Le rôle du CHSCT après l’explosion d’AZF à Toulouse
22 juin 2004 Convergences Société
Le 21 septembre 2001 à 10 h 17, la formidable explosion à l’usine chimique Grande Paroisse (AZF) de Toulouse ravageait les environs. 31 morts, 9 000 blessés, 41 000 logements sinistrés. L’explosion s’était produite dans un bâtiment servant à entreposer en vrac du nitrate déclassé en attente d’être expédié pour retraitement sur d’autres sites du groupe Total. Face à toutes les victimes qui demandaient réparation, Total trouva des alliés pour se dédouaner de la responsabilité de l’accident.
Le CHSCT de l’usine mit en place une Commission d’enquête pilotée par des syndicalistes de la CGT majoritaire, « avec pour objectif de mettre en évidence les causes exactes de l’explosion ». Bon. Il désigna le cabinet d’expertise CIDECOS pour une mission d’assistance à la commission d’enquête. Bien. Après enquête, l’expert du cabinet CIDECOS apporta sa contribution qu’il remit au CHSCT : « Aucune des hypothèses qui demeurent n’exonère l’employeur de sa responsabilité dans l’explosion du bâtiment ». Deux hypothèses étaient retenues : pollution du stockage par des produits chlorés, ou arc électrique consécutif à un incident qui se serait produit sur un poste électrique. Mais voilà qui ne convenait pas aux syndicalistes initiateurs de l’enquête, d’où leur dépit de le voir porté à la connaissance de tous.
Le rapport d’étape de la commission d’enquête du CHSCT largement diffusé sur papier glacé au même moment, pour le premier anniversaire de la catastrophe, ne concluait nullement, lui, à la responsabilité de l’employeur. « Nous n’avons abouti à ce jour à aucune explication sur l’origine de la catastrophe », écrivait-il. Ces syndicalistes qui prétendaient rechercher « la vérité » escamotèrent les éléments apportés par l’expert.
Ainsi l’expert qualifiait de déficientes les conditions matérielles de stockage :
« En premier lieu le tas de nitrate d’ammonium reposait sur une dalle en béton en très mauvais état. Cette dalle n’avait jamais été refaite depuis sa construction (le bâtiment date du début du siècle dernier, mais la dalle aurait été construite dans les années 40). La partie de la dalle située à l’entrée de la zone de stockage était particulièrement dégradée, la couche de béton y avait pratiquement disparu sous l’effet de la corrosion et de l’action des engins de manutention, le ferraillage y était apparent et les opérateurs devaient parfois « taper dessus » avec le godet des engins pour les aplatir (...) En second lieu, le bâtiment, constamment ouvert et exposé au vent d’autan, connaissait fréquemment des conditions d’humidité importante. A certains moments, le sol se trouvait ainsi rempli de flaques d’eau et recouvert par endroits d’une « boue » de nitrate de couleur marron foncé. En troisième lieu, une couche résiduelle de produit s’était formée au fil du temps sous le tas (...). L’ensemble de ces éléments constituait à l’évidence un « milieu » défavorable à un stockage du produit en sécurité : risque d’apparition de phénomènes de décomposition de « vieux » nitrate en présence de rouille, d’humidité, de divers réactifs se trouvant dans le sol (soufre, etc...) et éventuellement de polluants provenant des engins de manutention (graisse, huile) ou organiques, dans des zones de micro-confinement ».
Sur ces mêmes conditions de stockage, le rapport de la commission du CHSCT est beaucoup plus succint et réservé. On peut lire à propos de la dalle :
« Les intervenants mentionnent des dégradations (limitées et localisées) à proximité du box d’entrée côté bâtiment principal. Nous avons noté une dalle en bon état sur les 25 mètres restant à l’ouest après l’explosion ».
Quant à l’engin de manutention, il était nickel :
« Un engin neuf (un an) de manutention à godet appelé chouleur était seul habilité pour les entrées et les sorties du stock. Il était antidéflagrant afin d’éviter tout court-circuit et équipé de carters pour éviter les mélanges huile et gazole avec le nitrate. Le godet était doté d’une lame droite sans dents pour ne pas détériorer la dalle ».
Voilà une description plus conforme à ce qu’attend... l’employeur. Tout le rapport est à l’avenant.
En décembre 2003, la commission d’enquête constatait qu’elle n’avait pas été en mesure de trouver la cause originelle, l’allumette de l’explosion du 21 septembre 2001... Les dirigeants de l’entreprise ne pouvaient donc être mis en cause. CQFD.
Par leur comportement, les syndicalistes pilotant la commission d’enquête ont fait figure aux yeux de tous de bouclier à leur patron. Ils ont aidé Total à s’exonérer de ses responsabilités. Le plus grave, ce faisant, c’est qu’ils ont ruiné temporairement l’idée que les travailleurs associés aux habitants pouvaient effectuer un contrôle qui permette de garantir la sécurité aussi bien de ceux qui travaillent dans l’industrie chimique que de ceux qui habitent à proximité de ces usines.
Il est vrai que ces prétendus syndicalistes ne représentent qu’eux-mêmes.
Vincent TIVOLI
Mots-clés : AZF | Catastrophes industrielles