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Élections en Algérie : abstention record, une nouvelle claque pour le régime

(Correspondance d’un camarade d’Algérie)

23 juin 2021 Article Monde

(Photo : « Une » du quotidien El Watan au lendemain du scrutin)

Les résultats des législatives de ce 12 juin sont limpides : plus de 76 % d’électeurs ont tourné le dos aux urnes après une campagne électorale qui s’est déroulée dans l’indifférence totale. La prolifération des « listes indépendantes » et la participation des trois partis d’obédience islamiste, en l’occurrence le MSP, El Binaa, El Adala [1] aux côtés des partis traditionnels du pouvoir (FLN, RND [2]), censés mobiliser leurs électeurs et faire grimper le taux de participation, n’ont pas eu l’effet escompté.

Depuis son intronisation comme président de la République, Abdelmadjid Tebboune accumule revers et échecs : mal élu, en décembre 2019, lors d’un scrutin imposé par le général Gaïd Salah au terme d’un an de Hirak dont les manifestations commençaient à s’essouffler, son référendum constitutionnel de novembre 2020 puis maintenant ses législatives ont été boudés par l’écrasante majorité des électeurs.

Rien de nouveau sous le soleil politicien

Sur les 407 sièges convoités, c’est le parti traditionnel du pouvoir, le FLN, qui arrive en tête avec 98 sièges, talonné par les « indépendants », un ramassis de carriéristes individuels dont 84 ont trouvé un siège et le MSP avec 65 sièges. À noter à propos de ces « indépendants » qui étaient censés rénover la politique algérienne, que c’est le régime lui-même qui en a suscité les « votations » puisqu’il a inventé d’offrir une prime de 300 000 dinars (quelque 1 800 euros) a tout jeune loup indépendant qui se lancerait en politique, pour couvrir les premiers frais de sa campagne.

Sur les cinq millions six cent mille électeurs qui sont allés aux urnes, il y a plus d’un million de bulletins nuls, tandis que le FLN, sorti « vainqueur », n’a eu les suffrages que d’un million deux cents mille électeurs sur plus de vingt quatre millions que constitue le corps électoral en Algérie. Disposant d’un électorat fidèle, votant régulièrement pour lui, le FLN a cette fois-ci enregistré des défections au sein même de ce réservoir électoral et n’arrive pas à s’attirer une clientèle en maniant promesses et privilèges.

Quant aux partis islamistes, tous réunis, ils n’ont qu’une petite centaine de sièges et ne peuvent constituer une majorité parlementaire. Une véritable démonstration de… faiblesse de ceux qui espéraient glaner les fruits du mécontentement.

Pourtant ces partis avaient mis beaucoup d’eau dans leur vin lors de cette campagne, évitant les thématiques trop marquées idéologiquement. Le dirigeant du parti El Bina, Abdelkader Ben Grina a même osé affirmer dans une émission télévisée que le hijab (voile) relève de la tradition. Autrement dit, le texte coranique n’impose pas le voile aux croyantes. À cela s’ajoutent ses autres déclarations loufoques sur la silhouette de sa femme ou son appel à l’entreprise pharmaceutique Saidal l’exhortant à importer du viagra politique capable de faire grimper le taux de participation afin de résoudre le problème de l’abstention.

Pour rappel, ce personnage a été désigné par l’armée dans le contexte de la guerre civile des années 1990 comme membre du Conseil national de transition puis comme ministre du Tourisme et de l’Artisanat sous la casquette de son ancien parti MSP. Ce même parti qu’il a quitté depuis, affilié aux Frères musulmans, a scellé une alliance avec Bouteflika et a intégré sa fameuse alliance présidentielle, siégé dans ses différents gouvernements entre 2004 et 2011 dont la seule mission était l’application du programme de Bouteflika. Une participation dont MSP n’est pas sorti indemne : perte de crédibilité auprès des citoyens, scissions nombreuses qui ont causé une saignée dans ses rangs.

Dessin de Dilem dans le journal algérien Liberté (l’APN est le parlement algérien)

Des désaveux du pouvoir aux perspectives pour changer les choses, un long chemin à parcourir

Cependant, si l’échec de ce scrutin voulu par le régime dans l’optique de reconstruire l’édifice institutionnel et sa façade politique ébranlés par le Hirak est patent, il n’en demeure pas moins que les nombreux abstentionnistes qui ont montré leur désaveu du régime n’ont pas de perspective politique de changement à la hauteur de leurs aspirations. Cette abstention record sur le plan électoral se double d’un certain attentisme sur le plan politique. Ces abstentionnistes ne se reconnaissent pas non plus dans les partis qui ont appelé au boycott à l’instar du FFS ou du RCD, partis d’opposition qui ont par le passé siégé dans les différentes assemblées élues et participé respectivement au gouvernement sous les présidences de Zeroual et de Bouteflika.

Cette élection a eu lieu dans un contexte d’essoufflement du Hirak, dont le régime profite pour tenter une reprise en main relative de l’initiative politique, en même temps qu’un serrage de vis : interdisant par ci des manifestations, emprisonnant par là des activistes, le tout sur fond de criminalisation des luttes et des grèves de travailleurs.

Sur le plan politique, le mouvement ouvrier capable de dessiner une telle perspective est bien faible. Alors pourtant que de nombreuses grèves ont touché plusieurs secteurs, pendant et après le Hirak. Elles sont en majorité défensives, isolées malgré des tentatives d’unification dans certains secteurs et dans certaines villes et malgré la combativité dont ont fait preuve les instituteurs, les travailleurs de l’ENIEM, de Numilog, les pompiers.

Reprise de l’offensive patronale

Le cours autoritaire engagé par le régime accompagne les orientations économiques antisociales d’un Tebboune, pressé par une opposition libérale et autres experts voulant en finir avec les acquis sociaux et les subventions aux produits de large consommation. Les campagnes médiatiques récurrentes sur le gaspillage du pain, la hausse de consommation de l’électricité visent à préparer les masses à l’acceptation de futures mesures d’austérité au prétexte de rationalisation des dépenses imposée par la baisse des prix du pétrole.

Arrivé au pouvoir dans un contexte de crise politique et économique, le président Tebboune trace des orientations économiques qui ne peuvent qu’aggraver la situation. Il découvre soudainement les vertus des start up sur lesquelles il compte pour absorber le chômage galopant et se lance dans l’exploitation des mines qu’il confie aux multinationales en leur accordant financements et autres facilités, accentuant la dépendance à l’égard des puissances impérialistes.

Ses premières sorties au lendemain de son élection avaient été consacrées à rencontrer des patrons qu’il avait tenu à rassurer après la frayeur qui s’est emparée d’eux suite aux vagues d’arrestations ayant touché plusieurs des leurs, ayant trempé dans les affaires de corruption et de dilapidation des richesses. Il a réhabilité Rebrab, patron de Cevital [3], reçu par un de ses ministres, scellant de fait leur alliance.

Offres de services aux puissances impérialistes ?

Il s’est aussi réconcilié avec Macron après une période marquée par des frictions entre les deux pays. Les deux présidents s’échangent des compliments, éloges et affichent une volonté de coopérer dans le dossier du Sahel. La révision constitutionnelle du 1er novembre 2020 a d’ailleurs inscrit, pour la première fois, la possibilité pour l’ANP (l’Armée nationale) d’intervenir en dehors de ses frontières sous l’égide de l’ONU.

Un fléchissement par rapport à ce qui faisait office de doctrine de la politique étrangère de l’Algérie, héritée de l’époque des non alignés et du tiers-mondisme triomphant, consistant à refuser toute intervention militaire dans un autre pays. D’où la question que se posent de nombreux observateurs et citoyens sur la possibilité d’une intervention militaire au Sahel. Il y a de quoi nourrir des doutes, d’autant plus que dans ses récentes interviews au magazine Le Point et à la chaine qatarie El Jazeera il a déclaré que : « L’Algérie était prête à intervenir d’une manière ou d’une autre en Libye ».

Reste à savoir si cette intervention était envisagée, dans quel cadre elle serait menée et pour défendre quelle feuille de route. Serait-elle sous la conduite de la France qui veut retirer une partie de ses soldats et faire supporter les efforts des opérations à d’autres pays ? Ou serait-elle une manœuvre pour défendre et redynamiser l’initiative algérienne, le fameux CEMOC bloqué depuis par le G5 Afrique initié par l’impérialisme français ? Difficile de trancher et de déchiffrer avec justesse les déclarations du président à ce propos, mais peu importe la décision, la population n’est pas favorable à une quelconque intervention à l’extérieur. Elle a eu l’occasion d’exprimer avec force lors des premières semaines du Hirak le refus de toute ingérence et la nécessité de régler les problèmes politiques en interne.

Où en est le Hirak ?

Certes le Hirak a considérablement changé depuis l’année 2019, même si on a vu une manifestation importante en février dernier pour fêter son deuxième anniversaire. Mais ces idées persistent. Il ne draine aujourd’hui que peu de manifestants, concentrés essentiellement dans les villes de Tizi Ouzou, Béjaïa et Bouira. Sur le plan de son contenu politique, lors de sa phase ascendante, les questions du contrôle des richesses, de la lutte contre les corrompus algériens ou étrangers, de la liberté de manifester et de s’exprimer, de la nécessité de rompre avec les puissances impérialistes, ont fortement émergé et occupé une énorme place dans l’expression politique du Hirak. Ces questions sont restées sans traduction politique en l’absence d’une organisation révolutionnaire, ou même de structures d’auto-organisation sécrétées par le mouvement lui-même dans lesquelles elles auraient pu être débattues. Cette faiblesse a laissé le champ libre à l’opposition libérale qui, grâce à ses relais médiatiques, a tenté de se hisser peu à peu en porte parole informel du Hirak et lui imprimer ses orientations.

Cette opposition libérale, par contre, a affiché ouvertement son hostilité aux grèves des travailleurs et à leurs revendications, a stigmatisé les votants de décembre et multiplié les appels à l’ONU, au parlement européen pour l’aider à démocratiser l’Algérie. Elle compense sa faiblesse d’ancrage par son dynamisme sur les réseaux sociaux, dans les médias et par sa rhétorique radicale sur la chute du régime et des généraux… Le discours de ces politiciens se posant en leaders du mouvement a fini par lasser, puis a dissuadé d’autres manifestants qui ont déserté le Hirak et facilité de fait la tâche au régime qui a interdit carrément les manifestations.

Mais le régime a tort de croire qu’il peut régner encore par la matraque et autres lois liberticides. L’essoufflement du Hirak, en tant que tel, c’est-à-dire des manifestations, n’est pas pour autant synonyme de démoralisation, de résignation.

(Manifestation à Béjaïa pour les libertés et la libération des détenus, le 18 juin 2021. Photo PST)

Un renouveau, encore fragile, des mouvements sociaux

Déjà parallèlement au Hirak, des centaines de grèves ont eu lieu à travers le territoire national pour réclamer l’augmentation des salaires, le paiement des arriérés, la fin de la sous-traitance, le droit à l’exercice syndical ou la préservation de l’outil de travail. La nouveauté qui interpelle c’est que ces grèves ont touché d’une façon importante le secteur privé, un secteur où la répression patronale s’exerce brutalement et où l’inexistence des syndicats est la norme.

Habituellement ce sont les grèves du secteur public qui font le plus parler d’elles, des enseignants aux praticiens de la santé en passant par les cheminots, les travailleurs de la SNVI (Société nationale du véhicule industriel sise dans la zone industrielle Reghaia à l’est d’Alger), de l’ETUSA (entreprise de transport urbain et suburbain). Ce sont ces secteurs qui ont bénéficié d’augmentations de salaires relativement importantes arrachées lors des grèves de 2011/2012, contrairement aux travailleurs du secteur privé. Ces derniers, non seulement n’ont pas eu les mêmes augmentations mais ont vu leurs salaires baisser sous l’effet de l’inflation et de la dévaluation du dinar. C’est ce qui explique leurs nombreuses mobilisations et luttes combatives même si elles restent défensives et non coordonnées. Les directions syndicales, UGTA [4] ou syndicats autonomes, ont brillé par leur absence durant toutes ces batailles, quand elles ne jouent par carrément le rôle de briseuses de grèves, excepté certaines structures locales de l’UGTA qui ont essayé de soutenir, non sans calculs, certains grévistes.

Dans les grèves d’aujourd’hui, les travailleurs font leur apprentissage, tirent des leçons, comptent de plus en plus sur leur propre auto-organisation et ne veulent pas se laisser faire. On observe le même état d’esprit chez de nombreux citoyens qui se battent dans leurs localités pour revendiquer l’amélioration du cadre de vie, l’accès aux soins, à l’emploi et au logement. Ce sont ces luttes, même éparpillées et qui ne trouvent pas pour l’instant le chemin de l’unité, qui freinent les réformes libérales souhaitées par les gouvernements successifs. Ce sont ces travailleurs nombreux, ces chômeurs et citoyens, hommes et femmes réclamant leur part des richesses du pays, avec dignité qui, dans les élections, font les forts contingents d’abstentionnistes. Un attentisme politique en l’absence d’un parti révolutionnaire capable d’offrir des perspectives pour un changement à la hauteur de leurs aspirations. Mais au cours de ces deux dernières années, marquées par le Hirak hier, par les grèves aujourd’hui, les jeunes, les travailleurs qui se sont éveillés à la politique sont nombreux, auxquels la poignée de militants que comptent les groupes révolutionnaires algériens ont à s’adresser et qui pourraient grossir nos rangs.

Farid Ali, mardi 22 juin 2021


[1Le MSP (Mouvement de la Société et la Paix), officiel depuis 1990 (sous les étiquettes MSI puis MSP), est lié aux Frères Musulmans. El Binaa a été créé en 2013 par un dissident du MSP, ancien ministre. El Adala (Front pour la Justice et le développement) se veut plus modéré, « islamiste réformiste ».

[2Le RND (Rassemblement National Démocratique) est une sorte de clone du FLN (Front de Libération Nationale, l’ancien parti unique de l’indépendance à 1989), créé en 1997 par une partie des cadres de ce dernier, et partageant avec lui le pouvoir.

[3Qui possède notamment l’entreprise de logistique du port de Béjaïa, Numilog, où les travailleurs sont en lutte depuis l’été dernier contre le licenciement de tous ceux qui voulaient créer un syndicat.

[4UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) : la centrale syndicale officielle, dont la direction est toujours restée proche du pouvoir.

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