Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Les articles du site

L’Autorité palestinienne : un État fantôme, une dictature bien réelle

8 juillet 2021 Article Monde

(Carte : Cisjordanie et bande de Gaza. En clair, la zone C (62 %) sous contrôle israélien exclusif, interdite d’accès à 70% aux Palestiniens. En rouge, les zones A et B.)

En Cisjordanie occupée les manifestations se multiplient contre l’Autorité palestinienne (AP) et son Président, Mahmoud Abbas. Le rejet qu’il suscite tant auprès des Palestiniens de Cisjordanie que parmi ceux de Jérusalem-Est ou de la bande de Gaza n’est pas nouveau. Il y a maintenant des années qu’Abbas et ses proches sont accusés de s’en mettre pleins les poches [1] avec l’argent provenant de l’aide internationale, de ne tolérer aucune opposition et de faire mettre en prison – voire assassiner – ceux qui osent défier leur autorité. C’est d’ailleurs la mort de l’un d’entre eux, Nizar Banat, qui a provoqué la dernière vague de protestations.

Un parlement croupion

L’Autorité palestinienne a été créée à l’initiative de Yasser Arafat et de son parti, le Fatah [2], dans le cadre des accords d’Oslo signés avec Israël en 1993. Il faut rappeler que lors de sa naissance, en 1959, le Fatah était considéré par beaucoup de militants d’extrême gauche comme une organisation révolutionnaire tiers-mondiste capable non seulement de s’opposer à l’occupant sioniste mais aussi aux régimes arabes les plus réactionnaires comme ceux de Jordanie, d’Arabie Saoudite ou des pays du Golfe. Mais, en quelques décennies, cette image « révolutionnaire » a été écornée puis s’est complètement estompée. Aujourd’hui, par le biais de l’AP, il collabore non seulement avec l’ensemble des régimes arabes mais aussi avec Israël.

Mais revenons à l’AP qui est censée préfigurer le noyau du futur État palestinien (elle prend d’ailleurs parfois le titre d’État de Palestine). Sur le papier, elle est constituée d’un conseil législatif fort de 132 députés, la moitié de ceux-ci élus dans 66 circonscriptions et les autres à la proportionnelle. En outre elle est dirigée par un Président, élu au suffrage universel, qui nomme le Premier ministre parmi les députés du parti ayant obtenu le plus de sièges. Bref une démocratie parlementaire bourgeoise classique.

Mais, dans la pratique, le processus législatif n’a jamais été suivi bien longtemps. Les dissensions au sein du Fatah, les affrontements armés entre ce dernier et son grand rival, le Hamas, les diverses manœuvres et provocations israéliennes pour jeter de l’huile sur le feu entre les fractions palestiniennes, ont fait qu’on se retrouve aujourd’hui avec un Président dont le mandat a expiré depuis 2009 et qui est toujours en poste, et des députés qui n’ont pas été renouvelés depuis 2006. Bref les élections sont depuis longtemps oubliées.

Comme le disait un manifestant qui dénonçait, à Ramallah, le nouveau report des élections qui avaient été prévues en mai dernier : « Comme jeunes Palestiniens, nous sommes une génération entière à ne pas savoir ce que signifient des élections (…). Cette nouvelle génération a le droit de choisir ses leaders et de faire partie du processus de décision ».

Dans ce contexte Mahmoud Abbas et ses proches ont concentré peu à peu tous les pouvoirs entre leurs mains en généralisant corruption, affairisme et pots de vin à tous les étages. Et c’est de cela que la population ne veut plus.

Un territoire peau de chagrin, des forces de sécurité surdimensionnées

Mais sur quel territoire règne réellement l’Autorité palestinienne ? Selon les accords d’Oslo les territoires occupés par Israël de Cisjordanie et de Gaza ont été divisés en trois zones :

1°) la zone A qui représente 18 % du territoire dont les villes principales, à l’exception de Jérusalem Est, est sous contrôle total de l’AP.

2°) la zone B (20 % du territoire) est sous contrôle civil palestinien mais sous contrôle militaire israélien.

3°) la zone C (62 %) est entièrement sous contrôle civil et militaire israélien ainsi que les colonies de peuplement, « légales » ou « sauvages ».

Toutes ces zones confondues s’étendent sur un total d’un peu plus de 6 000 km2 (c’est à dire la moitié de la superficie de la région Île-de-France), pour une population d’environ 5 millions d’habitants. Bref l’AP contrôle un mouchoir de poche et dépend essentiellement de la bonne volonté israélienne pour survivre.

La collaboration sécuritaire

La « coopération » entre forces de sécurité israélienne et palestinienne a été mise en place avec les Accords d’Oslo. Officiellement, elle permet la collaboration entre l’armée israélienne et l’AP concernant la circulation des personnes et des biens ainsi que l’échange d’informations liées à la sécurité.

Dans la réalité, tout cela fonctionne à sens unique et les forces de sécurité palestiniennes agissent comme des supplétifs de l’appareil militaro-policier israélien. L’AP informe Israël de la présence éventuelle d’éléments qu’elle estime à tort ou à raison « hostiles » et lorsque ces derniers pénètrent dans des zones sous contrôle israélien, ils sont immédiatement arrêtés. On a même vu des militants palestiniens sortir des prisons de l’AP le matin pour être interpellés quelques heures plus tard par les soldats israéliens. Dans l’autre sens, les policiers palestiniens doivent demander l’autorisation à leurs collègues israéliens s’ils veulent intervenir hors de leur zone, le plus souvent pour régler des litiges de voisinage ou de droit commun.

Des forces de sécurité pléthoriques

Bien qu’il soit difficile d’obtenir des chiffres précis et incontestables, on estime qu’à l’heure actuelle les forces de sécurité que contrôle l’AP (une police « ordinaire » ainsi que sept autres pôles de sécurité différents) sont fortes d’un peu moins de 50 000 hommes. Elles se décomposent en 30 000 hommes de la sécurité nationale (police navale, police des frontières, renseignement militaire, la police de l’aviation civile et les officiers de liaison avec Israël), 7 000 de la police palestinienne, 5 000 de la Sécurité préventive, 3 000 de la Garde présidentielle, et 2 000 des services de renseignements. Et ces chiffres n’incluent pas les 6 000 hommes de la Force exécutive fidèles au Hamas dans la bande de Gaza. Si l’on se rappelle que la ville principale et le cœur économique de la Cisjordanie, Ramallah, compte environ 36 000 habitants, on se rend compte du poids social que représentent les forces de sécurité. Elles constituent environ 30 % des 160 000 personnes employées comme fonctionnaires (par comparaison, en France, ce chiffre est de 8,5 %). De plus ces fonctionnaires – qui dépendent du nombre pléthorique de 24 ministères – feraient vivre, directement ou indirectement, près du tiers de la population palestinienne.

En fait ces forces ont été constituées à l’origine, et le sont toujours dans une large mesure, de militants du Fatah qui y ont trouvé un emploi stable dans un pays qui souffre d’un chômage chronique évalué à 25 % de la population active. D’où leur fidélité à toute épreuve à Abbas qui leur assure leur gagne-pain quotidien. Ces unités armées, qui n’ont jamais affronté aucun ennemi extérieur, sont tout entières utilisées à combattre l’« ennemi intérieur », c’est-à-dire principalement les militants du Hamas et tous ceux qui s’opposent à Abbas, d’une façon ou d’une autre.

Un budget dépendant de l’aide internationale, une structure sous perfusion

Bon an, mal an, le budget de l’AP s’établit autour de 2 milliards d’euros. Il est établi par le bureau d’Abbas par lequel transitent, plus ou moins sans contrôle, toutes les sommes récoltées. La part du lion revient aux fonctionnaires et aux forces de sécurité et le reste se repartit entre l’Éducation, la Santé, les Affaires sociales, l’Emploi, l’Agriculture, le Commerce et l’Industrie, le Tourisme, etc.

Il est financé à près de 50 % par l’aide internationale, les principaux donateurs étant l’Union européenne, les États-Unis, les pays arabes, la Norvège, l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon. Le reste est financé en partie par des impôts locaux (20 %) qui ne sont payés que par une petite partie de la population, 60 % vivant de l’économie informelle. Et la pandémie n’a fait qu’aggraver les choses. Quant aux 30 % restants, ils proviennent des droits de douane et taxes diverses prélevés aux frontières et qui sont soumis à la bonne volonté de l’occupant. En effet Israël contrôlant toutes les frontières de la Cisjordanie, c’est elle qui collecte ces droits de douane et autres taxes et les reverse ensuite mensuellement à l’AP. Mais il suffit qu’un différend oppose l’AP à l’État sioniste pour que ce dernier décide de ne pas reverser immédiatement ces montants mensuels, qui sont de l’ordre de 50 millions d’euros. L’AP est aussitôt en difficulté financière, incapable de payer ses fonctionnaires et doit donc faire appel à des prêteurs (dont le FMI et la Banque mondiale) ou à de généreux donateurs pour boucler ses fins de mois. Et cela arrive parfois plusieurs fois par an.

Contrôlant un territoire minuscule, dépendant de la bonne volonté d’Israël et de l’aide financière de la communauté internationale, l’AP serait incapable de survivre avec ses seules ressources. Et si les puissances impérialistes, Israël et les pays arabes la maintiennent en vie sous perfusion, c’est qu’ils craignent tous les flambées contestataires qui pourraient survenir si elle s’effondrait. Son existence dépend donc surtout de cette aide extérieure, pas de la confiance que lui accordent les Palestiniens.

Et le Hamas ?

Quant au Hamas, organisation créée en 1987 et liée aux Frères musulmans, il a été favorisé à l’origine par Israël qui rêvait d’en faire un contrepoids qui enrayerait les progrès du Fatah. Mais il n’a pas tardé à échapper au contrôle israélien pour mener ses propres attaques contre des civils et des militaires en Israël même.

En janvier 2006, le Hamas avait remporté les élections législatives palestiniennes. Il obtenait 56 % des suffrages, ce qui lui donnait une majorité parlementaire de 74 sièges sur 132 à l’AP. Le Hamas détrônait ainsi le Fatah. Ismaïl Haniyeh, son dirigeant, était désigné par Abbas pour former un nouveau cabinet de l’Autorité palestinienne. Mais les frictions avec le Fatah se multipliaient et en juin 2007 les forces de sécurité du Hamas prenaient par la force possession de la bande de Gaza, qu’il contrôle toujours, arrêtant ou abattant au passage les militants du Fatah qui s’y trouvaient.

À Gaza la gouvernance du Hamas est à peu près aussi « démocratique » que celle du Fatah en Cisjordanie, avec, en plus, un fanatisme et un rigorisme religieux qui lui sont propres.

Si son radicalisme militaire lui a redonné une nouvelle popularité au sein de la population palestinienne, il ne peut offrir à cette dernière que le sang, les larmes et le voile islamique. Et si demain une réconciliation s’effectue entre le Hamas et le Fatah, on peut être sûr qu’elle se fera sur le dos du peuple palestinien.

En fait la véritable vie démocratique en Palestine se trouve dans la multitude de comités et d’organisations de villages et de quartiers, dans les organisations étudiantes et de femmes, dans les diverses ONG palestiniennes. Et les mobilisations palestiniennes qui se sont déroulées ces derniers mois – en Israël comme dans les territoires occupés – ont pris de court tant le Fatah que le Hamas, même si ce dernier a réussi à prendre le train en marche en pilonnant le territoire israélien à l’aide de ses missiles artisanaux. Ces mobilisations ont joué un rôle moteur dans la réaffirmation de la solidarité palestinienne au-delà des divisions administratives et des frontières. Et c’est peut-être d’elles qu’émergeront demain des dirigeants palestiniens capables de réaliser les aspirations sociales et nationales de leur peuple, au-delà même des territoires occupés, avec de nouvelles perspectives révolutionnaires avec les exploités israéliens, arabes et juifs.

J.L.


[1Par exemple Mahmoud Abbas s’est fait construire une maison pour 32 millions de dollars et a acheté un jet privé qui aurait coûté près de 50 millions de dollars alors que ses deux fils, Yasser et Tarek, ont été mêlés à des affaires louches et à des trafics divers.

[2Nous ne parlons pas ici de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), fondée en 1964, qui regroupait, outre le Fatah, le Front populaire de Libération de la Palestine, le Front démocratique de Libération de la Palestine et d’autres organisations. Mais les conflits entre les différentes fractions palestiniennes font qu’aujourd’hui ce n’est plus qu’une coquille vide.

Lire aussi :

Mots-clés : |

Imprimer Imprimer cet article