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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 121, septembre-octobre 2018 > DOSSIER : Migrants

L’humanisme selon Macron : la barbarie en actes

9 octobre 2018 Convergences Politique

Dans la nuit de samedi 22 à dimanche 23 septembre, l’Aquarius, dernier bateau affrété par une ONG à procéder à des sauvetages de migrants, transborde 47 passagers d’un bateau en détresse, dont 17 mineurs. Les gardes-côtes libyens intiment l’ordre d’arrêter le sauvetage. Après un face-à-face de plus de deux heures, ils abandonnent à l’aube leur gibier aux humanitaires. L’un d’eux, devinant que cette fragile victoire leur vaudra de nouveaux ennuis, confie à la reporter du Monde qui les accompagne : « tu as de la chance, tu as assisté à la dernière opération de ce navire » [1].

Le sort de ces doubles rescapés, à la fois des flots et des geôles libyennes, a suscité moult tractations chez les dirigeants européens. L’Italie, par la voix de son ministre demi-fasciste de l’Intérieur Salvini, refuse de les accueillir. Macron, lui, prétend agir en “humaniste”. Un humanisme qui a pour « exigence (…) la dignité de la personne », mais refuse de « céder aux bons sentiments faciles ». C’est donc sans doute pour préserver la dignité des rescapés que Macron interdit au bateau qui les a sauvés d’accoster en France. Laisser les navires secourant des migrants se dérouter vers Marseille au lieu d’aller dans le port le plus proche, ce serait, paraît-il, faire le jeu des nationalistes italiens en leur permettant de verrouiller leurs ports ! On croyait – bons sentiments faciles ? – que c’était en laissant des gens mourir en pleine mer que le gouvernement français donnait du crédit à Salvini. Après deux jours de marchandages, Macron décide que la France accueillera 18 migrants présents sur l’Aquarius, les autres étant répartis entre Espagne, Portugal et Allemagne. À en croire ses courtisans, il faudrait applaudir ce nouveau pas dans la « coopération européenne ».

Qui fait le jeu de l’extrême droite ?

Il faudrait s’en tenir à une politique faite de « fermeté et d’humanité » qui aurait le mérite d’empêcher de faire « basculer le pays dans les extrêmes », a répété le président de la République en marge de l’assemblée de l’ONU. « Fermeté »  ? À l’encontre de qui ? Certainement pas à l’encontre des mafias et de l’immense business de la frontière [2]. Et de la montée de quels « extrêmes » ? S’agit-il d’insinuer que ceux qui aident les migrants font le lit des xénophobes ? Les étrangers, avec ou sans papiers, ont été la cible de tous les gouvernements précédents, ceux de Hollande comme ceux de Sarkozy. Pourtant, jamais le business politicien de l’extrême droite n’a été aussi florissant. Copier l’extrême droite, ce n’est pas lutter contre, mais lui préparer le terrain.

La « fermeté » macronienne dissuaderait-elle au moins les velléités de certains de former des milices au crâne rasé pour cogner sur les migrants ? Les fachos du XXIe siècle se laissent pousser la mèche et troquent leurs chemises brunes pour des doudounes avant d’aller parader au col de l’Échelle. Parader, plus que bloquer effectivement des Soudanais et des Érythréens par -10°C dans les Alpes. C’est que le gouvernement envoie aussitôt des flics le faire à leur place. Quant aux frustrés de la milice, autant s’embaucher dans la police et la gendarmerie : celles-ci offrent en ce moment des possibilités rémunérées par l’État de se défouler sur des gens fragiles et vulnérables, avec en prime l’impunité traditionnellement accordée aux forces de l’ordre en cas de « bavure ».

Humanisme, mon œil !

Dans la récente polémique avec Yann Moix, Gérard Collomb a de nouveau prétendu que l’action de ses flics était « exemplaire partout sur le territoire ». Transmis aux bénévoles du Collectif d’aide aux migrants de Ouistreham (Calvados) : vendredi 21 septembre, ils ont constaté que des gendarmes avaient gazé à la lacrymo des migrants, en laissant quatre au sol, dont deux inanimés [3]. Une pratique que les manifestations de l’hiver dernier avaient contribué à faire cesser. Ces manifestations, en Normandie comme ailleurs, n’ont pas miraculeusement mis un terme à la démagogie anti-migrants. Elles n’étaient pas assez puissantes pour cela. Mais elles ont au moins permis de relever le défi posé par Le Pen et consorts. Elles ont conforté tous ceux qui luttent contre l’ignominie des mesures gouvernementales.

C’est peut-être aussi grâce à cela que, par exemple à Caen, prévenus par texto à 23 heures mercredi 26 septembre qu’une famille allait être emmenée par la police deux heures après pour être renvoyée en Italie, et de là presque à coup sûr dans son pays, une vingtaine de soutiens ont accouru et trouvé le moyen d’empêcher cette rafle nocturne. Les policiers n’ont pas insisté, prétendant être juste venus demander si la famille voulait bien partir. Sauf que sans les soutiens, cette famille se serait peut-être laissé embarquer… vers la Libye ! Et ce alors même que les combats ont repris ces derniers jours à Tripoli, que les bandes armées rivales se financent par l’extorsion de fonds aux migrants ou leur réduction en esclavage !

Pendant ce temps, en Méditerranée

Les 47 migrants secourus par l’Aquarius le 23 septembre au matin étaient tous libyens. Ils fuient un pays déchiré par une guerre civile entretenue par les puissances impérialistes rivales, dont la France. Mais ce sont leurs tortionnaires et leurs geôliers qu’on invite à discuter dans des salons feutrés, à qui on remet des milliards d’euros, à qui on sous-traite la garde de la forteresse Europe. C’est à leurs hommes de main que les gardes-côtes italiens doivent désormais remettre les migrants qu’ils sauvent. Pas forcément de gaîté de cœur : le 18 juillet dernier, ils ont vigoureusement applaudi leur chef, l’amiral Pettorino, qui défie Salvini en refusant de réduire les opérations de sauvetage. L’Aquarius, lui, est en train de perdre son pavillon panaméen suite à des pressions de l’Italie. On a connu le Panama moins regardant sur les bateaux qu’il immatricule. L’Aquarius sera sans doute immobilisé de longs mois avant de trouver un nouveau pays pour le parrainer. Le Vatican, sollicité au vu des positions favorables aux migrants prises par le pape, a botté en touche. L’étau se resserre peu à peu sur l’aide aux naufragés…

Entre-temps, la marine marocaine tire sur un bateau en train de franchir le détroit de Gibraltar et tue une jeune femme de 22 ans qui espérait trouver en Europe l’avenir que son pays ne peut ou ne veut pas lui donner. Les flux migratoires s’adaptent au blocage que Salvini veut mettre en place, et se déportent vers l’ouest, là où passaient la plupart des migrants il y a une dizaine d’années. Le Maroc en a déjà refoulé 50 000 cette année. Et il demande à l’Europe de l’argent pour poursuivre le sale boulot. Il aurait tort de se priver, l’humaniste Macron saura bien trouver un terrain d’entente avec le philanthrope Mohamed VI.

Mathieu Parant


[1Julia Pascual, « À bord de l’Aquarius, un accrochage sévère avec les gardes-côtes libyens », 23 septembre 2018. Lire aussi les nombreux autres articles publiés sur le blog associé au Monde, À bord de l’Aquarius.

[2Lire par exemple dans Convergences Révolutionnaires « Chères frontières » (n°90) et « Quand le bâtiment va, tout va... » (n°107).

[3 Laurent Neveu, « Ouistreham. Lacrymo : le Camo s’alarme, la gendarmerie explique », Ouest-France, 21 septembre 2018.

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