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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 121, septembre-octobre 2018 > Livres

Il est à toi ce beau pays

de Jennifer Richard

9 octobre 2018 Convergences Culture

Il est à toi ce beau pays

de Jennifer Richard

Albin Michel, 724 p, avril 2018.


« C’est l’histoire d’un Belge, d’un Français, d’un Anglais et d’un Allemand. Ils sont assis à une table, au Congo, en train de délimiter les frontières de l’Afrique. Ils n’arrivent pas à se mettre d’accord. À un moment, un Congolais débarque, tout noir, tout nu, et leur dit comme ça : ‘J’peux vous aider ?’ Alors les gars se retournent et lui répondent : ‘Dis donc, toi ! De quoi j’me mêle ?’ »

Cette boutade revient trois fois dans le livre de Jennifer Richard, Il est à toi ce beau pays. Tout le cynisme de l’époque coloniale, qui est au centre de ce roman, se concentre dans ces mots que Léopold II, roi des Belges à la fin du XIXe siècle, hilare, prononce à satiété à ses convives.

Dans cette grande fresque historique, l’auteure a une ambition : traduire l’état d’esprit d’une époque, celle du stade suprême du capitalisme, celle où la politique des grandes puissances industrielles – la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et les États-Unis en tête – se résumait à l’accaparement sauvage de nouveaux territoires, de nouveaux marchés et d’une nouvelle force de travail.

Pour ce faire, Il est à toi ce beau pays joue sur l’équilibre permanent entre la destinée individuelle des hommes de cette époque et les mécanismes sociaux et économiques inhérents au développement historique. La construction des deux Congo – les actuelles République démocratique du Congo et République du Congo – en est le décor ; Pygmées, explorateurs idéalistes, missionnaires, industriels, rois et ministres, militants américains pour les droits civiques en sont les acteurs, et chacun d’entre eux, prend part, à sa manière, à « l’aventure coloniale ». Si les premiers subissent les changements d’un monde qui se mondialise, les suivants ouvrent des routes dans la jungle pour « apporter la civilisation » et prétendument lutter contre l’esclavagisme des Arabes de Zanzibar. Ces derniers ne se retournent pas sur le sentier pavé de morts qu’ils laissent derrière eux.

Le roman s’ouvre en 1916, avec la fin de vie d’Otta Benga, pygmée arraché de sa terre natale qui est devenu depuis peu le Congo belge. Ce premier chapitre permet à l’auteure d’introduire un roman parabole en cherchant une explication à la mort de cet homme aux États-Unis, si loin du lieu où il a grandi, la forêt d’Ituri (actuelle République démocratique du Congo). Alors on repart en 1873, à la mort de David Livingstone, l’infatigable explorateur du cœur de l’Afrique centrale. Entre ces deux dates, l’horreur coloniale et ses dizaines de millions de morts voient ses protagonistes participer à une marche du monde qui paraît inéluctable.

Pourtant, dans les forêts encore largement mystérieuses d’Afrique, dans les États sudistes des États-Unis, où les Civil Rights Act de 1875 sont vite balayés, et dans une Europe industrieuse où des hommes et femmes éclairés commencent à définir l’exploitation des hommes au-delà des supposées races et frontières, se lèvent déjà des générations qui lutteront contre l’oppression coloniale et le système économique qui l’a engendrée : le capitalisme.

Pas de misérabilisme ni attente de rédemption de quiconque dans l’ouvrage de Jennifer Richard. Restent seulement les faits historiques, l’importance et l’insignifiance qui définissent les actions des hommes, et des clés pour comprendre ce qu’a représenté la colonisation de l’Afrique et ses conséquences contemporaines.

Elias Baragan

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