner, voit son niveau d’eau baisser de façon dramatique, remettant à terme en question la poursuite de la navigation. Chaque fois qu’un navire passe dans le canal, 197 000 m3 d’eau douce sont déversés dans la mer et, en saison sèche, les précipitations ne suffisent plus à alimenter le lac. En conséquence, des torrents de boues s’y déversent et il s’envase un peu plus chaque année.

D’autres goulots d’étranglement sont eux naturels

Il s’agit des détroits d’Ormuz et de Malacca. Le premier relie le golfe Persique au golfe d’Oman. Il doit son nom à l’île Ormuz, située au sud-est de la ville portuaire de Bandar-Abbas, en Iran. Les pays frontaliers de ce golfe sont l’Iran au nord, le sultanat d’Oman et les Émirats arabes unis au sud. 30 % du commerce mondial du pétrole, 2 400 pétroliers par an, 17 millions de barils de pétrole par jour passent par ce détroit. Là, le problème majeur est surtout politique, lié à la situation tendue qui existe entre l’Iran d’une part, les pays arabes et les États-Unis de l’autre. Au cours des dernières années, de nombreux incidents armés et attaques de navires ont eu lieu. Cela pourrait conduire à une déflagration plus grave qui, en empêchant la navigation, entraînerait une crise pétrolière majeure avec des répercussions économiques gravissimes.

Quant au détroit de Malacca, qui se faufile entre la Malaisie et l’Indonésie, il voit passer entre ses rives 25 % du commerce maritime mondial dont 41 % des importations nippones. À l’extrémité est du détroit se trouve la petite cité État de Singapour (730 km2, 5,8 millions d’habitants) qui possède le deuxième port de marchandises du monde (derrière Shanghaï). Le détroit de Malacca représente une voie de navigation privilégiée entre l’océan Indien et l’océan Pacifique qui relie entre eux les principaux centres maritimes de l’Inde, de la Malaisie, du Japon, de la Chine, de Taïwan et de la Corée du Sud. S’il n’est pas menacé, du moins à l’heure actuelle, par un conflit entre ses voisins, par contre la piraterie est un phénomène apparu vers la fin des années 1990, qui s’est par la suite intensifié jusqu’au début des années 2010, même s’il s’est un peu réduit ces dernières années. Malgré tout, le détroit de Malacca est toujours considéré comme la zone la plus dangereuse et la plus infestée de pirates au monde.

Souiller les pôles

Malgré cette situation de plus en plus tendue et le fait qu’emprunter les voies maritimes est de plus en plus aléatoire, les principaux responsables du commerce maritime international ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Ils parlent maintenant de profiter du réchauffement climatique pour tracer de nouvelles routes à travers l’Arctique et l’Antarctique, c’est-à-dire par le pôle Nord et le pôle Sud.

La première, dite passage du Nord-Est, éviterait le canal de Suez et ferait passer de trente à dix-huit jours le trajet entre les ports japonais et celui de Rotterdam. Une bonne partie du passage du Nord-Est se trouve dans les eaux territoriales russes et nombre de nouvelles bases militaires de la Fédération de Russie ont été construites le long de cette route maritime dont Vladimir Poutine veut faire « une voie de commerce vraiment mondiale et compétitive ».

La seconde, dite passage du Nord-Ouest, consisterait à contourner par le nord le continent américain. New York ne serait plus alors par mer qu’à 14 000 kilomètres de Tokyo, contre 18 200 kilomètres en passant par le canal de Panama. Là encore un conflit oppose les États-Unis au Canada qui revendique une souveraineté sur ce passage situé pour l’essentiel dans ses eaux territoriales.

Dans un cas comme dans l’autre, cela conduirait à saccager deux des rares régions du globe encore relativement épargnées jusqu’ici par la pollution. Mais cela ne semble nullement gêner les dirigeants du monde capitaliste pour lesquels transporter plus, c’est gagner plus et ce, comme dirait Macron, « quoi qu’il en coûte »… à la planète.


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[1Des dix principaux ports mondiaux par où transitent les conteneurs sept se trouvent en Chine (Shanghai, Ningbo-Zoushan, Shenzhen, Guangzhou, Quingdao, Hong-Kong, Tianjin) un à Singapour, un en Corée-du-Sud (Busan), un en Europe (Rotterdam, aux Pays Bas) et aucun au Japon ou sur le continent américain.

[2Le Monde du 31 mars 2021.

[3KIMO International est une organisation à but non lucratif basée aux ÎIes Shetlands(Royaume Uni) qui regroupe 80 municipalités littorales de huit pays européens représentant cinq millions de personnes. Elle lutte pour la préservation des océans.

[4Les Échos du 26 avril 2021.

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