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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 12, novembre-décembre 2000 > DOSSIER : La crise de l’école : le mirage de la démocratisation (...)

L’école capitaliste : une école pour tous ?

1er décembre 2000 Convergences Société

« Démocratisation », « massification », « crise de l’école », « échec scolaire », « égalité des chances », « violence à l’école »... ces termes, que l’on retrouve à longueur d’articles, de travaux de chercheurs, de rapports officiels, de discours politiques sont au centre du débat sur l’école. Mais à travers celui-ci, comme à travers les récents mouvements élèves-parents-personnels de l’éducation nationale, une question essentielle est posée « à quoi sert l’école ? », voir « à qui sert l’école ? » : l’« école de la République » est-elle une « école pour tous » ? L’a-t-elle d’ailleurs jamais été ?...

Quelques repères historiques : de l’école J. Ferry à la massification

Aujourd’hui, 85 % des jeunes de 18 ans sont scolarisés, mais cette réalité est très récente.

Le collège du début du siècle, « l’école des notables », n’accueillait que 5% d’enfants d’origine populaire. La quasi-totalité restait dans l’école primaire, « l’école du peuple ». Le fonctionnement de ces deux écoles était profondément différent : pour le peuple, primauté à l’éducation morale, avant même la trilogie « lire-écrire-compter » (Jules Ferry parlant de l’enfant : « façonner son âme et son cerveau pour un but patriotique et national ») ; pour l’élite, c’était le règne du savoir, du programme et de la discipline (maths, lettres, latin...).

Il faudra attendre 1959 pour que la réforme Berthoin, généralisant l’entrée en 6e (mais dont l’application ne sera effective qu’en 1967), ouvre les portes du collège aux classes populaires. En 1959, moins de la moitié d’une classe d’âge entre en 6e, il y en a plus de 95 % en 1972.

Mais si l’immense majorité des enfants accède au collège, tous n’accèdent pas vraiment à l’enseignement secondaire : entre 1/3 et ¼ d’entre eux entre au collège par la porte des classes de transition, des classes pratiques, des cycles allégés, des CPPN (classes préprofessionnelles de niveau)... de quoi relativiser les propos des nostalgiques de l’âge d’or toujours prompts à se lamenter sur la prétendue baisse du niveau !

La massification, une fausse démocratisation de l’école

Ce n’est qu’en 1975, avec la réforme « Haby » que le principe de collège unique, prévoyant la suppression du palier d’orientation en fin de 5e est généralisé. Conséquence de ces réformes, une deuxième explosion scolaire a lieu à la fin des années 80 avec l’arrivée massive de « nouveaux publics » au lycée, c’est-à-dire, les classes populaires : entre 1980 et 1990, les effectifs doublent passant de 850 000 lycéens à plus d’1,5 millions, la possibilité d’accéder au bac passe de 34 % à 60%. Le mouvement continue la décennie suivante : en 1998, à 17 ans, plus de 9 jeunes sur 10 sont scolarisés... ils étaient à peine 1 sur 3 en 1960. Le taux de bacheliers passe de 10 % en 1960 à 60 % en 1998.

Il y a donc bien eu une massification du système éducatif, c’est-à-dire une très forte croissance de ses effectifs. Mais cette entrée massive de toutes les catégories sociales ne signifie pas pour autant une « démocratisation ». La démocratisation suppose non seulement l’accès de tous à l’école, de la maternelle à l’université, mais surtout l’accès de tous aux savoirs contenus dans ces différentes étapes du cursus scolaire, quelque soit l’origine sociale et culturelle des enfants.

Les inégalités se déplacent plus qu’elles ne diminuent

Si les taux d’accès à tous les niveaux d’enseignement ont nettement augmenté pour les générations nées après les années 50 (voir graphique 1), l’ouverture est d’autant plus faible que l’on considère les niveaux élevés du système : parmi les enfants nés en 1940, seuls 35 % entraient en 6e et 20 % en seconde ; 30 ans plus tard, presque la totalité avaient accès à la 6e, mais seulement 42% entraient en 2de. Le pourcentage d’entrées en 6e a donc presque triplé sur la période, tandis que celui de l’accès à la 2de, n’a fait que doubler.

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Ainsi, la « démocratisation » n’est que le résultat mécanique de l’ouverture du collège à tous les enfants du primaire. Mais plus on monte dans le niveau d’enseignement, moins cette démocratisation se vérifie : seul l’accès à la 6e s’est généralisé. La sélectivité n’a fait que se déplacer. Les réformes n’ont abouti qu’à une translation des inégalités du fait de l’ouverture de l’enseignement secondaire.

Une massification ségrégative

Dans ce contexte général, les inégalités sociales ont-elles été réduites ?

Le nombre d’enfants d’ouvriers accédant à tous les niveaux d’enseignement a augmenté au cours de cette massification (tableau 1) : 33,9 % d’enfants d’ouvriers nés entre 1949 et 1953 avaient accès à la 6e. Ce taux passe à 93,2 % pour les générations nées entre 1964 et 1973. Même constatation pour l’obtention du bac : 8,8 % d’enfants d’ouvriers nés entre 1949 et 1953 étaient bacheliers, ils étaient 24,3 % dans la génération née entre 1964 et 1973.Les ouvriers ont donc davantage accès aux différents niveaux d’enseignement.

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Tableau 1 : Taux d’accès à différents niveaux de scolarisation

source : M.Duru-Bellat, A. Kieffer, population, 55 (1), 2000, 51-80.

Mais si on compare les chances d’accès aux différents niveaux de scolarisation des enfants d’ouvriers à celles des enfants de cadres, on s’aperçoit non seulement que les inégalités d’accès sont non seulement très importantes mais qu’elles progressent avec l’élévation du niveau observé. Si, au niveau de la sixième, les inégalités d’accès sont de moins en moins marquées entre enfants de cadres et d’ouvriers, celles-ci s’aggravent nettement lorsqu’il s’agit de l’accès aux classes supérieures : un enfant de cadre nés en 1949 avait 40,1 % de plus de chance d’accéder en seconde qu’un enfant d’ouvrier alors que 24 ans plus tard, cet écart passe à 58,1 %. Même constatation pour l’obtention du bac : l’écart de taux d’obtention du bac entre les enfants d’ouvriers et de cadres passe de 38,5 % à 52 %.

Ainsi, parmi les générations entrées en 6e au cours de la période de massification, les inégalités selon l’origine sociale n’ont cessé d’augmenter.

Le rôle spécifique de l’origine sociale dans la reproduction des inégalités est encore plus net lorsque l’on adopte un raisonnement « à réussite scolaire égale » (tableau 2) : les chances des enfants de cadres supérieurs qui sont faibles restent plus élevées que celles des enfants d’ouvriers les plus brillants.

Valeur scolaire au CP Faible moyenne forte
Cadre supérieur 63 81 91
Profession intermédiaire 33 54 74
Ouvrier 16 31 52

Tableau 2 : Probabilité d’accès (%) au second cycle long d’après la valeur scolaire au CP et l’origine sociale.

Prolétarisation des filières de relégation

Ces chiffres ne tiennent pas compte de la persistance de filières dans l’éducation nationale, en dépit des déclarations de principe contenues dans la réforme Haby. Si les enfants d’ouvriers ont bénéficié sans conteste de l’ouverture de la 6e, ils ont été les premiers à être concernés par le développement de l’orientation en fin de 5e et de 3e avant 1975 et aujourd’hui sont massivement concentrés dans les filières « populaires ». Réciproquement, si les enfants de cadres ont perdu progressivement leur avantage quant à l’entrée dans le secondaire, ils continuent à y réaliser des scolarités plus longues.

Ainsi, 68 % des élèves de quatrième d’aide et de soutien (4e AES) d’aujourd’hui sont des enfants de chômeurs et inactifs, seulement 3 % d’entre eux sont enfants de cadres et enseignants. Ce chiffre monte respectivement à 71 % et 2 % en troisième d’insertion sachant qu’à l’issue de la troisième d’insertion 18 % seulement des élèves obtiennent une orientation en BEP, 17 % en CAP et 39 % de ces élèves quittent le système éducatif sans qualification (Graphiques 2 et 3. chiffres 97/98).

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La création des bacs professionnels a largement contribué à la ségrégation sociale croissante des publics des classes terminales. Certes, l’existence des filières professionnelles a incité davantage d’élèves d’origine populaire a poursuivre une scolarité au delà du BEP. Mais le suivi d’une formation professionnelle longue étant, notamment en raison des biais d’orientation en fin de troisième, davantage le fait des enfants d’origine modeste, la ségrégation sociale des élèves scolarisés dans les différentes classes terminales a été accentuée.

Au niveau des classes terminales, on constate une spécialisation sociale des séries. Si l’on compare le recrutement des terminales scientifiques et technologiques sur la période 1985-1995, on constate dans les premières une diversification sociale très modérée, tandis que les secondes se prolétarisent sensiblement (voir tableau 3). La surreprésentation des enfants d’origine populaire dans les terminales science et technologie du tertiaire (STT, ex G) s’accroît entre 1985 et 1995. Si l’on considère les seuls enfants de cadre, leur part en classe scientifique passe de 29,2 % en 1994-1995 à 34,5 % en 1999-2000 (+5,3 points !) : l’embourgeoisement des filières d’élite est manifeste.

De la même façon, les écarts de composition sociale entre la terminale scientifique et les BEP se creusent : la part des milieux moyens et supérieurs dans les terminales scientifiques est 2,3 fois plus élevée que celle observable dans les BEP en 1995, alors que ce rapport n’était que de 1,8 en 1985.

Les finalités du système éducatif apparaissent de façon claire. Il doit tendre vers l’élévation générale du niveau de scolarisation tout en poursuivant un rôle qu’il n’a jamais cessé d’exercer : un véritable tri social.

L’« échec scolaire »

Depuis quelques années, l’« échec scolaire » est devenu un sujet de préoccupation central : celui-ci ne cesserait d’augmenter, l’école serait une machine à produire de l’ « échec scolaire », sous-entendu, ce qu’elle n’était pas dans le passé. Or, la découverte de « l’échec scolaire » est avant tout un phénomène découlant de la massification : celui-ci a toujours existé, mais l’entrée en 6e n’étant à la portée que d’une élite restreinte dans le passé, ceux qui n’y avaient pas accès n’étaient pas considérés en « échec », puisqu’ils étaient hors du système.

L’école de Jules Ferry des années trente n’a produit que 50 % de titulaires du certificat d’études (diplôme délivré à la fin de la primaire). En 1959, 25 % des élèves redoublaient en CP, 60 % des CM2 sont en retard, 10 % obtenaient le bac et 60 % des adultes de plus de 20 ans n’avaient aucun diplôme... personne ne parlait alors d’« échec scolaire » ! Ce n’est qu’au début des années 80 que l’on s’inquiète du décalage entre la durée officielle du cursus élémentaire (5 ans) et sa durée réelle (6 à 7 ans). Le caractère massif et socialement marqué des échecs est relevé : ¾ des enfants de cadres supérieurs sont « à l’heure » en 6e contre 1/3 des enfants d’ouvriers.

L’« échec scolaire » n’est donc devenu un « problème » social et national qu’à partir du moment où la scolarité au delà du primaire est devenu la norme. La préoccupation et la peur de l’échec croissent en même temps que l’exigence de réussite. D’où le paradoxe, plus le niveau monte, plus l’« échec scolaire » monte...

Avec la montée du chômage et de l’exclusion, la notion d’ « échec scolaire » s’étend à toutes les filières et structures d’enseignement qui ne garantissent plus l’insertion sociale et professionnelle. L’école est tenue responsable des phénomènes d’exclusion et de chômage massif, et non le système capitaliste dans lequel elle est insérée. Quoique qu’en disent les réformistes, on ne pourra pas changer l’école sans changer la société qui l’a produite... et faire croire le contraire c’est participer à la « violence de l’école », elle même en partie responsable de la « violence à l’école ».

Le Marché de l’école : un marché « porteur »

On demande au système éducatif de jouer son rôle contre le chômage des jeunes en leur inculquant les comportements adéquats qui les prépareraient à l’« insertion » et à l’« employabilité ». Pour régler le problème, l’enseignement doit répondre et surtout s’adapter aux besoins de l’économie.

Le rapport Reiffer, issu d’un groupe de réflexion sur l’éducation et la formation de la commission européenne en 1997, l’explique de façon très claire : « les systèmes d’éducation ne sont pas assez conscients des contraintes de compétitivité » et de conclure « la demande réelle à laquelle est confronté le système éducatif est donc de jouer un rôle de filtre pour hiérarchiser les talents ». L’issue de la crise de l’école ne fait pas de doute : il s’agit de renoncer au rêve de l’« école pour tous » au profit d’une saine prise en compte des réalités. L’école ne peut traiter de manière « égale » des élèves « différents ». Comme partout dans la société de marché, la concurrence doit devenir le moteur d’une nécessaire « émulation » capitaliste. Dans cette perspective, la fonction de l’Ecole comme dispensatrice de connaissances serait réduite au minimum : un filet de sécurité (assuré par l’Etat car non rentable) serait disposé pour les populations supposées inaptes aux apprentissages abstraits (majoritairement les classes populaires), les autres seraient pris en charge par le « marché de l’école », via internet et les formations professionnelles privées. C’est le sens précis du slogan sur « l’égalité des chances » : l’école n’est pas là pour donner à chacune et chacun les moyens de s’épanouir au sein d’une société sans exploitation mais comme un instrument de sélection et de formatage en fonction de besoins fluctuants au rythme des différentes étapes de développement de la société capitaliste.

Le compromis scolaire qui a abouti à la massification de ces dernière années atteint aujourd’hui ses limites : il était basé d’un coté sur la volonté du patronat, de la bourgeoisie de manière générale, de disposer d’une main d’œuvre relativement qualifiée. Et de l’autre coté sur une véritable demande populaire en faveur du droit à l’éducation qui ne s’est jamais démentie jusqu’à maintenant. Or de plus en plus de voix s’élèvent pour dire qu’une économie « moderne », « globalisée », n’a plus besoin massivement d’un long temps de formation de l’ensemble de la population. La demande sur le marché du travail apparaît segmentée, certains niveaux de qualification étant en trop faible nombre, mais d’autre en surnombre. Pour la première fois, dans le discours officiel, le débat ne porte plus sur les rythmes et les conditions de la massification (confié aux organisations syndicales réformistes), mais sur l’utilité du processus lui-même. L’intrusion et l’implication massives des élèves d’origine modeste et de leurs parents dans les mouvements récents de l’éducation nationale ont pourtant montré le refus des milieux populaires et des salariés de s’adapter aux exigences de la société capitaliste et leur volonté de se battre pour une véritable école pour tous qui ne soit ni l’école de Jules Ferry, ni celle du marché... A suivre !

Lupita QUETZAL


La ghetthoïsation en marche

Pour se rendre compte de l’ampleur de la reproduction (et de la production) des inégalités sociales dans le système scolaire, il faudrait également étudier les profondes disparités qui existent entre établissements : le phénomène de « ghettoïsation » croissant est favorisé à la fois par la course au bons établissements aux dépends des familles les plus modestes qui ne peuvent ni déménager, ni obtenir de dérogation, mais aussi par la mise en concurrence des établissements pour l’obtention de moyens supplémentaires et le manque de stabilité des équipes enseignantes dans les établissements les plus défavorisés (conséquence, entre autres, du développement de la précarité des personnels). Enfin, une analyse complète des inégalités au sein de l’école montrerait que les inégalités sociales se doublent de ségrégations tout aussi révoltantes dont sont victimes les enfants d’immigrés et les filles.

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