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Le soulèvement au Chili

La croissance économique au cœur de la polarisation sociale, de l’explosion des inégalités

Mis en ligne le 10 décembre 2019 Convergences Monde

L’insertion du Chili au marché mondial, son insularité, en a fait un laboratoire pour les apprentis sorciers de la mondialisation capitaliste. Cette puissance agricole et de matières premières, du charbon, en passant plus tard par le salpêtre, puis le cuivre et aujourd’hui le lithium, en fait un pays riche peuplé de pauvres, une puissance intermédiaire dans la concurrence internationale. Le pays et son modèle économique dit néolibéral a été vanté par tous les gouvernements conservateurs pour ses régressions sociales : droit du travail minimum et retraites privées, avec le désormais système planétaire de fonds de pension. Mais le terme néolibéral est trompeur puisqu’il sous entend une disparition du rôle de l’État au profit des mécanismes purs du marché.

Au xixe siècle

Or le Chili s’est construit autour de l’État bourgeois né immédiatement après l’Indépendance, précédant la formation de la nation chilienne, d’abord comme acteur économique et toujours comme garant d’un compromis de classe favorable à l’oligarchie. Le pays avait expérimenté au début du xixe siècle, sous la présidence de Diego Portales, une modernisation autoritaire par le haut anticipant de quarante ans le modèle allemand de Bismarck. Mais aussi des expériences basées sur la stimulation de la demande, à la fin du xixe et avant la Seconde Guerre mondiale, toujours sous l’autorité de l’État.

Sous l’Unité populaire en 1972

Moins connue, l’expérience de cybernétique économique initiée par l’Unité populaire en 1972, avec programmation informatique, gestion à distance de la demande, organisation de chaînes logistiques. Ces innovations de « gauche » préfigurent ce que deviendront les réseaux sociaux, et les commandes d’achats à distance, les forums de discussion. Il y avait là, venant de la part des réformistes bien entendu, la volonté de minimiser le poids des transporteurs (opposés à l’Unité populaire) mais surtout de réguler par l’État les besoins sociaux des travailleurs sans leur intervention consciente.

Du coup d’État de Pinochet… à 2019

Mais lorsqu’on parle d’économie chilienne, ce sont les expérimentations des économistes de l’école de Chicago et dudit miracle économique qui viennent à l’esprit. Pour réaliser ce programme, il a fallu, avec l’aide de la CIA, un coup d’État en 1973, qui n’est pas à proprement parler un retrait… de l’État. Ce putsch a constitué une restauration dictatoriale de l’ancien ordre social, un renforcement du pouvoir politique central et le pari frénétique de la bourgeoisie chilienne de trouver sa place sur le marché mondial. De la plus brutale des façons, l’État a pu aider la bourgeoisie à discipliner la force de travail en éclatant les droits sociaux et les cadres de défense collective, à réduire le poids social et politique de la classe ouvrière industrielle, à développer les mécanismes financiers d’endettement privé, à moderniser le système bancaire, à privatiser tout ce qui est possible et imaginable. L’eau est privée au Chili, et avec humour on dit encore qu’il est plus facile d’ouvrir une école privée qu’une boucherie, cette dernière nécessitant au moins un certificat vétérinaire.

La crise sociale actuelle n’est pas un symptôme d’un mauvais fonctionnement du capitalisme chilien. Au contraire, il produit croissance des profits, des inégalités en cascade, pillage de la nature, au bénéfice d’une minorité. Et l’État garantit cet ordre social, c’est bien normal puisqu’il s’agit d’un État bourgeois et non d’une institution neutre. Aujourd’hui la Banque centrale du Chili injecte 20 milliards de dollars pour soutenir le peso, et les carabiniers agissent avec fermeté pour assurer cet équilibre. La croissance économique est au cœur de cette polarisation sociale. Entre 1985 et 2017, le PIB par habitant a crû de 3,5 % (à l’exception des années 1999 et 2009), la pauvreté absolue (moins de 5,5 dollars par jour) a reculé, passant de 30 % en 2000 à 6,4 % en 2017, mais le travail précaire représente 40 % de la force de travail. Les inégalités ont explosé en revanche, les 10 % les plus riches gagnent 32 fois plus que les 10 % les plus pauvres et la majeure partie du patrimoine national repose sur quelques familles. Le poète chilien Nicanor Parra (1914-2018) le résumait avec humour, et c’est devenu un adage : « deux personnes ont deux pains, l’une mange les deux et la moyenne fait un pain pour chacune, voilà le Chili ».

La bourgeoisie est si consciente du rôle de l’État qu’elle nous le rappelle avec la répression, mais aussi avec les avantages qu’elle procure à son personnel politique. L’historien chilien marxiste Gabriel Salazar parle d’une véritable classe politique, et non d’élite, depuis la naissance de la République. S’il force un peu le trait, bien des exemples lui donnent plutôt raison : la retraite des présidents chiliens est supérieure à celle des présidents américains, le président du Sénat touche plus que le roi d’Espagne, la retraite des militaires… est publique (l’armée touche presque un dixième des revenus du cuivre pour se financer), et les députés chiliens touchent 24 000 dollars de traitement (contre près de 6 500 en France). Bref, un État bourgeois exemplaire.

T.K.

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