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Guerre de Tchétchénie : les larmes de crocodiles des dirigeants occidentaux

26 novembre 1999

La sale guerre continue en Tchétchénie. L’armée russe pilonne villes et villages pour contraindre les combattants tchétchènes à se replier, mais aussi pour écraser et démoraliser la population civile. Grozny, encerclée à 80 %, bombardée intensivement, est privée d’électricité et bientôt de vivres et de médicaments. 250 000 personnes se sont déjà réfugiées, dans des conditions lamentables, en Ingouchie voisine.

Le sommet de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (l’OSCE), qui réunissait la semaine dernière à Istanbul, Clinton, Chirac, Schröder, Eltsine, et bien d’autres chefs d’Etat ou de gouvernement, ne pouvait pas ne pas en parler. Cela a tourné à la farce.

Les dirigeants occidentaux ont fait part de leurs... « inquiétudes ». Eltsine leur a concédé qu’il était « légitime » que les Etats membres « se préoccupent » de ce qui se passait à l’intérieur des frontières d’un autre Etat. Et la Russie a accepté le « principe » d’une visite du président de l’OSCE en Tchétchénie. Après quoi les grands de ce monde avaient bien mérité de se reposer et de signer ensemble un nouveau traité de limitation des armements conventionnels selon des plafonds territoriaux (allégrement crevés dans le Caucase, comme on s’en doute bien) et une sorte de manuel de non-violence pour les Etats, surnommé « Charte de Sécurité pour le XXIe siècle ».

Bref, pour les grands de ce monde le massacre des Tchétchènes reste une affaire intérieure. Chacun peut bien avoir son peuple à bombarder, et l’armée russe ses Tchétchènes, comme l’OTAN a eu ses Kosovars et ses Yougoslaves ou comme l’hôte de ce sommet de coopération des massacreurs, le gouvernement turc, a ses Kurdes.

Mais l’hypocrisie ne s’arrête pas là. Derrière cette guerre, il y a tous les petits calculs et les gros intérêts des grandes puissances.

Clinton a parlé de « son ami Eltsine ». Mais en plein sommet de l’OSCE, il a tenu son propre petit sommet derrière le dos de la Russie, en réunissant avec le président de la Turquie ceux de l’Azerbaïdjan, de la Géorgie et du Kazakhstan. Ils y ont signé un accord pour un nouvel oléoduc qui transportera de Bakou jusqu’au terminal pétrolier turc de Ceyhan des hydrocarbures d’Asie Centrale et de la Caspienne. Un oléoduc sous-marin traversera en outre la Caspienne pour écouler le gaz turkmène vers les marchés occidentaux. L’objectif entre autres est d’éviter le passage par le territoire russe. Le trust BP Amoco domine le consortium qui exploite ces gisements. Clinton s’est félicité : « Ces oléoducs sont une police d’assurance pour garantir que les ressources énergétiques passent par des voies multiples, et non par un seul goulet étroit. ».

Quant à l’Arabie Saoudite, elle finance largement les groupes islamistes armés du Caucase, sans que les Etats-Unis, évidemment, ne fassent la moindre pression sur leur allié saoudien pour mettre fin à ces financements.

Pendant ce temps, le gouvernement russe se bat, lui, pour sauver ses propres passages d’hydrocarbures : l’oléoduc russe va de Bakou au port de Novorossisk, via Grozny. Suite à des attaques contre ce pipe-line stratégique, les Russes l’ont fermé au printemps 99, pour faire provisoirement transiter le brut par trains et camions à travers le Daghestan. Mais les raids des chefs de guerre islamistes comme Bassaïev, à l’été 99, ont menacé à son tour ce transit.

Ces rivalités donnent à l’actuelle guerre en Tchétchénie une forte odeur de pétrole.

Pour son opinion publique, le gouvernement russe prétend ne combattre là que les mafias tchétchènes et le terrorisme international. Sans l’ombre d’une preuve, les « terroristes tchétchènes » ont été désignés comme responsables de la série d’attentats à la bombe qui ont fait des centaines de morts à Moscou et Volgodansk. Une grande campagne raciste contre les tchétchènes ou les Caucasiens en général s’est déchaînée, les assimilant à des mafieux et à des bandits. Dans les grandes villes du pays des milliers de caucasiens ont subi les rafles et les expulsions. Mais si on ne sait pas qui a posé les bombes, et l’hypothèse d’un coup tordu des services secrets russes n’est pas à écarter, on sait au moins à qui profite le crime : Eltsine et sa clique, menacés de perdre les élections législatives de décembre 1999 et les présidentielles de juin 2000 où Eltsine a lancé dans la course son nouveau Premier ministre, ancien colonel du KGB, Poutine. Les sondages (certainement sujets à caution !) montreraient une percée, avec la guerre, des scores de Poutine dans les intentions de vote. Le clan Eltsine tente de s’ouvrir la route de la présidence à coups de bombes.

La population de Tchétchénie est victime à la fois des ambitions des chefs de guerre nationalistes ou islamistes qui prétendent la diriger, des combines politiciennes des dirigeants russes, des rivalités internationales et des calculs des puissances impérialistes. La paix au Caucase comme le droit de ses peuples à se déterminer eux-mêmes pèsent bien peu face à ce terrorisme des grandes puissances.

B. R.

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